Nuit blanche. Y’a des fois ou le sommeil ne veut pas de moi. Je passe des heures dans le noir, à fumer et écouter de la musique. C’en est presque grisant, se dire qu’on a vaincu la nuit.

Ce soir je me sens mal. Je ne saurais dire pourquoi. Un sentiment, dur à expliquer... C'est comme ça. Je suis seul à l'appartement. La nuit est calme, je trouve ça oppressant.

J'aimerais voir, entendre, sentir de la vie...

Mais il n'y a rien. Une ville endormie, seulement éclairée par quelques lampadaires, lueurs blafardes dans une ville morte. Je me couche déprimé, et m'endors... Seul.

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Quand je me réveille il est presque midi. Mal de crâne et l'impression d'être encore fatigué. Une fois lavé, je choisis avec soins mes vêtements, et renonce à coiffer mes cheveux en bataille. J'avale un café vite fait, tente d'appeler Clay sans obtenir de réponse, et quitte l'appartement. Malheureusement je croise ma mère dans le hall de l’immeuble, elle doit déjà avoir fini sa journée et va rester cloîtrée chez nous tout l’après-midi.

Elle tente de m’embrasser mais je l’esquive habillement et ça semble la blesser, heureusement elle n’en dit rien.

-Tu as une mine affreuse.

-J’ai mal dormi. Je lui dis simplement.

-Tu devrais peut-être te ménager un peu plus. Te coucher moins tard et...

-C’est bon j’ai pas besoin d’une leçon… Je dois filer, à bientôt.

Elle ne répond rien, se contente de se retourner en appuyant frénétiquement sur le bouton d’appel de l'ascenseur. Je quitte le bâtiment de mon côté.

A l'extérieur il fait une chaleur accablante, cette journée s’annonce particulièrement pénible. J’ai rendez-vous pour manger avec Alice et Kenji, et je suis déjà en retard. Comme souvent…

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Le tintement des couverts me donne mal à la tête. Je connais le serveur, je crois… Il doit s’appeler François. Il est très sexy aujourd’hui, il évolue avec légèreté et professionnalisme à travers la salle. Il vient nous annoncer le dessert du jour, je ne l’écoute même pas. On commande tous les trois la même chose je crois. Finalement je pense qu’il s’appelle Samuel.

-Et donc c’est quoi son nom ? Demande Kenji.

Je le regarde un instant, interloqué, et je réalise que ce n’est pas à moi qu’il parle mais à Alice. Et du coup je ne sais pas du tout ou en est la conversation.

-Il s’appelle Donovan. Répond mon amie tout sourire.

Elle s'est maquillée avec soin aujourd’hui. Elle doit même sortir de chez le coiffeur, ses cheveux blonds sont superbes. Elle semble être d’excellente humeur. Elle porte un T-shirt blanc sur lequel on peut lire "no future" inscrit en lettres vertes, et ça me fout une angoisse pas possible.

Le serveur revient tout sourire quelques minutes plus tard pour nous amener nos desserts. Je ne suis plus du tout sûr de le connaître en fin de compte. Les plats qu’il nous apporte sont bien présentés, je n’ai plus faim, et je n’ai pas encore fini mon premier verre.

-C’est qui Donovan ? je demande, vaguement intéressé, jouant du bout de ma fourchette avec ce qui ressemble à un morceau de pomme flottant dans de la crème anglaise.

-Le nouveau petit copain d’Alice, répond Kenji comme si c’était une évidence.

Kenji est un mec très jovial, il affiche un visage franc et bienveillant, et ses petits yeux en amande d’asiatique m’observe avec une pointe d’amusement. Lui ne doit pas sortir de chez le coiffeur, sa coupe de cheveux est affreuse aujourd’hui, mais il reste tout de même plutôt mignon.

-Ça fait dix minutes qu’on en parle, Paul !

-Oui mais le sujet était tellement peu intéressant que j’ai arrêté de vous écouter, apparemment.

Elle dresse son majeur dans ma direction et Kenji de son côté éclate de rire.

-Franchement Paul tu pourrais t’intéresser un peu à ce qu’on dit ?

-Ton nouveau mec ? Ouais… Super intéressant. Je dis d’un ton ironique.

-Ah ! Donc ça t'intéresse pas de savoir que je voulais vous le présenter vendredi soir, chez moi, je fais une soirée.

-Donovan, tu dis ? Je demande d’un ton mielleux et on ne peut plus faux cul.

-Oh ça l’intéresse subitement, me répond Alice, absolument pas dupe.

Elle finit son dessert et me lance un regard plutôt rieur. Je lui dis que ça tombe bien qu’elle organise un truc parce que je commençais vraiment à me faire chier. Et elle rétorque que j’ai qu’à me trouver une autre occupation que celle de sortir et picoler toute la nuit. Ce que je trouve plutôt injuste parce que je ne fais évidemment pas que boire lorsque je sors mais je me contente de lui dire que je l’adore, ce qu’elle semble croire, du moins en apparence.

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Et pour dire toute la vérité, quand Kenji et moi sommes arrivés à la soirée, la quasi-totalité d’une bouteille de vodka y était passé. Et je me sens un peu nauséeux, mais cela mis à part, tout va bien. "III Ray" de Kasabian se fait entendre quand nous pénétrons dans l'appartement.

La musique est extrêmement forte, et ça me fout un putain de coup de fouet ! Je suis déjà dans l'ambiance. La pièce dans laquelle nous nous trouvons est pleine à craquer et je tente de me frayer un passage dans la foule.

Kenji me dit qu'il faut qu'on trouve Alice, et je lui réponds qu'il faut surtout qu'on trouve à boire. Une fille me bouscule, elle danse complètement bourrée, et s'excuse en riant, avant de m'embrasser sur la joue et de s'éloigner en titubant et ça me fait marrer.

Kenji m’abandonne rapidement prétextant d’aller saluer je ne sais qui, et vu que ces connaissances ne m'intéressent absolument pas, je le laisse partir de son côté sans rien dire.

Un mec de mon ancienne promo me fait signe de loin et vu que je n'ai rien de mieux à faire je me dirige vers lui. Il me fait la bise et ça m'agace un peu. A ses côtés, un roux d'une pâleur affolante mais avec un sourire tout à fait correct. Je lui serre la main, et je remarque qu'il boit du Get27 et je me promets de m'en servir dès que l'occasion se présentera. Le mec de ma promo me présente comme un ami auprès du roux dont je ne retiens pas le nom. Je lui fais un peu les yeux doux même s'il ne m'intéresse pas vraiment, mais très vite il me gonfle alors je les laisse seuls et continue ma recherche de quelque chose à boire et je me dirige donc d’un pas décidé vers la cuisine.

Et là, c’est déjà un joyeux bordel, il y a deux types qui visiblement tentent de faire un concours de celui qui arrivera à ingurgiter le plus de vodka tout en restant debout. Plusieurs shooters sont alignés sur la table devant eux. Et tous les deux rient bruyamment.

Je trouve enfin une bouteille de Get27 trônant fièrement au milieu de la table. Et je m’en sers une bonne dose, dans un verre que je trouve posé la et qui n’attendait vraisemblablement que moi. J’y trempe mes lèvres et j'entame la conversation avec une meuf qui apparemment cherche à se faire un mojito avec de la tequila ce que je trouve un peu étonnant mais je ne lui dis pas. Elle me raconte des trucs sans queue ni tête et je fais semblant de trouver ça intéressant en répondant par l’affirmative et agitant la tête de haut en bas lorsqu’elle me parle. Mais après un moment je remarque qu’elle a une tache sur le bas de sa robe, et je crois que c’est du vomi du coup je la plante la alors qu’elle tente de m’expliquer la différence entre une marmotte et une loutre.

J’observe un peu les personnes autour de moi et je réalise que les divers invités semblent au mieux tout juste intéressants. Je ne m’en formalise pas et prends le temps de remplir à nouveau mon verre avant de prendre la direction du salon. Je reste un moment interdit en voyant Alice au bras d’un grand blond à l’air benêt mais particulièrement séduisant. Je les observe tous les deux alors qu’ils s’embrassent passionnément et je ne peux m’empêcher de trouver qu’ils ne vont pas du tout ensemble. Je ne me préoccupe pas plus longtemps de ce détail et je m’avance dans leur direction, prenant un plaisir certain à les déranger pendant leurs ébats.

Le blond semble surpris et m’observe mi-agacé, mi-amusé. Alice de son côté semble carrément en colère et j’ai un peu de mal à soutenir son regard perçant comme si elle cherchait à me désintégrer par la pensée rien qu’en me fixant de la sorte.

-Tu sais que d’ordinaire quand on voit quelqu’un que l’on connaît à une soirée on lui fait un gentil sourire, ou on l'embrasse... ce genre de conneries.

-Parce que toi tu souris aux personnes en soirée ? Elle demande sévère.

-Uniquement aux beaux mecs. Je dis en regardant langoureusement son mec en affichant mon plus beau sourire.

Il semble déstabilisé un instant, faut dire que je dois être particulièrement impressionnant avec mon allure actuelle un peu éméché ou plus vraisemblablement très saoul, à en faire beaucoup trop. Mais il reprend peu à peu contenance et il me temps la main, sans doute pour que je la lui serre et en me donnant un prénom « Donovan ».

Je lui serre donc la main de mauvaise grâce.

-Et lui c’est Paul. Pense bon de préciser Alice en me montrant d’un index plutôt accusateur. Elle s’empresse même d’ajouter : vu qu’à priori il a pas l’air d’humeur à être poli et se présenter lui-même.

-Hey ! T’es méchamment casse-couilles ce soir.

-Si tu étais arrivé à l’heure peut être que tu aurais pu me voir de meilleure humeur.

-Ah c’est ça le problème ? Que je sois pas le premier à être arrivé à ta fête ?

-Quelque chose comme ça oui... elle dit en détournant un peu le regard comme s’il y avait quelque chose qu’elle oubliait ou qu’elle ne voulait pas me dire.

-En fait je crois que tu lui avais promis de venir l’aider à tout préparer pour la soirée.

Je reste un instant sans voix, je me sens un peu con sur le coup, et puis soudain je réalise que...

-Je n’ai aucun souvenir de t’avoir promis ça.

Je dis ça d’une voix égale, sans méchanceté ni ironie, sans aucun sarcasme. Sur le coup je me veux parfaitement sincère.

-T’es vraiment un con Paul ! Tu sais c’est sûrement pas pour rien que personne n’arrive à te supporter.

-Je suis... désolé. Je réponds, dépité. Mais vraiment si je m’en étais souvenu je serais venu t’aider je t’assure.

-Ouais mais voilà, Paul, comme à chaque fois tu ne te souviens que de ce qui t’arrange ! Passe une bonne soirée.

Je ne dis rien et elle se détourne de moi comme si j’étais soudain devenu insignifiant. Et il ne reste que son mec qui reste planté en face de moi et qui ne semble pas savoir quoi faire, perdu lui aussi semble-t-il devant l’attitude de sa meuf. J’en profite tout de même pour le reluquer un peu, et il faut bien admettre qu’il est vraiment bien fait. Et quand je m’apprête à lui adresser la parole, Alice l’appelle au loin et il s’empresse d’aller la rejoindre comme le bon toutou qu’il semble être.

Cette soirée s’avère encore pire que prévu. Je croise Kenji qui selon toute vraisemblance est pas mal pété et même si d’ordinaire ça m'aurait fait rire, dans l’immédiat je trouve ça plus irritant qu’autre chose. Il me raconte qu’il a croisé une fille sublime et qu’il a récupéré son numéro et alors que je lui rappelle qu’il n’est qu’un abruti déjà en couple avec une fille géniale il me répond que je devrais plutôt m’amuser et arrêter de le faire chier, tout ça dit rapidement d’une voix mal assurée, avant de partir, sûrement pour chercher un endroit où vomir.

Je sors donc sur le balcon et la fraîcheur de la nuit à l’extérieur me provoque quelques frissons, ça me fait du bien. Je glisse une clope entre mes lèvres et l’allume et observant la lune énorme et brillante qui baigne la ville d’une faible lueur apaisante.

Je repense à ma vie d’avant, quand j’en avais encore quelque chose à foutre de moi et des autres. Et puis je me rends bien compte que ça ne me fait pas du bien alors je me retourne et je réalise que je ne suis pas seul sur le balcon.

Je ne l’avais pas du tout remarqué car il est adossé contre le mur juste à côté de la porte fenêtre. Et je ne le reconnais pas immédiatement car il a les cheveux plus courts que dans mon souvenir, même s’il a quand même gardé une belle tignasse sur la tête. Et il me regarde un demi sourire aux lèvres et je le trouve tout aussi sexy et attirant que lorsque je l’avais croisé dans cette boite vétuste.

-Camille ? Je demande, un peu interloqué, particulièrement surpris de le retrouver ici.

-Paul. Il dit sobrement son sourire s’élargissant un peu plus encore.

Et au son de sa voix et la vision de ses dents blanches qui apparaissent face à moi je le revois danser dans cette boite et je donnerai cher pour que quelqu’un nous balance la musique de Bauhaus.

-Qu’est-ce que tu fais ici ? Je demande à m’approchant de lui. Et je m’imagine qu’il m’a vu sortir et qu’il m’a observé pendant ma petite remise en question personnelle sous la lune et ça me met mal à l’aise.

-Là sur le balcon ? Ou là à cette soirée ?

-Je... je sais pas. Les deux ?

-Cette soirée c’est parce qu’un ami m’y a invité. Et sur le balcon c’est que je voulais m’isoler pour m’en griller une. Il répond en désignant la clope fumante qu’il tient élégamment à deux doigts. Tout comme toi non ? Toi aussi t’es venu t’isoler sur le balcon. Pour fumer bien sûr.

Je ne saurais dire pourquoi mais je sens comme une pointe de suspicion dans ses propos. Pour me donner contenance autant que pour paraître crédible je tire sur ma clope calmement. Je suis troublé de le voir là. Il ne m’avait rien laissé, pas de numéro, aucun réel moyen de le revoir, tout juste un prénom. Et là il réapparaît tout à coup, toujours aussi tentant, aussi charmant même. Lui aussi tire sur sa clope avant d’enfin se décoller du mur pour venir s’installer, arc-bouté sur ses avant-bras posés sur la rambarde du balcon. Il porte un jeans noir qui met particulièrement bien en valeur ses fesses. En haut il arbore une chemise noire elle aussi et pas mal de bouton sont ouvert sur le devant ce qui me laisse entrevoir une bonne partie de son torse mince et imberbe.

-T’es un pote à Alice ? Il demande doucement.

-Ouais. C’est ça.

-Ok. C’est de toi qu’elle parlait alors en hurlant qu’un certain « Paul » n’était toujours pas là.

-Heu... oui je crois bien que c’est moi. Le connard de service qui ne tient pas ses engagements.

Il me regarde, avec ses yeux verts et profond j’ai du mal à rester de marbre, dans son regard et l’expression du visage montre comme une lueur de compassion. Ou peut-être est-ce que je m’imagine simplement ça.

-C’est une chouette soirée. C’est dommage...

-Dommage ?

-Oui dommage. Dommage que tu tiennes tellement à la gâcher.

-Quoi ? Pourquoi je voudrais faire ça ?

-Je sais pas... c’est plutôt à toi de le dire ça.

-Je comprends pas ce que tu veux dire, Camille.

-Tu veux danser ? Il demande en désignant d’un coup de tête le salon a l’intérieur derrière la baie vitrée.

La musique à présent c’est ABBA et jamais je ne pourrai danser là-dessus, ça serait au-dessus de mes forces.

-Non. Je dis en toute simplicité, et je vois son visage prendre une mine renfrognée.

-Ok. Je vais rentrer.

Il écrase sa clope dans le cendrier laissé là à l’attention des quelques fumeurs et me laisse seul sur le balcon. Et le fait qu’il me laisse comme ça me fait me sentir encore plus merdeux que je ne le suis déjà. Je le suis du regard à travers la porte vitrée qu’il vient de refermer derrière lui, et une fille vraiment jolie s’approche de lui et lui dit quelque chose à l’oreille en souriant. Il semble acquiescer et tous les deux se retrouvent au milieu de la pièce, commençant à danser. Et comme la première fois que je l’ai vu, cette nuit magique en boite ou il semblait s’évader rien qu’en dansant, le revoilà possédé par je ne sais quelle ferveur qui fait de lui le seul être désirable dans cette pièce en face de moi. Et la musique à présent c’est Crystal de New Order et j’aurais réellement aimé danser là-dessus. Avec lui.

Je ne saurais dire pourquoi mais un sentiment de profonde jalousie commence alors à naître au fond de moi. Et je me détourne de la vision de Camille qui commence à attraper cette meuf par la taille. De nouveau mon regard se perd dans la contemplation de la ville calme, si calme, sombre et lumineuse à la fois, sous ce ciel noir et étoilé. D’une pichenette j’envoie voler mon mégot par-dessus la rambarde et j’observe la lumière rougeoyante virevolter dans l’air pour finir par s’écraser au sol dans la rue. Un instant l’idée m’effleure que ce que je viens de faire n’est sans doute pas très écolo ni civique, et je réalise trop rapidement que je n’en ai rien à foutre. Je me retourne et entre dans le salon d’un pas décidé. Kenji est en train de rouler des pelles à une fille particulièrement vulgaire, tous les deux sont installés sur le canapé du salon, sous le regard assassin d’Alice. Je tente de faire abstraction d’un autre couple en train de se déhancher à quelques mètres de moi et me dirige vers mon ami.

-Je peux savoir ce que t’es en train de foutre ? Je demande à Kenji qui met fin à sa tentative de record d’apnée avec la blonde pour me regarder l’air totalement paumé.

-Hey Paul ! Ça va, mec ? Tu trouves des queues à su... oh... !

Tout en me parlant il tente de se lever mais son état d’ébriété avancé a raison de lui et il s’effondre en face de moi, et c’est là que je réalise que de mon côté j’ai bu bien plus que je ne le pensais car quand je tente de le rattraper il me glisse entre les mains partant s’étaler au sol et je manque de peu de l’y rejoindre. Quelques personnes autour de nous s’esclaffe devant ce spectacle et de mon côté je tends une main fébrile à mon ami, qui en l’attrapant me tire à lui j’imagine et j'espère sans réellement le faire exprès, mais j’en viens tout de même à le détester pour ça. D’autant plus qu’au cours de ma chute ma tête semble vouloir faire plus ample connaissance avec une table basse en verre posée là, l’impact me renvoyant un bruit sourd, douloureux et désagréable. Je reste un instant un peu étourdi, j’ai mal et me sens particulièrement con et ridicule. Et je me relève tant bien que mal, aidant cet abruti qui me sert d’ami à faire de même et une fois debout il se tient maladroitement en équilibre prenant appui sur mon épaule. Autour de nous tout le monde a cessé ses discussions et nous fixent et rapidement je vois les yeux teintés de fureur d’Alice se poser sur nous et plus exactement sur moi. Et alors que la douleur au niveau de mon crâne s’intensifie vicieusement, elle commence à nous hurler dessus.

-Qu’est-ce que vous branlez tous les deux ?!

-Qu’est-ce que... quoi ? Je dis en bafouillant et je me rends compte que vraiment l’alcool que j’ai ingurgité jusque-là commence à faire son petit effet.

-On est tombés, c’est tout. Arrive à peu près à articuler Kenji.

Il semble aller de plus en plus mal et je prie pour qu’il ne vomisse pas sur mes pompes. D’ailleurs je remarque une tache sombre sur le bout de ma converse blanche, et je me demande comment...

-Vous savez quoi tous les deux ? Poursuit Alice interrompant ainsi le cours de mes pensées. Vraiment vous m’avez saoulé donc je crois que vous allez vous barrer et rentrer chez vous !

-Alice... je commence en essayant de paraître désolé, visiblement sans grand succès.

-Non Paul ! T’es bourré toi aussi ! Ça se voit ! Casse-toi de chez moi et va emmerder quelqu’un d’autre.

Je ne dis rien, j'évite surtout de lui faire remarquer qu’elle est tout aussi avinée que nous. Et tout en soutenant Kenji tant bien que mal, je prends la direction de la sortie de l’appartement. Je ne réalise pas vraiment comment tout cela a bien pu se produire mais le silence qui nous entoure me met tellement mal à l’aise et je ne me sens plus la force de rester ici de toute façon. Et alors que nous descendons laborieusement les escaliers Kenji et moi, et pendant que je jure intérieurement sur le fait qu’il n’y ait pas d'ascenseur dans cet immeuble, je réalise que j’ai vraiment envie de fumer, et que mon paquet de clopes n’est plus à sa place dans la poche arrière de mon pantalon et que je vais devoir remonter pour le récupérer si je ne veux pas succomber à une envie de suicide d’ici une vingtaine minutes.

Je laisse Kenji assit sur une marche dans l’escalier, et de nouveau je me glisse dans l’appartement et je tâche de me faire discret au milieu des différents invités. Alice et son mec sont en train de réparer nos conneries à Kenji et moi, et je me rends compte seulement maintenant que dans notre chute nous avons renversé la table répandant un joyeux bordel au milieu du salon. Je ne m’en formalise pas et me dirige d’un pas assuré vers le balcon, seul endroit où je me dis que j’ai pu laisser mes clopes. Et coup de bol je les trouve bien là où je pensais les avoir abandonnées, seulement je n’avais pas prévu de les retrouver là dans les mains d’un beau petit brun piochant joyeusement dedans.

-Sers-toi je t’en prie.

-Je me suis dit que tu ne viendrais pas les récupérer après… Après tout ça… Il dit en me désignant le bordel à l'intérieur avec une mine coupable sur le visage tout en rougissant un peu ce qui le rend encore plus craquant.

-Ok je te file une clope si toi tu me files ton numéro…

Je tente ma chance, et alors qu’il a déjà à moitié sorti une cigarette du paquet, il stoppe son geste et me regarde se demandant surement si je suis sérieux.

-Vraiment ? Et tu ferais quoi de mon numéro ?

-Je sais pas. Je me dis qu’un numéro pourrait me permettre de t’écrire, de t’appeler...

J’allume sa clope avec mon briquet avant de récupérer et glisser mon paquet dans ma poche.

-Ouais. C’est effectivement à ça que sert un numéro de téléphone, Paul.

Je perçois sans aucune difficulté le sarcasme dans le ton de sa voix. Il semble vraiment mal à l’aise suite à ma demande et j’hésite à tout simplement le planter là, surtout que je commence à réellement me sentir fatigué l’alcool déjà ingurgité ce soir se rappelant à mon bon souvenir.

-C’est bon si tu veux pas me le donner je m’en remettrai je pense.

-T’es vraiment sûr de ça ?

Il marque un silence tout en cherchant vraisemblablement à décrypter mes intentions son regard brûlant posé sur moi. Et puis il finit par céder et me file son numéro. Je l’enregistre consciencieusement dans mon répertoire au nom de Camille accompagné d’un smiley tirant la langue. Je murmure un simple merci cherchant à camoufler mon soulagement, sans grand succès j’en suis certain. Et finalement je l’abandonne assez vite, j’ai un Kenji - certainement en train de vomir dans les escaliers - à récupérer, tout de même. Et puis la douleur à la tête qui ne me lâche pas, commence à me faire flipper.

__________

Je fume une clope, assis en tailleur sur le canapé. J’ai juste passé un jeans sans rien dessous et reste torse nu. Je porte calmement la cigarette à mes lèvres, inspire et expire la fumée très lentement en écoutant Sunset Lover de Petit Biscuit. J’ai mal à la tête, je n’ai pas dormi et je me sens vraiment très con.

Le salon est dans une demi obscurité, seul quelques rayons de soleil filtrent à travers les rideaux partiellement tirés, cette ambiance me plaît, j’ai l’impression d’être dans une bulle où rien ne peut m’atteindre. C’est sans doute très con mais c’est l’effet que cela me fait.

J’entends du bruit en provenance de la chambre. Kenji vient de nouveau de se péter la gueule en tâchant de se lever, et il est en train de jurer quand il débarque dans le salon, à moitié à poil avec juste un boxer jaune ridicule. Sa mine endormie et renfrognée me fait sourire.

-Qu’est qu’il y a ? Il demande en venant s'asseoir très proche de moi. Pourquoi tu souris comme un demeuré ?

-T’as vu ta gueule ?!

-Et t’as vu la tienne ? Il dit en grimaçant. Tu fais peur...

J’acquiesce d’un léger mouvement de tête. En observant mon visage dans un miroir un peu plus tôt j’avais effectivement constaté le magnifique hématome qui ornait à présent ma joue droite, d’une couleur évoluant entre le vert et le bleu très foncé, témoin de cette superbe et misérable chute.

-T’es conscient que c’est en grande partie ta faute ou pas ? Je demande sur le ton de la conversation.

La mine choquée et surprise qu’il me laisse entrevoir pourrait être comique et même me faire rire si je n’avais pas aussi mal au crâne.

-Pourquoi ça serait ma faute ? Tu t’es étalé comme un con en essayant de... de... ah ouais. Non, non, ok. C’est peut-être un petit peu de ma faute, il dit, la lumière semblant lui revenir tout à coup.

-Tu m’as tiré au sol avec toi connard ! Je dis en lui donnant un léger coup de poing dans le bras. Tu sais que notre chère Alice est plutôt énervée contre nous ?

-Quoi ? Mais pourquoi ? Ça va on a déjà fini bourré chez elle.

-Pas devant « son petit ami ». Et on a explosé la table en verre de ses parents. Enfin... je l’ai explosé mais techniquement c’est plus ta faute que la mienne.

-Elle va me tuer. Elle va nous tuer ! Et elle enterrera nos corps dans un endroit isolé et plus personne n’entendra parler de nous.

-Si ça peut m’éviter d’avoir à écouter tes conneries je veux bien même être enterré vivant.

Il rigole doucement, prend une clope dans mon paquet et encore une fois il me dit que j’ai une mine affreuse et je dresse mon majeur dans sa direction en lui apprenant que je n’ai pas dormi de la nuit.

-Pourquoi t’as pas dormi ?

-Je te surveillais banane ! T’as gerbé tout le long du trajet de retour. Et puis, j’avais des trucs auxquels penser.

-C’est un mec ? Il demande un allumant la cigarette avec un petit briquet bic rose qu’il a trouvé Dieu sait où.

-Peut être...

Je reste énigmatique, pas la peine de trop en dire.

-C’est qui ?

Je lève les yeux au ciel et tente de lui expliquer qu’il est encore trop tôt pour dire quoi que ce soit. Il m’observe l’air sceptique et alors que je prie intérieurement pour qu’il n’insiste pas, ce qui m’éviterait d’avoir à l’envoyer chier, il change de sujet en me remerciant d’avoir veillé sur lui cette nuit. Je lui fais un signe pour lui montrer qu’il n’y a pas de problème. Il finit par se lever et se dirige vers la cuisine avec l’intention évidente de faire couler un café. Il peste un moment se plaignant de la machine, peinant à la faire fonctionner, et me demandant pourquoi je n’ai pas une simple machine à capsule “comme tout le monde” et je lui réponds que ce n’est pas écolo. Il ne semble pas avoir quelque chose à redire à ça, et je l’observe préparer la délicieuse boisson tout en matant son cul.

-Oh heu... si tu pouvais vraiment éviter de me regarder comme ça Paul ça m’arrangerait.

-Quoi ? Je dis prenant l’air le plus innocent du monde.

-Arrêtes ! Joues pas à ça avec moi ! On dirait que tu veux me bouffer. C’est flippant.

-Mais calme toi. Je vais rien te faire, je ne fais que profiter de la vue.

Je l’entends encore jurer dans sa barbe et ça m’arrache un sourire. Il revient s’installer sur le canapé, posant deux tasses de café fumantes sur la table basse, et je réalise soudainement que je n’en ai pas du tout envie, mais je le remercie sans y toucher. J’observe longuement mon téléphone posé sur le canapé à mes côtés, j'hésite longuement, j’allume une nouvelle clope tout en l’attrapant et je commence à écrire un message. Et là je m’y reprends à plusieurs fois, commençant à écrire des mots que j’efface presque immédiatement, ne parvenant pas à trouver une formulation qui me plait. Finalement après plusieurs minutes d’intense réflexion, je finis par envoyer un simple “salut” à Camille, le coeur battant.

-T’es sérieux ? Tu pianote sur ton téléphone vingt minutes pour finir par juste envoyer “salut” ?!

Je me tourne vers Kenji que j’avais presque oublié, ce petit enfoiré était occupé tout ce temps à lire par-dessus mon épaule. Et il me demande l’air de rien qui est Camille.

-Tu sais que c’est hyper mal poli de lire les SMS des autres ?

-Disons que c’est ma vengeance pour m'être fait reluquer le cul ! Alors, qui c’est ?

-Un mec… On s’en fout !

-Vraiment ? Un mec ? Non Paul alors… Tu serais… homosexuel ?

-Putain ta gueule t’es vraiment trop con !

-Allez, vas-y, balance, c’est qui ce mec ?

-C’est… Un mec… Pas mal. Il est plutôt intéressant.

-Oh Paul, on réfléchit pas aussi longtemps pour envoyer un SMS pour une personne juste “intéressante”. Tu peux le dire, il te plait ?

-Ouais, ouais ça va. Ouais il me plait vraiment, j’avoue finalement.

-C’est quel style ? Un beau blond, grand et un sourire charmeur ?

-Le sourire peut-être charmeur oui, quand il est décidé à sourire mais c’est pas si évident. Sinon il est plus petit que moi et brun les cheveux longs… très longs. Et ses yeux… bref. Ouais il me plaît, sûrement un peu trop.