Epilogue

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  Depuis cette nuit d'épouvante, je n'ai plus de visite de mon harceleuse éthérée. Je n’ai parlé à personne de ce qui m'est arrivé. Je n’en ai pas envie, et puis personne ne me croirait. J’essaye tant bien que mal d’aller de l’avant ; mais tout est différent. La foule de gens que je croise chaque jour me parait aussi inconsistante que celle qui m'a fait connaître la peur à l'état pur. Et pourtant, je me surprends parfois à ressentir un sentiment effroyable que je tente de réprimer aussitôt. Le désir. Celui de sentir à nouveau sa présence. De voir enfin son visage. Parce que je sais qu’elle m’aime aussi sûrement qu’une mère, aussi farouchement qu’une amante. Je le sens aussi fort que la terreur que me procure l'idée qu'elle se manifeste à nouveau. Parce que je crois que ça me tuerait. Aujourd'hui encore, j'ai joué le rôle qui m'est attribué dans la parodie d'orchestre qu'est notre société, jouant ma partition note après note. Métro, boulot, et bientôt dodo. Le tout saupoudré de mauvaise humeur et de plaintes à peine interrompus par d'éphémères étincelles de bonheur. Mon bus arrivé près de ma résidence, j'en descends nonchalamment pour découvrir une armada de pompiers et de policiers massée autour de mon bâtiment. Tout un tas de voisins et de résidents dont je ne connais que vaguement le visage et les habitudes exaspérantes grouillent comme des fourmis. Un policier m'arrête net pour me demander : "Vous habitez ici ?" Je ne me suis même pas rendu compte que j'avais continué d'avancer pendant que j'observais tout ce petit monde.

"Euh, oui, pourquoi ?

- Un couple de jeunes gens a été retrouvé mort dans l'appartement 203, au deuxième. Duval Jérémie et Liétard Justine. Ça vous dit quelque chose ?

- Vaguement ; mais je ne fréquente pas les gens d’ici. Désolé. Je peux y aller ?

- Bien entendu. (Il me tend une carte) Si quoique ce soit vous revient, n'hésitez pas à appeler à ce numéro.

- Merci."

Je fourre la carte dans la poche de ma veste et entre dans ma résidence, l'estomac noué. Bien sûr que je les connais ces deux-là. Ce sont, ou du moins c’étaient, mes voisins du dessus. De foutus cafards bruyants dont j'ai souhaité mille fois les pires morts et les tourments les plus cruels. Et maintenant ils sont morts. Morts ! Je prends mon courrier, lutte contre les tremblements pour parvenir à fermer ma boîte aux lettres, et monte mécaniquement les marches qui mènent au premier étage. J'ouvre la porte de palier qui mène au couloir où se situe mon appartement et m'arrête, secoué par une déferlante d'émotions, toutes plus angoissantes les unes que les autres. Le couloir me parait faire des kilomètres. J'ai le sentiment que je n'arriverai jamais à le traverser pour atteindre mon appartement dont la porte brune se découpe à son extrémité. Je m'engage pas à pas, pris d'un tournis aussi violent que celui d'un fêtard en fin de soirée. Mais sans l'euphorie qui l'accompagne. Moi, c'est la peur qui marche dans mes pas, qui m'habite, me susurre les pensées les plus affreuses. Je vacille et m'appuie contre le mur. De grosses gouttes de sueur froide perlent sur mon front et ma nuque. J'ai l'hideuse sensation d'être responsable de la mort de mes voisins. De les avoir tué. Et je n'en éprouve que terreur et dégoût de moi. Je titube jusqu'à ma porte, cherchant tant bien que mal la clef du verrou supérieur. Quand mon pied se pose sur mon paillasson, je sens quelque chose s'écraser sous ma semelle. Je soulève mon pied, baisse les yeux, et recule, effaré. Je tombe sur mes fesses, et me mets à trembler comme une feuille, les yeux écarquillés et injectés de sang par un effroi incontrôlable.

  Sur mon paillasson, git l'expression de l'amour passionnel et d'un désir inextinguible, sans limites.

  Une rose rouge.

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