Chapitre XVI.3
Cependant, avant de se couper totalement de la Terre, quelques hommes de l’espace redescendirent à la surface tandis que la guerre faisait rage. Là, ils rencontrèrent tous les êtres bons et justes qui craignaient de voir les valeurs qui leur étaient les plus chères anéanties par un monstre virtuel. Ces hommes et ces femmes-là étaient bien rares, mais ils comptaient parmi les plus érudits : ce furent eux qui organisèrent la construction de la bibliothèque.
Beaucoup d’entre eux étaient assez favorables à la venue du Réseau ; mais ils étaient prudents, et ne voulaient prendre aucun risque : on savait déjà que les IA n’aimaient pas les livres, il fallait les protéger. Ils profitèrent donc des quelques années que le Réseau mit à s’établir sur la totalité du globe pour réunir le plus grand nombre d’ouvrages possible, sans que personne n’en ait vent. En même temps, une équipe de travailleurs s’enfouit au plus profond de la terre et commença la construction de la bibliothèque et des galeries ; en général cependant, ils se contentaient d’entreposer les matériaux et les objets d’arts avec lesquels elle serait plus tard édifiée. Le travail de tous ces humains fut véritablement remarquable : une quantité phénoménale d’argent fut amassée, et des trésors littéraires réunis à profusion. Mais le succès de l’entreprise fut en vérité principalement dû au fait qu’elle était présentée à ceux qui étaient mis au secret comme une simple mesure de précaution. Et c’est bien ce qu’elle était ; d’ailleurs, personne ne pensait combien cette précaution s’avèrerait utile.
Ce furent les scientifiques descendus de l’espace qui créèrent le peuple des elfes ; et ce furent les elfes qui, quand le Réseau fut établi universellement, s’enfermèrent sous terre et achevèrent la construction de la bibliothèque, travaillant avec soin et amour. Ils organisèrent les décorations, rénovèrent les œuvres d’art, puis classèrent tous les livres sur les étagères d’argent. Puis ils aménagèrent les galeries restantes, pour perdre quiconque descendrait sous terre ; enfin, ils aménagèrent les niveaux où ils allaient vivre. Ils disposaient en outre d’une grande quantité d’énergie, fournie par l’écoulement d’un immense torrent qui coulait sous terre avec une force impressionnante : les elfes purent construire plusieurs barrages, qui leur suffirent amplement pour développer une véritable cité souterraine, totalement indépendante du monde de la surface.
Pendant ce temps, le Réseau se moquait parfaitement d’être prisonnier sur la planète : il pensait bien pouvoir un jour s’évader, et pour l’heure il avait largement de quoi faire. Sitôt qu’il eut pris le pouvoir dans la totalité des pays du globe, il fusionna ces derniers : la Société était née. Grâce à un contrôle très rigoureux et subtil de l’éducation, il prépara la génération à venir : il supprima toute élite, et enleva toute chance aux philosophes et autres penseurs de naître. Pour accélérer un peu le processus, il semble qu’il se soit livré parallèlement à une épuration de la génération en place ; quoi qu’il en soit, un jour, tout fut prêt : les humains étaient suffisamment incultes et confiants pour qu’il puisse en faire ce qu’il voulait. Dès lors, il contrôla absolument tout, pas uniquement les gouvernements : le milieu du travail, puis les loisirs, et enfin les plus petits détails de la vie quotidienne. Rapidement, la Société devint telle qu’on la connaît aujourd’hui, et les humains sans s’en rendre compte avaient perdu toutes leurs libertés.
Io et Imalbo couchèrent aussi leur histoire par écrit, à la fin des deux mois que leur prirent leurs recherches : ainsi, espéraient-ils, ils auraient retracé l’apparition du Réseau pour finir par ce qui allait amener sa perte.
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