L'obscurcissement

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Chacun redoutait Alysia, la monstrueuse. Les autres peuples avaient fait construire des murs à leurs frontières, redoutant une invasion. Au sein des Terres Ocres, l'horreur était à son apogée. Les hommes, si longtemps au pouvoir, étaient réduits à remplacer les femmes dans les tâches ingrates. Afin de limiter les naissances, on leur coupait les testicules à l'aide d'une hache chauffée à blanc. Cela avait le double avantage de réduire la reproduction ; mais également le nombre d'hommes, la plupart mourant des suites de l'opération.

Les femmes quant à elles, n'avaient jamais été aussi liées. Pantins aux fils invisibles, elles accomplissaient les ordres de leur reine. Les Viridiennes, Safréennes et Nacarantes qui avaient suivi Alysia dans leur prison dorée, perdaient peu à peu leur couleur d'origine, au profit du pigment typique des Ocreloises. Peu importait la couleur ; le sang était rouge.

Le pouvoir, qui coulait dans les veines de la reine, semblait s'intensifier de jour en jour. Le sol perdait sa couleur, remplacée par un gris tirant sur le noir. Les Terres Ocres devenaient Terres Sombres. La souveraine passait des heures dans la bibliothèque, déchiffrant des parchemins de l'ancien temps à la recherche de réponses. Elle commençait à perdre patience, lorsqu'elle trouva enfin un vieux livre relatant de la création du Monde.

On dit qu'Arkos est à l'origine de la Vie. Souhaitant montrer l'étendue de sa grandeur à son frère Dyalinos, il aurait créé le Monde : son plancher, ses airs, ainsi que les êtres vivants qui le composaient. La plus grande de ses créations serait l'Homme, qu'il aurait fait à son image. Dyalinos, réfutant l'autorité de son semblable, le mit au défi de répondre à une énigme. Si cet être doté de vie reflétait notre Créateur, que toute chose s'équilibrait au profit du bien, alors qu'elle était la partie sombre de sa fabuleuse conception ? Arkos répondit que la lumière remportait toujours la victoire et que le Monde n'avait de place pour l'obscurité. La nuit ne durait qu'un temps, les Soleils finiraient toujours par éclairer les jours. Dyalinos se mit alors en retrait, attendant l'évolution des humains. Quelle forme le mal allait-il prendre ?

Le dieu des ténèbres pensait que le bien et le mal s'équilibraient dans une parfaite osmose. La malédiction des jumeaux était due à cette binarité. L'un des enfants renfermait le côté lumineux, tandis que l'autre, le côté sombre. C'était également le cas entre les hommes et les femmes. L'un des deux était irrémédiablement un monstre, par défaut. Le dieu de lumière finit par comprendre quelle forme avait pris la noirceur dont son frère parlait. Le poison s'était insinué dans les veines féminines, la face lunaire du monde des hommes. Cruel dessein, pécheresses corrompues, les femmes semaient le chaos sur leur passage, dominant les hommes par leur ruse démoniaque. Le Créateur prit alors la décision de retirer le mana aux humains, source même qui leur avait donné la vie. Ainsi privés de leur pouvoir, les hommes et les femmes étaient à présent égaux. L'oubli se fit une place dans leur mémoire, balayant les temps sombres au profit du renouveau. Inconsciemment, les rois s'attachèrent à écarter le sexe féminin du pouvoir, le domestiquant afin de mieux le contrôler.

Alysia interrompit sa lecture. Elle commençait à entrevoir les forces invisibles qui régissaient le Monde. Elle prenait conscience de sa véritable nature, acceptant ses forces et ses faiblesses. Elle se dirigea vers le balcon donnant sur les Carrières de Métal. Elle pouvait apercevoir l'obscurcissement émaner de ses terres, gagnant chaque jour du terrain. Elle en était à l'origine. Elle avait réveillé la partie d'elle-même qui lui manquait. Peut-être les Quatre Terre étaient-elles les dernières à se libérer de la volonté de leur dieu.

Aucun homme n'ayant eu la présence d'esprit de boire l'eau de la source, le Bien ne s'opposerait à elle. Arkos avait échoué. Les ténèbres sont bien plus puissantes que la lumière. Les femmes étaient à l'image de Dyalinos. Bientôt, elle les libérerait de leurs chaînes. L'anam volé coulerait à nouveau dans leurs veines et elles établiront leur règne dans un monde à leur image, un monde de cendre.

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