Prise de pouvoir

4 minutes de lecture

Alysia savourait sa victoire en silence. On l'avait amené dans la chambre de Kalis, plus grande et plus adaptée à son nouveau rang. Assise sur le rebord de la fenêtre, elle contemplait l'horizon d'un air absent.

—    Tu l'as empoisonné, n'est-ce pas ? déclara Rän en refermant la porte.

—    Oui, répondit-elle, évasive.

Elle se remémora son détour dans les allées du château, juste avant le combat. Elle avait ingénieusement subtilisé l'une des fioles safréennes, dont la substance était reconnue pour faciliter le sommeil ; du moins, à faible dose. Elle l'avait ensuite versée dans la gourde de son frère. La simplicité était telle, qu'elle n'en avait éprouvé aucun plaisir. Elle l'avait fait avant tout par nécessité. A présent, ce n'était qu'une question de temps avant que le monde ne change irrémédiablement.

Alysia devint dès lors l'héritière légitime au trône des Terres Ocres. La nouvelle s'était rapidement répandue, réjouissant les uns et indignant les autres. Une femme au pouvoir ? Quelle indignité ! Elle recevait des cours avec les meilleurs professeurs et grandissait sous la surveillance possessive de Rän.

A seize ans, elle était devenue maître dans l'art de la manipulation. Esprit rusé, elle n'hésitait pas à employer tous ses charmes pour mener les hommes dans la direction souhaitée. De par son sexe, personne ne se méfiait d'elle, facilitant l'aboutissement de ses plans. Seul le roi semblait éprouver un certain malaise en sa présence, tâchant de rester le plus à l'écart possible de sa progéniture.

Quand elle eut atteint l'âge raisonnable de vingt ans, la saison des sables approchait à sa fin, remplacée par des pluies torrentielles. Une nuit, elle fit mander Rän dans ses appartements. Il avait beau n'avoir qu'une cinquantaine d'année, les Ocrelois ne possédaient pas l'espérance de vie la plus élevée des Quatre Terres. Ainsi, c'était avec peine qu'il arriva à la porte de la princesse. Elle était assise devant sa table de travail et leva les yeux vers lui lorsqu'elle l'entendit entrer.

—    Le jour est enfin arrivé, Rän ! souffla-t-elle d'une voix fiévreuse.

—    Crois-tu que ce soit le bon moment ? demanda-t-il, dubitatif.

—    Nous n'avons jamais été aussi prêts, affirma-t-elle. Nous devons agir demain. Le roi doit se rendre au conseil des grands sages pour débattre de l'exode, ce qui réduit considérablement le nombre de gardes à éliminer. Sur le trajet, seulement quelques-uns seront dressés entre lui et nous. Tu sais comme moi qu'une flèche bien placée peut faire des dégâts.

Le gardien demeura pensif pendant un long moment. Ils avaient échafaudé des plans bien plus aboutis, mais c'est celui-ci qu'elle avait retenu.

—    Si l'on se fait prendre, nous serons écorchés pour trahison, souligna-t-il.

—    Ce ne sera qu'une torture de plus à endurer, déclara-t-elle avec ferveur.

Les châtiments ne s'étaient pas arrêtés après le combat décisif. Ils ne comprenaient, certes, plus l'aspect physique ; ils n'en étaient pas moins douloureux. Elle regrettait parfois la franchise des machines à faire mal, comme elle les appelait étant plus jeune.

—    C'est d'accord, abdiqua Rän. Demain, le roi sera mort.

Le plan avait changé. Le souverain avait annulé son entrevue. Alysia ne supporta pas de devoir encore attendre, les conseils et les mises en garde de Rän n'y firent rien. Elle prit la direction des appartements de son père et ordonna, avec véhémence, qu'on lui accorde une visite.

—    C'est une affaire de la plus haute importance, avança-t-elle. Le roi doit être prévenu de toute urgence. Je suis certaine que l'on peut s'arranger, ajouta-t-elle en s'approchant sensuellement de l'un des gardes.

Ce dernier jeta un regard entendu à son binôme et partit prévenir le roi, des idées de luxure plein la tête. Quelques minutes plus tard, la princesse fut autorisée à pénétrer dans le bureau de son père. Elle avança la tête haute, mais ne prit pas la peine de le saluer, ce qui lui valut un regard dédaigneux. Peu importait, les yeux ne pouvaient tuer.

—    Que me veux-tu ? s'enquérit-il en lui tournant le dos.

Alysia attendit qu'il lui fît de nouveau face avant de répondre.

—    C'est une affaire de la plus haute importance. Je suis certaine qu'elle bouleversera les Quatre Terres.

Le seigneur leva un sourcil, songeur. De quoi pouvait-elle bien lui parler ? Il se saisit d'une tasse de thé, réfléchissant à la question.

—    Il va falloir être plus clair, confessa-t-il en buvant plusieurs gorgées.

—    Je suis là pour vous avertir de votre mort.

Surpris, le roi rit nerveusement. Il savait que sa fille souhaitait le voir périr. Il avait espéré pouvoir la tuer accidentellement, mais elle était bien plus forte que prévu. Les mauvaises herbes résistaient toujours.

—    Et comment comptes-tu t'y prendre ? demanda-t-il d'un ton qui se voulait détaché.

Alysia fit un geste vers la tasse que tenait le Maître.

—    C'est déjà fait, dévoila-t-elle.

Le souverain se sentit soudain pris d'une violente nausée. Il rendit l'intégralité de son estomac en trois spasmes successifs. Les jets étaient si violents, qu'ils recouvrirent les meubles et rideaux de la pièce, jusqu'aux pieds de la princesse. L'homme tomba à genoux.

—    Gardes ! cria-t-il.

—    Ils ne viendront pas.

Rän venait de franchir le seuil de la pièce. Il ne put retenir un grognement en respirant l'odeur acide.

—    Toi ? hurla le roi. Comment as-tu osé. Je te faisais confiance !

—    De quoi parle-t-il ? demanda Alysia.

Rän conserva le silence.

—    Il devait te conduire à ta perte, l'informa le roi dans un râle. Il a trahi sa parole.

La jeune noble saisit en un instant l'impact de ces mots. Elle comptait garder cette précieuse information dans un coin de son esprit. Le temps lui soufflerait la bonne décision à prendre. Pour le moment, elle s'attacha à contempler l'agonie de son père.

Le poison finit d'achever le mourant. Ses yeux sortirent de leurs orbites en laissant des traînées de sang sur le visage immaculé. Il luttait pour respirer. Sa peau dorée devint grise et se déchira par endroit sous l'effet d'une rétractation intense. Son cœur s'arrêta de battre dans un dernier craquement, la colonne vertébrale venait de se rompre. Rän brisa le silence morbide.

—    Le Roi est mort. Vive la Reine.

Annotations

Vous aimez lire Delombre ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0