Chapitre XV.4

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Le lendemain, après qu’il eut pris son petit déjeuner, puis son déjeuner, Imalbo décida qu’il était quand même temps de réveiller les deux humains. On avait abandonné la grande salle où s’était déroulée la fête pour ne pas les déranger, tant leur sommeil était attendrissant, et mérité. Quand ils s’éveillèrent au son de la voix de leur ami et des petits cris de Kryël, ils s’aperçurent qu’ils se tenaient encore par la main, leurs doigts inextricablement liés : ils rougirent en se regardant, confus, avant d’ouvrir chacun la main, doucement.

Quand ils eurent fait un brin de toilette (quand Io revit Féhna, il constata avec joie qu’elle avait gardé sa robe) et avalé tout ce qui leur passa sous la dent, Imalbo les emmena avec lui. Il avait commencé à visiter les lieux pendant qu’ils dormaient, et il leur présenta Sacahar Tyrus, l’elfe que le chef avait mis à leur disposition pour faciliter leurs recherches.

Sacahar était dans une forme épatante, et très loin d’être gâteux ; il était très vieux pourtant, vraiment très vieux. D’abord, il leur montra les lieux, et leur présenta les principaux membres de leur communauté.

Le chef s’appelait Frix Valor ; il était quant à lui étonnamment jeune pour ses fonctions, mais les vieux elfes n’avaient que faire du commandement, et préféraient laisser cette tâche à des gens plus énergiques. Même s’ils étaient tous plutôt bien conservés, comme le fit remarquer Imalbo. Frix Valor, comme tous ceux avant lui, avait donc été désigné par les cinquante plus vieux elfes, une assemblée des anciens qui pouvait à tout moment le remplacer ; mais apparemment, c’était un bon chef et tout le monde l’aimait.

L’assemblée des anciens était présidée par le doyen, Domious Hector : il disait avoir plus de deux cents ans, et il n’y avait aucune raison de ne pas le croire. C’était un personnage très populaire, car si tous les elfes se plongeaient fréquemment dans les livres dont ils avaient la garde, son savoir à lui était vraiment immense et, conteur exceptionnel, il avait toujours quelque chose à narrer. Quand ils le quittèrent, Féhna lui promit qu’ils reviendraient l’écouter leur parler des elfes.

Il y avait aussi, naturellement, les bibliothécaires, auxquels appartenait Sacahar Tyrus. Ils n’avaient pas de chef, car leur tâche imposait l’harmonie entre tous. Ils étaient chargés de protéger les précieux ouvrages, au besoin d’assurer la copie des plus abîmés, et de faciliter l’accès des elfes au savoir.

Les humains rencontrèrent aussi Galan Xsar, qui dirigeait les gardes. Ces derniers avaient la lourde tâche de s’occuper d’éloigner tout danger venant de la Société : dès qu’un robot pointait son nez dans les galeries, il leur fallait s’assurer qu’il repartirait sans rien découvrir. Ils truquaient alors les sombres couloirs de faux murs, et d’artifices de toutes sortes, pour que personne ne se doute de rien. Mais heureusement les robots avaient depuis longtemps cessé de s’intéresser à l’endroit, et jamais ils n’avaient dépassé les niveaux de surface. Pourtant, il était déjà arrivé aux gardes de devoir empêcher des projets de travaux dans les sous-sols, visant à détruire les galeries : il leur avait alors fallu truffer les couloirs de pièges, et installer toutes sortes de trappes pour que le Réseau comprenne que les travaux ne méritaient pas toute la peine qu’il se donnait pour les effectuer.

Ils rencontrèrent aussi des elfes de toutes sortes d'autres métiers, d'ailleurs beaucoup en changeaient régulièrement : des jardiniers (ils constatèrent avec étonnement que ces sous-sols avaient par endroits été transformés en jungle luxuriante) et des architectes qui s’occupaient de l’aménagement des profondes galeries dans lesquelles ils vivaient, des cuisiniers, des organisateurs de fêtes, des forgerons… Mise à part l’absence de publiciste ou de responsables de la propagande, leur communauté était aussi diversifiée que la Société des humains.

A mesure que Sacahar leur présentait ses amis, Io et Féhna purent visiter les galeries habitées, comme Imalbo l’avait fait pendant qu’ils dormaient. Les elfes étaient très loin de pulluler comme les humains, mais ils étaient tout de même assez nombreux (plusieurs milliers d’êtres à se cacher sous terre) et ainsi le réseau de leurs galeries était très vaste. La partie habitable des souterrains s’étendait sur une vingtaine de niveaux avec, au plus profond, la grande bibliothèque vers laquelle ils se rendaient. Le reste était organisé de façon à ce que, en cas d’attaque, tout le monde puisse se retrancher vers les niveaux inférieurs : aussi trouvait-on les équipements secondaires comme la salle des fêtes, des gymnases, ainsi que les habitations individuelles, près de l’entrée (le niveau défendu par feu le monstre). Toute la répartition était faite selon la nécessité : le plus urgent en bas, le luxe en haut. C’était une véritable ville en profondeur : pratique, confortable mais pas trop, et habitée par une population énergique qui s’arrangeait pour que leur monde, bien que coupé de la surface, ne connaisse pas l’ennui.

Puis, enfin, Sacahar ouvrit les portes de la bibliothèque…

Enorme. Cyclopéenne. Les humains n’avaient pas assez de mots pour la décrire, tant elle différait radicalement de ce qu’ils connaissaient. Dans la Société, les informations étaient toutes accessibles à partir d’un terminal d’ordinateur, froid et impersonnel… Tandis qu’ici, tous ces livres anciens sur d’innombrables rayons dégageaient une atmosphère de puissante sagesse, ils respiraient le savoir.

La bibliothèque s’étalait sur dix niveaux ; elle était entourée d’une épaisse paroi de béton, de métal, et de quantité d’autres matériaux divers, destinés à la protéger à la fois des bombardements, des forages, mais aussi des éventuels radars qui pourraient détecter sa présence. C’est pourquoi, pour entrer, Sacahar les avaient fait passer par un système de sas compliqué, par lequel ils ne sauraient repasser sans son aide.

« C’est ici que sont rangés les ouvrages les plus importants qui aient jamais été écrits, leur dit Sacahar, mais aussi tout livre qui puisse avoir une utilité ou un intérêt. Je ne connais pas le nombre exact d’ouvrages entreposés ici, bien que nous en ayons la liste complète ; mais je peux vous dire qu’il est grand, très grand même. Quand cette bibliothèque a été construite, des propriétaires terriens de tous les coins du globe, de grands collectionneurs tout comme de petits libraires, ont envoyé ici ce qui leur était le plus cher. De grands écrivains se sont adonnés à la copie et à la traduction d’ouvrages et de manuscrits antiques, des hommes bons et riches ont dépensé des fortunes pour racheter des livres uniques à des hommes moins généreux… Tout cela dans le plus grand secret. Domious vous racontera cela mieux que moi, car il connaît énormément de détails sur l’ancien monde, et bien que je sois constamment ici, je m’occupe des livres plus que je ne les lis. Mais nous savons tous comment la bibliothèque a été instaurée, nous savons tous d’où nous venons : c’est vous, les humains, qui nous avez créés. Tout comme vous avez créé le monde informatique du Réseau, une poignée de scientifiques, oeuvrant eux aussi en secret pour la bibliothèque, ont créé une nouvelle race : nous, les elfes. Si vous voulez savoir comment, j’aurai le plaisir de vous indiquer les ouvrages de référence en la matière, mais pour ma part cela ne m’intéresse guère. A cette époque, les hommes créaient un peu ce qu’ils voulaient, et même si certains sentaient venir la fin de leurs libertés (ils avaient raison, les pauvres), cela ne leur posa aucune difficulté.

» Néanmoins, ce n’est pas parce que nous avons été créés par des hommes que nous nous sentons redevables envers eux : nous n’avons rien demandé. Seulement, nous savons la sagesse contenue dans tous ces livres, et c’est parce que nous la savons que nous la protégeons de génération en génération. Je vais maintenant vous faire visiter cette merveilleuse bibliothèque, et vous expliquer comment je vous aiderai dans vos recherches ; cependant, je doute que vous décidiez de les commencer de suite, quand vous aurez eu un meilleur aperçu de l’ampleur des écrits demeurant ici. La tâche sera passionnante, mais longue et ardue : il vous faudra des jours, sans doute des semaines, pour la mener à bien ; d’autre part, je vous conseille de parler à Domious de façon plus poussée avant d’entreprendre quoi que ce soit : vous saurez alors mieux ce qu’il convient de chercher. »

Ensuite Sacahar les emmena parmi les étagères infinies. Les elfes avaient besoin d’échelles pour atteindre les plus hauts rayons, et même les humains n’étaient pas assez grands. Leur guide leur montra chacun des dix niveaux de la bibliothèque, et ils purent admirer la parfaite conservation des reliures, et les magnifiques travaux de restauration qui avaient été effectués sur des manuscrits datant pour certains de plusieurs milliers d’années. S’il y avait un endroit au monde susceptible de fournir des réponses à leurs questions, c’était bien celui-ci…

Tout était somptueux, pas seulement les bouquins. Les étagères étaient recouvertes d’un argent pur et inaltérable, et les murs décorés de magnifiques tapisseries et tableaux éclatants de tous les tons et couleurs de l’arc-en-ciel ; à chaque coin se dressait la statue d’un animal antique, dragon, phénix ou licorne, un mélange superbe de pierre et de bois.

Sacahar était capable de commenter chaque gravure, il connaissait l’histoire de tous les tableaux : il chérissait véritablement cet endroit, et il était facile de le comprendre. La bibliothèque dégageait l’impression d’une sagesse colossale, tant par ses dimensions cyclopéennes que par ses ornements aussi anciens qu’en parfait état ; et malgré l’effroyable gigantisme du nombre d’ouvrages entreposés là, chaque livre se montrait unique et infiniment précieux. Jamais les humains n’avaient vu quoi que ce soit qui ait une telle valeur, et ce sur tous les plans, de l’utilité au luxe, de l’ancienneté à la perfection, de la simple beauté à la grandeur du savoir (mis à part Io, qui retrouvait autant de valeur ailleurs…).

Puis Sacahar les reconduisit vers le premier niveau, où il leur montra les divers documents, de longues listes et des index de plusieurs dizaines de tomes, grâce auxquels ils allaient pouvoir faciliter leurs recherches.

« Evidemment, c’est un peu fouillis, et il faut s’avoir s’y retrouver. De toute façon, les listes sont tellement longues que je vous déconseille vivement d’y travailler seuls : aussi n’hésitez pas à m’appeler dès que vous pensez avoir besoin de moi. Je serai à votre disposition aussi longtemps que je ne dormirais pas, et en général vous me trouverez dans les environs. Surtout, prenez soin de reposez les ouvrages là où vous les avez pris, cela va sans dire, et je pense qu’il est inutile de vous rappeler combien ces livres sont précieux : manipulez-les avec maintes précautions ! Maintenant, il est temps pour vous d’aller voir Domious Hector : vous le trouverez sans doute dans le parc, à l’heure qu’il est. »

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