Les lions noirs les emmenaient au loin, filant avec le vent. Io et Imalbo étaient chacun sur un de ces fauves, d’énormes animaux aux pattes puissantes, au dos large et à la tête massive, et s’agrippaient comme ils le pouvaient à leurs crinières, sans jamais trop savoir s’ils dirigeaient les bêtes ou si elles se rendaient là où elles le désiraient.

« Je suis content qu’il y ait enfin un peu d’action ! hurla Io pour qu’Imalbo puisse l’entendre. Déjà un mois qu’on était enfermé dans l’immeuble sans pouvoir mettre le nez dehors !

— Tout cela est peut-être tout de même un peu précipité ! répondit le demi-humain. Si l’immeuble n’avait pas décidé que le moment était venu pour lui de libérer ses bestioles, je n’aurais jamais accepté de partir.

— De toute façon, cela faisait une semaine qu’on était repéré ! On n’aurait pas pu tenir tête au Réseau plus longtemps en restant à l’intérieur, il fallait agir. Dommage que l’immeuble ait dû mourir pour cela !

— Il ne sera pas vraiment mort, tant que nous serons là pour continuer à nous battre ! Mais son sacrifice est loin d’avoir été inutile : en explosant tel qu’il l’a fait, et en libérant autant d’énergie en mourant, il a pu répandre sa forêt dans une immense partie de la ville. Ainsi les animaux vont-ils très vite pouvoir se reproduire, et déjà ils ont commencé le combat. On pourrait néanmoins les aider, au lieu de t’emmener à un rendez-vous galant !

— Très drôle, fit Io. Tu sais très bien que je ne pouvais plus tenir en place, il faut que je la voie ! Et rien ne pourra m’en empêcher…

— Ça, on verra bien ! Mais garde quand même à l’esprit qu’il faut agir au plus vite : nul ne sait ce qui va se passer. L’immeuble a mis tous ses espoirs dans ses animaux, au point d’accepter de mourir pour eux, mais leur combat n’est certainement pas gagné d’avance. Le Réseau ne se laissera pas faire ! Pour le moment, les animaux ont bénéficié de l’effet de surprise, et ont éliminé toute trace d’activité mécanique tout autour de l’immeuble, mais les robots ne tarderont pas à se ressaisir. Il y aura de lourdes pertes.

— Il faut continuer à espérer ! Déjà, grâce à eux, nous n’avons plus à nous soucier des abeilles, fit remarquer Io : regarde comment nos oiseaux les mettent en pièces ! Si ces traîtresses ne s’étaient pas toutes unies pour crever l’œil de l’un d’eux, ils n’auraient subi aucune perte. Et ces lions avancent presque aussi vite que ma moto, même s’ils sont trois fois plus gros ! »

C’était le matin, et ils étaient accompagnés par une véritable meute, les deux lions, même s’ils n’avaient vraiment besoin d’aucune escorte, étant suivis par d’autres félins de toutes sortes, et par beaucoup d’autres animaux qui ne ressemblaient à rien de ce que les humains connaissaient, tels ces espèces de lézards, mi-dragons mi-loups, qui s’attaquaient à tous les robots que le convoi rencontrait, les réduisant en pièces avec des crocs puissants capables de trancher le métal le plus dur. Dans le ciel, de nombreux animaux ailés se chargeaient de détruire toutes les abeilles qui auraient pu suivre les deux hommes. Avec eux il y avait Kryël, le petit dragon rouge aux longs poils qui suivait Io partout depuis qui l’avait vu. C’était Imalbo qui l’avait baptisé ainsi, en lui disant qu’il le protégerait de tous les dangers qu’il rencontrerait, et qu’il lui serait au moins aussi utile que son armure, maintenant réparée et opérationnelle. Et en effet, malgré sa petite taille et son allure de boule de poils, Kryël était celui qui s’acharnait sur les abeilles avec la plus grande énergie, croquant le moindre insecte qui apparaissait dans le ciel, avant de revenir ronronner sur l’épaule de Io. Un adorable petit diable.

« Nous devrions arriver à l’immeuble du Projet Contrôle vers midi, annonça Io. Il n’est plus très loin.

— Le Projet Contrôle… Et dire que dès le début nous connaissions ce nom, sans jamais nous douter de ce qu’il signifiait ! Une si odieuse machination, sans doute le pire coup que nous ait préparé le Réseau. Heureusement que notre immeuble à nous s’en est séparé suffisamment tôt : s’il avait continué à faire partie du Projet Contrôle, il aurait comme les autres servi à répartir les humains en une multitude de petites colonies, toutes indépendantes les unes des autres, chacune vivant en totale autarcie.

— Et alors, si dans l’une d’elle quelques humains se rebellaient, il suffirait au Réseau de détruire un seul immeuble, et rien ne se répandrait, aucune idée de révolte ne pourrait jamais circuler. On comprend pourquoi il a appelé ça le Projet Contrôle ! Jusqu’à présent, il s’était contenté de faire croire aux humains qu’ils étaient heureux, et que ce qu’ils accomplissaient pour le Réseau était un travail gratifiant, qu’ils effectuaient en toute joie. Mais s’il parvenait à achever son projet, il pourrait alors vraiment faire ce qu’il veut de nous. Nous ne serions plus que des moyens de production peut-être vite dépassés !

— Mais cela ne sera pas ! s’écria Imalbo. Il n’a pas construit assez d’immeubles, et il est trop tard. D’ailleurs, une fois que tu seras allé voir Féhna et que nous aurons fait évacuer le bâtiment, nous détruirons tous les plans de ce satané Projet Contrôle !

— Le Réseau a sans doute prévu le coup, je doute que nous puissions vraiment détruire le projet ainsi. Mais tu as raison, il est trop tard pour lui. Une fois que nous aurons remporté la première manche et que le Réseau aura perdu la plupart de ses moyens d’action, nous commencerons à faire réaliser aux humains les dangers qu’ils encourent. Et si nous réussissons à les convaincre, le Réseau ne pourra plus rien faire. »