VIII. Folie
Idéal
— Je vais tomber amoureux de toi.
Elle a quitté le ciel des yeux pour me regarder, moi. On se fixait, en pleine nuit, près d’un banc un peu trop tagué par la vie et par la fougue d’une jeunesse en rébellion, près d’un bowling un peu crasseux où nous avions refait le monde et près des étoiles où elle m’avait dévoilé un peu ses états d’âme. Son regard pesait sur moi et alors que j’allais lui dire à quel point je devenais fou d’elle, j'apercevais déjà sur son visage l’expression qui dit “Non, ne dis pas ça”.
- Je ne dis pas ça pour que tu sois effrayée. Je ne dis pas ça pour te réconforter ou parce que j’ai envie de te baiser. Je te dis juste ça parce que je sais que je vais tomber amoureux de toi sans pouvoir y échapper, insistai-je. Peut-être que ça ne nous mènera nulle part, je ne veux pas le savoir. Peut-être que ça ne changera rien à ta façon d’aborder le monde, à tes blessures ou à la joie de vivre, peut-être que ça ne change rien du tout pour toi mais pour moi, ça change tout.
Elle m’a regardé, longuement. Les secondes m’ont paru des heures, elle semblait chercher la réponse parfaite qu’il fallait me donner.
- Fumer te va bien.
Je me tenais là, à côté d’elle, une clope à la main et une déclaration dans la bouche. « Fumer te va bien» .C’était tout ce qu’elle avait réussi à me répondre. Elle avait dit ça sur un ton léger et ça sonnait comme un « tu es beau » ou un « je te désire ». Putain. J’avais envie de lui répondre qu’à elle, tout lui allait bien et même la clope aurait pu lui aller sauf qu’elle était beaucoup trop pure pour enfumer ses poumons. J’avais envie de lui répondre que c’était le compliment le plus étrange et à la fois la plus belle chose qu’elle pouvait me dire. En fait, non, je n’avais même pas envie de lui répondre, j’avais uniquement envie de l’embrasser. Aime-moi, putain.
- Et toi, tu comptes m’aimer ?
Elle a souri. Tristement.
- Je ne sais pas aimer, m’a-t-elle répondu.
- Je peux t’apprendre.
- J’aime mal, je crois.
- Je peux t’apprendre, je viens te le dire, ai-je rétorqué.
- Tu ne devrais pas prendre ce risque.
- Qu’est-ce que je risque au juste ?
- Je te forcerais sans doute à partir.
- J’ai plus de force que toi, petite.
C’était vrai, à côté de moi elle paraissait être une brindille.
- Mais je suis plus maligne.
Ça, c’était probablement faux.
- Tu ne voudras pas me faire partir, je suis drôle, je suis intelligent, je prendrais soin de toi, je n’oublierais jamais ton anniversaire ni le nôtre, je te cuisinerais les meilleures lasagnes du monde et je te ferais l’amour sans jamais en être lassé.
Sur ces mots, son sourire est parti et la chaleur de ses joues est revenue. Plus aucun doute, ce n’était pas la timidité qui leur donnait cette couleur.
- Je te ferais partir parce que je ne croirais pas tes “je t’aime”.
- Ça tombe bien, je ne te les dirais pas.
- Alors je te ferais partir parce que tu ne me les diras pas.
- Tu es bien compliquée, petite.
- Folle, peut-être.
- C’est exactement ça, c’est un dialogue de fous que nous avons là.
- C'est le cas depuis le début de la soirée.
- Je vais t’embrasser.
- Tu n’es pas assez fou pour le faire.
Je me suis approché d'elle et elle m’a laissé faire. Plus je m’approchais, plus son parfum de vanille m’enivrait. Ai-je dit que je détestais ça ? C’est faux, c’est devenu mon parfum préféré. Délicatement, avec une sensualité extrême, elle a défait son chignon pour attiser mon désir. Je le savais. Je me suis approché encore, jusqu’à sentir le feu de ses joues sur les miennes. Ses lèvres au bord des miennes, il m’a semblé y deviner son pouls. De mes mains j’ai saisi sa taille pour me rapprocher et je l’ai embrassée. Elle était douce, ses lèvres étaient douces, sa langue suçant la mienne était douce, ses mains dans mes boucles étaient douces, son bassin se collant un peu trop fort au mien était doux et, même moi, je me surpris à être doux.
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