Ce sentiment de vide

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Une mère aime son enfant.

Elle a assisté à ses premiers pas, ses premiers mots, ses premières bêtises.

Elle a donné plusieurs années d'amour, qu'il a rendu, pas toujours de la meilleure manière.

Il a crié, cassé, pleuré, détruit ou même pire, et pourtant. Elle a toujours continué à l'envelopper d'amour.

C’est ce qu’il a voulu décrire avec son œuvre en terre et en coquillettes peintes en rose. C’est ce qu'il a de plus précieux, l’emblème de l’amour qu’il a toujours reçu, celui qu’il n’a jamais réussi à exprimer se tiens enfin dans le creux de ses petites mains, qui se tendent vers les yeux de sa mère.

Elle lui sourit, elle est heureuse, et lui aussi.

Plus tard, il se demandera si elle n’aurait pu l’exposer à une meilleure place qu’au fond de la poubelle de la cuisine.

Pour la première fois, un casque audio se pose sur les oreilles de cet adolescent.

Quelques secondes se transforment en voyage, suffisamment pour justifier de vider son maigre porte-monnaie afin d’emporter ces secondes avec lui.

Il n’aime pas les bruits de la maison. Il préfère remplacer le silence par la batterie, les sollicitations de son frère par la guitare, et la vaisselle cassé par les discussions de ses parents par la voix douce du chanteur.

Il n’aime pas non plus les bruit du collège. Il préfère collectionner les albums plutôt que les amis, car endurer la solitude est pour lui une zone de confort moelleuse. Seulement, ce n’est pas de l’avis de tout le monde.

Certains, de ceux dont il n’aime pas du tout les bruits, préfèrent qu’il n’ait pas cette chance, et règlent rapidement la question. C’est pareil pour tout le monde.

Par chance, au fond du préau, une jeune fille n’a besoin que d’une oreille pour faire comme lui.

Il croit qu’il n’aime pas son bruit, mais c’est mieux que rien. Par contre, il l’aime bien, elle.

Le jeune adulte s’est fait au bruit, et même à tout le reste.

Même s’il n’écoute plus rien, il ne se sent pourtant plus aussi mal qu’avant. Il a une nouvelle maison, qui ne lui va pas si mal. La moitié des affaires qu’il a chez lui ne lui appartiennent pas, d’ailleurs l’autre moitié du loyer, il ne le paie pas non plus. Dans ses jours libres, il se permet de fouiner dans l’autre partie, et a récemment fait une découverte qui lui a coupé l’envi de faire quoi que ce soit d’autres. Il ne pensait pas que lire autant de mots d’affilés pouvait avoir un pouvoir aussi surnaturel sur son bien-être, tellement qu’il finit même par acheter une nouvelle bibliothèque afin de mettre encore plus de mots à l’intérieur.

Sa boulimie l’amène naturellement à vouloir écrire ses propres mots, et c’est à ça qu’il occupe maintenant une grande partie de ses moments en solitaire.

Il vient tout naturellement le moment de partager avec l’autre partie ses aventures lettrés, mais ce n’était apparemment pas au gout de la majorité. Elle le console en lui disant qu’on ne peut pas être bon a tout, et que de toute façon elle n’a jamais aimé les histoires de dragons.

L’adulte a dû lui laisser la bibliothèque remplie de mots au moment de déménager, ça ne rentrait pas dans son studio de 25m2. Il pense qu’il a également dû oublier quelque part chez elle son bruit, car il ne l’entend plus, même quand il écoute de la musique. Plus rien.

Ce n’est pas grave, maintenant il a des responsabilités.

On lui parle de métier-passion, de ne pas compter les heures, d’être imaginatif et créatif. Pour lui, ça sonne comme de l’amour.

Maintenant que l’entièreté de son temps est solitaire, il décidera entièrement comment l’utiliser. Et c’est devant son ordinateur que la magie opère.

Les chiffres grimpent, les clients affluent, les collègues sont jaloux.

Sa passion pour le métier devient tellement grande que sa confiance en lui prend assez d’ampleur pour se retrouver, lundi matin, dans le bureau du directeur des ressources humaines, avec une pointe d’insolence au bord des lèvres. Il saute le pas, et demande à être reconnu en tant que tel.

Mais il faut être réaliste, des comme lui il y en a partout, et d’ailleurs s’il n’est pas content, des boites il y en a d’autres.

Des années à jouer à l’adulte qui s’ennuie, ça devient ennuyant. C’est pour remédier à ce problème qu’il a trouvé, au détour d’un bar, une autre adulte s’ennuyant également de s’ennuyer. Et pour clore le débat, ils ont décidé ensemble de voir le monde d’un regard nouveau : avec deux petits yeux bleus de 2 kilos 5.

Il attend ce moment avec impatience, et pourtant, il n’arriva jamais.

Pas de terre et de coquillettes à exposer.

Pas de bruit à partager.

Pas de dragons ou de magie.

Il se demande si ces nouveaux yeux fonctionnent bien, ou s’il n’y avait pas eu erreur sur la livraison.

Plan B, celui par lequel il aurait dû commencer dès le début.

Il n’a pas eu à se justifier de vider son maigre porte-monnaie pour revenir à la maison avec la plus belle guitare du monde : la sienne.

Il apprend vite. Les petits yeux grandissent vite. Il joue de mieux en mieux, il arrive même à couvrir les pleurs et les discussions qui cassent la vaisselle.

Jusqu’au jour ou-il dû faire un choix.

Enfin, on l’obligea à faire un choix.

Entre la guitare, ou les deux petits yeux bleus et les deux grands yeux bleus.

Au final, il ne reste plus grand-chose de ce vieil homme.

Désormais, il n’entend plus aucun bruit. Il a même du mal à voir les dragons et la magie. Il ne sait même pas s’il la ressent encore.

Il passe ses journées à se demander si ce n’est pas trop tard pour le plan B.

Peut-être qu’il aurait dû y penser plus tôt. Mais non, il était trop occupé à faire des bonhommes en terre et en coquillette pour sa maman, à écouter de la musique et rêver d’en faire, à lire de merveilleuses histoires et à en raconter à son tour, à ne pas compter les heures ou il excellait dans son travail par pur passion et amour, à s’améliorer de plus en plus avec la plus belle guitare du monde, et aussi mais surtout, à laisser les autres lui dire quoi faire.

Maintenant, il sait qu’ils avaient tous tort, puisque c’était sa vie, et ils lui ont gâché.

Maintenant, il ne lui reste plus que ce sentiment de vide.

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