Tu seras le second
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Partie 2
Tu seras le second
Juju se tenait droit. Dans sa main, son pistolet à grenaille modifié pour balancer des bastos doum-doum, fumait encore. À ses pieds, gisaient huit cadavres. Un miasme de viande hachée mélangé à de la purée d’haricots rouges, s’échappait de ce qu’il restait des têtes des huit moustiques tigres que le nettoyeur venait de dézinguer.
Car c’est ainsi qu’on l’appelait : Juju le nettoyeur.
Deux doigts se portèrent, en signe d’adieu, à la hauteur de son Don Hawk Black. Il les lança en avant, puis se retourna nonchalamment tout en soufflant sur le bout du canon de son flingue en plastique.
– Coupez, on la tient ! gueula une voix.
Juju, le sourire aux lèvres, se rapprocha du réalisateur.
– J’étais bien, hein ?
– Parfais, tu étais parfait, comme d’habitude.
– Merci Mr Melville.
– Y a pas de quoi… Bon les gars on remballe, et on file au studio cinq. Faut tourner la scène de l’assassinat de l’araignée.
– Une araignée ? Mais Mr Melville, j’ai peur des araignées !
– Mais qui c’est qui m’a foutu une lavette pareille ? C’est une araignée en caoutchouc que tu vas devoir zigouiller, c’est pas une vraie ! Sinon on est bon pour avoir la SPA et la BB au derche !
– Oui, mais quand même…
– Écoute-moi bien Juju, tes caprices de stars, tu te les gardes, moi j’ai un film à finir, capice ?
– Heu…
– Mais bon-sang, t’es Juju le Nettoyeur, merde, comporte-toi comme un héros. Et puis imagine les suites, « Juju le nettoyeur II, le retour », « Juju le Nettoyeur contre Superman », etc. T’es une mine d’or mon gars, tu vas te faire des couilles en or… or… or… o…
Julien se réveilla en sursaut.
Le hamac dans lequel il roupillait, tendu entre son camping car et un pilier de la terrasse de sa maison, se balançait au gré de la bise chaude venue du Nord. Une main passa dans l’épaisse pilosité de sa poitrine, tandis que l’autre vérifiait si c’était bien un rêve qu’il avait fait. Il souffla de plaisir en constatant que oui.
« Quel con ce Melville », pensa-t-il, « il se prend pour Jean-Pierre ! »
Le peu de sueur perlant de son front, lui indiqua qu’il avait soif, alors il s’éjecta du hamac et se dirigea vers son bar. Une bouteille de pastaga apparut comme par enchantement, ainsi qu’un verre, et il se servit une bonne rasade. Le liquide jaune, sans eau, finit dans son estomac en passant par son gosier, suivi d’un deuxième, puis d’un troisième. Requinqué, il retourna se coucher.
Son regard fixait un point imaginaire de la galerie de son van, alors que son cerveau ressassait inlassablement son rêve.
Soudain, une idée éclaira les prunelles sombres de ses yeux. Un plan prenait forme à l’intérieur de lui-même, mais il ne pourrait pas le réaliser seul. Il lui fallait des comparses, plusieurs. Et il savait où trouver le premier, un défi sur un site pornographique mentionnait son emplacement.
Le moteur du Ford Transit démarra au quart de tour. Julien enfonça l’accélérateur, fit hurler la mécanique, et lâcha d’un coup les freins. Le camping car s’arracha des cales dans un crissement, mais un bruit semblable à celui d’un tissu qu’on déchire interpela ses oreilles.
– Merde, j’ai oublié de détacher le hamac ! grommela-t-il. Fais chier, je roule.
Sur l’autoroute l’amenant en Bretagne, le tissu déployé à l’horizontale au cul du van, s’étirait en banderole publicitaire. Dessus, on pouvait y lire : Corps et âmes, le dernier Julien Neuville.
Le Ford se gara dans la soirée sur un parking de Brest. La journée tirait à sa fin. Un coucher de soleil à faire pâlir la lune, illuminait d’une lumière rasante les toits de Brest, alanguissait en vaguelettes un océan présomptueux. Moulin Blanc paraissait déserte. Seul un homme, étendu en maillot de bain, dormait sur le sable. Aucun doute, il s’agissait bien du gars qu’il cherchait.
Chaussant une paire de tongs, Julien s’approcha.
– Hey, hurla-t-il pour réveiller le dormeur, c’est toi Fred Larsen ?
– Ooooh, quelle sieste… J’ai fait un drôle de rêve… Mais t’es qui toi ?
– Je m’appelle Julien Melville, heu non merde, Neuville… Julien Neuville. C’est bien toi qu’on surnomme Fred Larsen ?
– Ha non, moi j’suis le scarificateur de Vallon-Pont-d’Arc… hein, mais qu’est-ce que je raconte comme connerie ?… mais oui, c’est moi. Et toi, t’es qui déjà ? Connaît pas de Julien machin chose.
– Peu importe, j’ai un deal à te proposer. Ça t’occupera au lieu de roupiller sur la plage.
– Quel genre de deal ?
– Habille-toi et viens dans mon camping car, je vais t’expliquer.
– C’est ça, tu me prends pour un Kouign amann du jour ?
– Rhoo l’autre, j’ai pas l’intention de jouer au docteur avec toi ! C’est beaucoup plus sérieux, crois-moi.
– Dis-moi et j’avise.
La conversation qui suivit dura quelques minutes. Les échanges allaient de l’un à l’autre à la manière du match de ping-pong, et décidèrent Fred Larsen.
– Bon, ok… Je peux emmener une caisse de Saint-Joseph ? interroge-t-il tout content.
– Yep, œuf corse !
Une heure plus tard, le Ford transit s’enfonçait dans la nuit.
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