Engagements ...
Les résultats du deuxième trimestre étant aussi désastreux que ceux du premier, j'eus le courage d'affronter la discussion avec mes parents aussi courroucés que navrés...
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J'en ai assez des études, ça ne rentre plus dans ma petite tête... et puis je n'ai ni l'envie ni le goût d'apprendre ; en cours j'attends que l'heure passe en pensant à tout autre chose qu'à ce que nous explique le prof …
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Mais Patrice que vas-tu faire, sortant de l'école sans aucun diplôme ? Tu ne peux prétendre à aucun poste valorisant sinon n'être qu'un exécutant de bas étage, un ouvrier même pas qualifié, un manœuvre à la petite semaine – rétorqua ma mère profondément dépitée...
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Un métier manuel ça s'apprend en entrant en apprentissage - rétorquais-je - j'ai plus que l'âge pour être embauché comme apprenti.
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Mais dans quel métier, tu n'es, non plus, pas très habile de tes mains...
J'étais bien embarrassé pour répondre à cette question, n’ayant pas la moindre idée de ce que je voulais et pouvais faire comme apprentissage sinon m'essayer au dessin industriel, filière que mes parents avaient déjà écartée. Et là, ce n'était pas le moment d'en rajouter une couche avec ce qui, pour eux, n'était qu'une lubie de ma part. C'est mon père qui vint à la rescousse en proposant :
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Et si tu t’acquittais de ton service militaire en devançant l'appel. Tu en as la possibilité puisque tu as maintenant 18 ans. - Ma mère sursauta…
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Marcel ! Mais tu n'y penses pas sérieusement … Patrice est vraiment trop jeune pour partir à l'armée et c'est encore la guerre en Algérie, ils vont l'envoyer là-bas c'est sûr !...
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Non Suzanne, les accords d'Evian viennent d'être signés. En devançant l'appel, il aura le choix des armes et du lieu d'incorporation... - J'en profitais pour sauter sur l'occasion...
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Ah oui, faire mon service armée maintenant voilà qui finalement m’avancerait, me permettrait de rattraper un peu du temps perdu, surtout que pendant ce temps de service, j'aurai le temps de réfléchir à ce que je pourrai faire à ma libération. - Ma mère était horrifiée par une telle proposition.
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En fait -, renchérit mon père - ce n'est pas une si mauvaise idée et puis voilà qui va un peu dégourdir Patrice, sans doute le « réveiller », lui faire découvrir les côtés un peu plus rudes de la vie ; ça ne peut que lui être profitable. - Je pensais exactement comme mon père, aspirant aussi à plus de liberté et être comme les grandes personnes plongées dans la vie active. Ainsi, effectuer son temps d'armée, constituait la transition idéale pour acquérir cette autonomie à laquelle tant de jeunes gens rêvent... Ma mère sentit bien que cette connivence établie dans l'instant entre mon père et moi, tenait déjà de la résolution quasi irrévocable et que s'y opposer serait vain. Elle demeura silencieuse, souhaitant en elle-même, que ce projet ne se réalisât pas.
Pourtant, quelques jours plus tard, à Poitiers, au bureau du recrutement armée, accompagné de mon père, l'officier qui nous reçut, prodigua tous les renseignements consécutifs à un engagement volontaire par devancement d'appel, nous exposant les droits et les obligations y attenant. Il constitua un dossier, me proposant de faire mon service armée dans l’Intendance où il y avait, en outre, la possibilité de faire carrière comme officier pour peu que je suive le cursus sur 3 années de formation spécifique, au delà du temps légal du service. Nous repartîmes avec ce flot d'informations.
Au cours du diner, nous discutâmes de ces possibilités de carrière, déjà pour rassurer ma mère, lui expliquant que l'intendance n'était pas une arme comme les autres mais constituait le service logistique des armées. Son rôle étant de pourvoir aux besoins vitaux et matériels des troupes et des casernements. L'intendance c'était à la fois la grande halle aux vivres et le super entrepôt des ustensiles et matériels pour corps d'armée, un hyper hyper marché en quelque sorte... Et, cerise sur le gâteau, les intendants supérieurs, de par leur grade, avaient vocation de VRP, étant en relation commerciale avec les sociétés, grandes entreprises et autres, manufactures du civil. Leurs fonctions leur permettaient d'évoluer non pas en tenue militaire mais en costume de PDG. Bien sûr, me concernant, on en était pas là... mais, les perspectives étaient alléchantes et, le plan de carrière, tout à fait honorable, pour peu que je m'y tienne assidûment.
La semaine suivante je signais mon contrat d'engagement pour deux ans. 15 jours plus tard, j'allais à Limoges faire mes « Trois jours » ( qui, en fait, ne duraient que 48 heures...) à la caserne de recensement et de la sélection militaire : examens de contrôle du niveau intellectuel, tests psychologiques, tests d'aptitudes physiques avec visite médicale à la clef, sont imposés à chaque postulant avant d'obtenir l'approbation définitive d'incorporation. Au cours du voyage en train - il fallait presque deux heures au tortillard de la ligne pour joindre Poitiers et Limoges - j'étais tombé sur d'autres conscrits, eux aussi, en route pour accomplir leurs « Trois jours » si bien qu'ayant sympathisé à la hâte, nous avons mis joyeuse mais bruyante animation dans quelques compartiments. Chaque phrase et éclat de rires de ces drilles, étaient ponctués d'un « oh enculé ! » tonitruant ou d'un « attention les yeux !» rigolard et redondant… En fin de compte, quelques jours plus tard, par missive officielle du bureau de recrutement, je fus déclaré bon pour le service et informé que je serai appelé au Centre d'Instruction N° 2 de l’Intendance à Angoulême, dès le début de l'été suivant.
Nous étions fin Avril 1962. Toutes ces démarches s'étaient accompagnées de mon retrait du Lycée. Le Proviseur H. C. avait proposé que je me présente à l'examen du BEPC en Juin, de façon à ce que je sorte de la scolarisation avec un diplôme correspondant à mon niveau ; c'était tout à fait à ma portée. Ainsi, tout au cours de ces mois du Printemps, me suis-je remis à potasser, révisant mes cours de 3ème avec, cette fois, beaucoup d'assiduité et un engagement total dans l'accomplissement des exercices de toutes les matières au programme du BEPC. Je passais toute mes matinées au bureau dans ma chambre, griffonnant, prenant des notes, réalisant moult calculs et croquis. Les journées passèrent en douceur et ma mère rassurée par la tenue de mes projets autant que par ma rigueur au travail, retrouva le sourire et m'encouragea chaleureusement.
Certains après-midi, j'avais la permission de sortir ainsi que le week-end. Alors j'enfourchais ma mobylette pour retrouver les copains à la sortie du Lycée. Quand en mars, je leur avais appris que j'arrêtais les études, ils avaient tous bien compris et accepté ma décision la trouvant raisonnable. Cela n'avait nullement altéré l'amitié qu'ils me manifestaient, à chacune de mes visites éclairs... Le plus attristé par mon départ, fut le père M, mon prof de physique-chimie qui, en dépit der mes piètres résultats, m'a signifié combien il était dommage que je quitte ainsi le Lycée sans avoir fait l'effort de concrétiser tout ce temps de ma scolarité en tentant d'aller jusqu'au BAC. Il était sincère et je pense que des regrets émergeaient autant chez lui que chez moi... on ne s'était pas compris, l'un et l'autre... un brave homme, en fait, ce père M. En prenant congé, j'ai bien vu qu'il avait le regard humide... mais le sort en était jeté, et je n'entrevoyais, au-delà de cette séparation avec mon enfance, que les beaux côtés de l’existence où tous les espoirs sont permis, les possibles toujours réalisables...
Un samedi, j'étais allé jusqu'à Ceaux-en-Loudun « La Polka » où j'ai eu ce bonheur de discuter avec Jacqueline et sa sœur Maryse qui, en l'absence de leurs parents, m'avaient reçu chez elles et offert le café. La semaine suivante, y retournant, j'étais tombé sur la maman qui me reçut sur leur pas de porte et me pria froidement de passer mon chemin… Je lui expliquais pourtant avec beaucoup de sincérité mon admiration et mon attachement pour sa fille cadette mais elle ne voulut rien entendre et m'ordonna plutôt sèchement de ne plus traîner dans les parages ni de tenter de revoir sa fille. Je repartais le cœur gros, comprenant bien que la mère d'une jeune fille de 16 ans ne pouvait porter crédit aux propos d'un godelureau qui en était amoureux, que ceci ne pouvait être qu'une passade et, qu'à nos âges, il est préférable de penser plus sérieusement à nos avenirs respectifs. Je ne revis Jacqueline que trois années plus tard quand elle habitait en région parisienne...
Comme prévu, en Juin, après ces journées d'intense préparation, en toute confiance, je passais le BEPC.
Ayant reçu mon ordre d'affectation pour être incorporé au début du mois de Juillet 1962, le Samedi 30 Juin à 7H30 du matin, valise en main, je quittais le foyer familial, embrassant affectueusement mon père ému, ma mère en larmes. J'étais aussi bouleversé par la séparation mais néanmoins déterminé à affronter l'avenir avec pugnacité.
Place de la République, m'étant installé dans le car de la STAO devant m’emmener à la gare de Poitiers, alors que nous commencions à rouler, j'eus cette pensée insensée : « j'ai embrassé ma mère pour la dernière fois... » Mais quelle folie me passait donc ainsi par la tête ! C'était absolument insensé, ma mère était en parfaite santé et mes parents, d'ici quelques jours, allaient partir en vacances, comme l'année précédente, en camping à la Trinité/Mer. Je me ravisais aussitôt mettant cela sur le compte de l'émotion...
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