Deux Minutes

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Je regarde ma montre : il est 78 heures et 363 minutes. Déjà. En fait je l'avoue, je n'ai absolument rien vu venir. Il faut dire aussi que les premières heures le temps est passé tellement lentement que je ne me suis pas méfié. Je pensais sincèrement que toute la journée serait comme ça, que chaque minute durerait toujours dix ans, et parfois même dix siècles. Et puis non. Au fil des heures, tout s'est accéléré, mais pas d'un coup. C'est venu petit à petit. Le temps s'est raccourci sournoisement, sans que je m'en rende vraiment compte. Comme s'il était seul porteur de toute l'inertie de la création, comme s'il s'agissait d'une mécanique très lourde à lancer...

En fait... laissez-moi réfléchir un peu... Oui : c'est à partir de 20 heures que tout s'est subitement accéléré. Du moins, c'est là que j'ai commencé à me rendre compte que quelque chose clochait, des rides commençaient à creuser mes yeux d’enfant, et puis du sel se mêlait à ma chevelure de poivre. Ce n’était pas très visible encore, ce n’étaient que des ombres mais je savais que ça n’annonçait rien de très bon. Et puis c’est sans parler des heures, là c’était bien plus flagrant, elles se mettaient à filer, filer, et bien plus vite qu'en début de matinée ! Par exemple, de 20 heures à 23 heures, c'est passé comme ça : hop, d'un seul claquement de doigt. Rien vu passer. Que dalle... D'ailleurs, arrivé à 24 heures, j'ai eu comme un petit coup de mou. Un coup de fatigue. Comme si je n'arrivais déjà plus à suivre. Pourtant, 24 heures, ce n'est vraiment pas tard ! Ce n'est même pas le milieu de la journée ! Mais je ne sais pas, allez comprendre : j'ai ressenti le besoin de me poser un moment pour faire le point. Après... Ben après, naïvement, j'ai cru que tout allait recommencer, 1, 2, 3 heures, puis 10 heures, lentement, doucement, comme d’habitude et puis non, les heures ont continué de tourner sur leur lancée, et moi j'ai tourné avec elles. Une danse folle, qui m'a porté vers 65 heures en moins de temps qu'il m'en faut pour le dire. Là... gros coup de mou. Franchement. J'avais certes fini de courir dans tous les sens, d’œuvrer pour je ne sais même plus quelles causes… Je laissais sans regrets le relais aux plus jeunes qui poussaient derrière moi, et depuis quelques heures déjà. Quant à moi, je pouvais dorénavant prendre tout mon temps, après tout il me restait encore de quoi profiter, du moins c'est ce que je croyais, mais je voyais déjà le début de soirée qui pointait... et le ciel ne me semblait pas très, très dégagé... Personnellement, je ne vois pas plus d'étoiles maintenant qu'à 65 heures. Je ne vois que du noir, qui s’étale, qui bouffe du terrain, comme une grosse tache d'encre. Je m'aperçois subitement que je n'ai même pas remarqué midi passer. Trop emporté par mes folles occupations je pense. Et où sont-elles maintenant ? La nuit est là, je cherche une lumière pour y voir plus clair mais je ne la trouve pas. Je me dis que j’aurais peut-être dû profiter du soleil lorsqu'il faisait encore jour, au lieu de courir après le vent.

Je parle, je parle, et le temps file entre mes mots. Je regarde ma montre: il est tout juste 79 heures. Le temps que je réfléchisse à ma journée, et deux minutes sont encore passées. Tout va vraiment vite, je commence à apercevoir minuit et je me sens par moment terriblement épuisé. Mes os craquent dès que je bouge, mon souffle devient court. Je pense qu'il serait peut-être temps pour moi d'aller me coucher mais... Je ne sais pas... J'ai envie de traîner encore un peu. Grignoter quelques instants de plus... J'ai la très désagréable impression d'être enfermé dans la carcasse d'un Éphémère. 79 heures... Quand même. J'irai peut-être me reposer vers 80, 85 heures. Voire plus tard encore, si je ne m'endors pas avant. Merde: une journée, croyez-moi, ça ne suffit pas. Ça passe vraiment trop vite...

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