L’invitation 

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Les jours passèrent et la routine reprit. Aucune nouvelle de David depuis cette fameuse nuit. Qu'était-il advenu de Jack ? Mille questions se bousculaient dans la tête de Laura. Le pourquoi, le comment, le qui aussi ? Si David ne se décidait pas, elle lui demanderait des explications. Il valait sans doute mieux cependant qu’elle ne revoie pas Jack. Cela faisait cinq jours que cet homme était apparu abruptement dans sa vie et elle n’arrivait pas à l'oublier. Elle avait l’impression de se retrouver vingt ans en arrière. Il réveillait chez elle des sensations oubliées. Son cœur s’emballait dés la première seconde. Comme électrisée, troublée, elle sentait une chaleur monter et rougissait à peine avait-il posé ses yeux sur elle. Malgré le sentiment de honte qui remontait en fantasmant sur un homme en état de faiblesse confié à ses bons soins, elle s’imaginait sans mal dans ses bras. Ses pensées s’exaltaient au simple souvenir du contact furtif de sa peau contre la sienne, lors de sa chute, ainsi que son apparition dans sa cuisine.

Il fallait qu’elle se ressaisisse. Elle ne le reverrait très certainement jamais. Et puis, cette attirance physique n’était sans doute pas réciproque. Ses complexes reprirent le dessus.

Un matin, elle reçut le coup de fil d’un fleuriste qui s’assurait la présence d'une personne au domicile pour une livraison. Intriguée, Laura se demandait qui pouvait bien lui envoyer des fleurs. Peut-être était-ce Adrian, l’homme qui partageait sa vie encore quelques mois auparavant ? Une histoire compliquée qui avait débuté quinze ans plus tôt. En bon menteur qu'il était, il avait réussi à la mener en bateau jusqu'à ce qu'un collègue ne lâche le morceau et qu'elle  y mette fin. Fraîchement  divorcé, il avait tenté de la reconquérir mais la confiance n'était jamais réellement revenue. Lasse, elle avait pris la décision de tout arrêter, sans regrets.

Vers onze heures, les fleurs arrivèrent. La composition était tellement énorme que Laura prit le paquet avec difficulté pour le déposer à l'aveuglette sur la table de la salle à manger. Elle roula des yeux ronds comme des billes lorsqu'elle recula pour mieux le voir. Un magnifique bouquet aux teintes pastels de pivoines, de roses et de primevères. Elle n'avait qu'une notion assez vague du langage des fleurs, mais la livreuse lui avait fait remarquer qu'elle avait dû rendre un immense service. Une enveloppe y était glissée dans laquelle figurait un message manuscrit à l’écriture belle et fine : De tout cœur merci. Jack. Elle resta un moment à fixer le bouquet puis le mot, surprise par ce geste. Pas le temps de rêver : il fallait partir au travail.

Aujourd'hui, elle se trouvait au guichet de la gare de Fontainebleau. Les gens faisaient la queue sans qu’elle y prête d’attention particulière. Sa concentration était focalisée sur le tableau qu’elle remplissait à la suite de chaque après-vente de pass voyage quand soudain :

— Bonjour...

Laura releva lentement la tête. Elle reconnaîtrait cette voix entre mille, chaude, sensuelle. Muette, elle le fixa un moment avant de reprendre ses esprits. Il sourit.

— Bonjour... Que...

— Je ne vais pas vous retenir longtemps, vous avez du travail. Avez-vous reçu le bouquet ?

— Ah, heu, oui... merci... il est magnifique mais il ne fallait pas!

— C'était la moindre des choses. Je suis content qu'il vous ait plu, répondit-il en affichant un sourire qui dévoilait une dentition parfaite. J'ai demandé à David quelles étaient vos fleurs préférées mais il n’a pas su me dire…

— C'est qu'en fait je n'ai pas de préférence mais, comment…

Il lança un bref regard derrière lui.

— Ça s'impatiente derrière. Je vais vous laisser. À bientôt Laura, chuchota-il.

Elle le salua d’un petit geste de la main en accueillant la personne suivante. Les heures défilèrent et les clients s'enchainèrent jusqu'à dix-neuf heures quarante : moment de compter sa caisse pour sa fin de service prévue à vingt heures. Le fait de voir Jack à nouveau l'avait rendue joyeuse et le temps était passé sans qu'elle ne s'en rende compte. David donna des nouvelles dans la soirée et il vint manger avec sa famille quelques jours plus tard. Elle espérait aborder le sujet Jack mais il bottait en touche à chaque fois. Dans la cuisine, il lui expliqua que Cathie, sa femme, n'était au courant de rien.

Son bel apollon se présenta chez elle ; mais le moment semblait mal choisi :

— Ah... je suis désolé... vous sortiez ?

Comme à son habitude, elle resta bouche bée. Il fallait qu'elle arrête. Il allait finir par croire qu'elle était idiote.

— Oui... bonjour... non... enfin, c'est pas important, je peux y aller plus tard.

— Je ne voulais pas vous déranger, je vais aller à l'essentiel... Je m'y prends tard et sans doute maladroitement mais... J'aurais aimé vous inviter... Une soirée caritative est organisée par des amis de ma famille et je me demandais...

Le temps s'arrêta. Laura n'en croyait pas ses oreilles.

— Laura ?! vous allez bien ?

— Oui, oui... hum... Vous m'invitez à une soirée chez vos amis... répéta-t-elle.

Jack perçut son trouble. Pensant qu’elle refusait cette une invitation prématurée et peu commune, il s'apprêtait à prendre congé lorsque :

— J’accepte !

— Parfait ! dit-il, soulagé. Voici mes coordonnées.

Elle regarda la carte un moment après son départ. Jack Holcarter. Mount Sinaï Hospital. Médecin ? à New-York ?! Il était américain... elle sentit son côté midinette prendre le dessus comme une adolescente. Elle était tellement sur son petit nuage qu'elle en oublia, sur le moment, de faire ses courses. Comment s’habiller ? Se coiffer ? Se maquiller ?

Après avoir fait le tour de sa garde robe, elle s'affala sur son lit, désespérée. Elle n'avait rien qui convenait à une soirée mondaine. Ils avaient convenu par téléphone, qu'il viendrait la chercher vendredi soir à dix-neuf heures trente. David l’appela pour l’inviter à dîner ce même vendredi soir. Il se moqua d’elle lorsqu’elle lui expliqua qu’elle n’avait rien à se mettre après s’être étonnée que lui-même ne soit pas invité et il raccrocha sur : "bisous amuse-toi bien avec Jack". Elle pensa un instant demander à sa meilleure amie Isatis mais se ravisa en décidant qu'elle porterait sa classique petite robe noire. Droite, courte, pas trop près du corps pour permettre à ses rondeurs, dû au décès de sa mère, de passer inaperçues. Elle mettrait l'accent sur les accessoires, le maquillage et la coiffure. N’étant pas douée en ce qui concerne tout ça, elle téléphona à la femme de son neveu qui était maquilleuse pro, sa nièce, sa meilleure amie et son coiffeur.

Deux jours la séparait encore de cette soirée. Rien qu'à l'idée de le revoir, un sourire rêveur s'affichait sur ses lèvres. À trente-neuf ans, elle ne pensait plus avoir de coup de foudre. Pour elle, les sentiments étaient plus posés, plus réfléchis. Cela faisait tellement longtemps qu'elle n'avait pas ressenti ça qu'elle s'en pensait définitivement à l'abri. Il fallait qu'elle redescende cependant car il ne partageait sans doute pas son ressenti. Elle ne connaissait pas son âge mais il lui semblait qu'il avait à peu près le même que David donc aux alentours de trente-huit ans. Un homme si charmant ne pouvait pas être encore célibataire. Á priori, pas de femme ou de fiancée sinon il ne l'aurait pas conviée et serait encore moins venu la chercher. Roulant les yeux, elle s'imagina Jack gay. Un coup de sonnette le jeudi, onze heures trente, lui réserva une surprise énorme. Un livreur, encore ! Des boîtes comme on en voit dans les films. Il traversa l’entrée puis le couloir afin de les déposer sur la table de la salle à manger. Circonspecte, elle examina du regard ces boîtes mystérieuses. Les boîtes affichaient un logo de boutique de luxe parisienne. Jack, ça ne pouvait être que lui. Elle ouvrit la petite enveloppe : Je suis désolé de vous avoir mise dans l'embarras. Un petit oiseau m’a soufflé quelques secrets… J’espère que cela vous plaira… À très vite…

Elle resta un moment interdite. Ce mot, elle le relut plusieurs fois n'en revenant pas. Elle le serra sur son cœur. Il lui restait à ouvrir les boîtes sans avoir de crise cardiaque. Elle enleva délicatement le nœud qui scellait la plus grande. Elle y découvrit une magnifique robe de soirée, bleu canard : sa couleur préférée. D’inspiration grecque, maintenue sur l'épaule gauche par une bretelle légère en strass elle mettait la poitrine en valeur. Petit détail, elle semblait être à sa taille. Sacré David ou plutôt sacré petit oiseau. Dans l'autre boite il y avait les chaussures assorties. Elle soupira de soulagement, les talons ne mesuraient pas plus de 5 ou 6 cm. Elle fonça dans sa chambre avec la robe tout en valsant sur une musique imaginaire. Face au miroir de plein pied, elle la plaça devant elle. Elle avait rencontré son prince. C'était incroyable ! Finalement, elle ne le laissait pas indifférent mais… même si elle éprouvait quelque chose pour lui, elle n'était pas du genre à se jeter au cou du premier venu. S'il espérait après cette soirée en faire son énième conquête, c'était raté. Séduisant comme il était, il devait avoir l'habitude qu'on lui tombe dans les bras au moindre sourire. Rêveuse, elle revit ce sourire, ses yeux d'un magnifique vert dans lesquels elle se perdrait volontiers. Revenant à elle, elle rangea la robe sur un cintre et l'accrocha dans sa penderie avec les chaussures à proximité. Seize heures trente ? Déjà ? Elle attrapa ses affaires rapidement et partit au travail. Regardant l'heure, elle courut pour ne pas arriver en retard. Vendredi, quatorze heure, arrivera vite…

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