Chapitre 2 : La fourmilière

7 minutes de lecture

Après notre escapade dans la décharge, il était temps pour nous de rentrer à Humanicity. Il était plus prudent de ne pas rester plus de trois quarts d’heure déconnectés en journée. Le seul chemin pour rejoindre la ville depuis le sous-sol était un tunnel de dix kilomètres rejoignant l’un des embranchements de la Fourmilière. Ce tunnel était d’environ un mètre cinquante de diamètre et circulait sous les fondations d’Humanicity. Un humain non équipé aurait mis plus d’une heure à effectuer le trajet. Mais grâce à nos MoonQuads, des chaussures équipées de quatre lévigateurs électromagnétiques, nous pouvions traverser le tunnel en une dizaine de minutes.

Exactement 13 minutes et 47 secondes plus tard, Ram, Margue et moi atteignons l’embranchement principal de la Fourmilière. Et par la même occasion, nous reconnectons nos lunettes AR au réseau. Plusieurs notifications 3D apparurent devant mes yeux. D’un simple glissement des doigts dans l’air, je les balayais.

Éclairée d’une faible lueur orangée, la Fourmilière s’offrit à moi. C’était une exploitation minière où s’affairaient tous les jours des milliers de personnes. Des hommes et des femmes vêtus d’exosquelettes creusaient la roche et la terre avec minutie à la recherche de la ressource la plus précieuse de ce monde : la thermatite. Aussi connue sous le nom de pierre de Cooper et nommée d’après la femme qui l’a découverte, la thermatite a la particularité d’être, une fois fondu à 4028 degrés Celsius et associé à un alliage de métaux inconnu du grand public, de fabriquer des appareils électroniques ultraperformant sans aucune perte d’énergie thermique.

Durant la fin de l’ère plastique, après la découverte de la thermatite, l’humain a bien tenté d’extraire le minerai, mais étant également l’un des plus solides, l’extraction n’était possible qu’avec d’énormes machines fonctionnant au pétrole.

Encore une connerie de cette époque.

Des mines ont commencé à se former dans le monde entier, arrachant les sols détruisant des récifs et les fonds marins provoquant l’extinction de nombreuses espèces aquatiques.

Cette pierre de Cooper se trouve dans une strate du manteau terrestre situé aux alentours d’un kilomètre sous le niveau des mers et des océans. En seulement un an, l’exploitation du minerai a entrainé avec lui la fonte des glaces et la montée des eaux. La nature a commencé à dépérir en raison de l’air saturé en CO2. Il faisait chaud. Très chaud. Un brouillard gris planait au-dessus du monde, cachant le soleil, amplifiant l’effet de serre.

Personne ne s’inquiéta réellement avant que la situation n’empire : l’eau empoisonnée.

La Soif commença. La moindre goutte d’eau se vendait à prix d’or. On se nourrissait de poudre, de condiments déshydratés, d’insectes… Pire que la famine, le peuple mourrait. Pendant plusieurs mois, aucune puissance n’essaya de réellement trouver une solution. Selon eux, c’était le destin que les Dieux nous réservaient.

Le projet Humanicity débuta seulement lorsque les riches n’eurent plus qu’un litre d’eau par personne et par mois.

Humanicity : 10 milliards de personnes sur 0,02 % de la surface terrestre.

Face à l’urgence de la situation, l’œcumenopole fut construite avec les moyens du bord sur une zone qui semblait être la mieux placée avec sa qualité d’eau, de sols et d’air. Les premières pierres, ou plutôt bâtiments furent posés entre Londres et Paris. Traversant la Manche et englobant la carrière Shroniger, Humanicity s’érigea entourée de sa barrière photovoltaïque. L’humanité s’y mit en quarantaine. Après avoir massacré le monde, elle se cacha honteuse de sa bêtise…

- Ça va, As ? Tu n’as pas l’air bien. Demanda Margue en me sortant de ma rêverie.

- Ouais, je repensais juste à nos cours d’histoire.

- Mais on n’a plus d’examens à passer pourtant ! s’exclama Ram. Et avec un peu de chance, je ne porterais plus ce fichu uniforme marron. Et vous ne m’appellerez plus le zéro, mais votre héros !

Nous rions ensemble tout en nous promenant dans l’immense galerie.

L’humanité créa un nouveau système pour organiser la société équitablement. Humanicity est divisée en 15 niveaux. Le niveau 0 est appelé « Ressources minérales » et ses ouvriers "N0". Ces individus représentaient la base de notre société : forts, loyaux et humble. Mon ami, Ramez, en faisait partie. C’est en accompagnant ses parents à la mine qu’il se découvrit une passion pour les insectes. Humanicity était une ville propre, entretenue à tout instant par des robots nettoyeurs. Les animaux en dehors du centre des Ressources animales étaient strictement interdits. Raison d’hygiène. Seuls les insectes étaient toujours présents après tout on ne peut pas tout contrôler...

Après un effondrement dans les mines où travaillaient ses parents, Ram se retrouva orphelin à l’âge de six ans et se mit à chasser les insectes en cachette et à les ramener chez lui pour se tenir compagnie.

- J’adore regarder la thermatite scintiller… Dit Margue.

- Apparemment, c’est à ça que ressemble le ciel la nuit. Répondit Ram.

- Peut-être… Mais ici, c’est le seul endroit d’où l’on peut le voir. Répondis-je.

La galerie principale de la mine constituait en un trou béant rejoignant les entrailles de la Terre. D’ici, les mineurs, vêtus de leurs exosquelettes et équipés de deux lampes bleues, ressemblaient à des milliers de fourmis. D’où l’appellation de l’endroit et la passion de Ram. Je savais que regarder les fourmis dans un bocal lui évoquait ses défunts parents… Il devait voir en ces petites créatures une figure rassurante et familière. Les ouvriers de la Fourmilière l’avaient adopté et ils se sont occupés de lui en l’emmenant partout avec eux.

- Tu travailles aujourd’hui, Rami ? demanda un homme d’âge avancé, les bras chargés de roches.

- Non Vic, je suis de repos cette semaine. Semaine des affectations. On voulait se dégourdir les jambes avec les filles.

- Astra ? Marguerite ? Je ne vous avais pas reconnu, vous avez tellement grandi. Bon, je dois y aller. À plus Rami ! Enfin si tu choisis de rester ici…

Non, Ramez ne choisirait pas de rester. Il nous l’avait déjà avoué. Même s’il adorait cet endroit, il voulait devenir docteur. Ram est une personne qui aime le contact humain et l’Hôpital est le seul niveau qui permet encore de rencontrer des personnes de tous les niveaux.

On salua l’homme et l’on se dirigea vers l’ascenseur. Avant de monter à bord, je pris soin de m’assurer que ma carte à jouer était toujours cachée dans la doublure de mon uniforme. Quant à Ram, il glissa son petit bocal dans une large poche de son pantalon cargo. On entra les premiers dans l’ascenseur électromagnétique suivi de quatre ouvriers et de leur chariot rempli de sable. Une autre ressource essentielle pour la ville. Le sable servait à la fabrication du verre. Le trajet vers la surface s’effectua en une trentaine de secondes.

Ram habitait dans un gratte-terre : une pyramide inversée enfouillit dans le sol. Vu de la hauteur du sol, cela faisait penser à un entonnoir géant plongeant dans la galerie profonde de la Fourmilière. À Humanicity, chaque habitant a un logement : un hexa. Celui-ci nous est attribué à l’âge de 16 ans en fonction du niveau de nos parents. Puis notre hexa définitif est attribué lors de nos 21 ans lors de notre choix de niveau. Éventuellement, un hexa plus grand sera attribué si l’on décide de fonder une famille. Les hexas de Ram, Margue et moi sont identiques en tout point. 20 mètres carrés avec une petite douche dans un coin et des sanitaires. Un bureau sous un lit mezzanine. Le sol recouvert d’un tatami. Il y avait juste assez de place pour que nous puissions nous assoir par terre en tailleur. Ram déboita une dalle de son plafond pour y placer son coléoptère avec le reste de sa collection. Sa cachette se trouvait juste au-dessus de son lit. J’activais la climatisation de L’Hexa avant d’enlever mon masque.

- C’est étouffant là-dessous, je me demande comment tu as pu tenir toutes ces années. Dis-je à Ram.

- On s’y habitue… Mais je ne compte pas rester en N0. Si j’ai bien réussi mes Exams, j’ai une chance d’aller en N5.

- Dr Nam ! ça sonne bien ! s’exclama Margue. Perso, j’ai tout donné pour le N10, je pense qu’ils vont m’accepter en tant que codeuse.

- Et toi As ? Comment tu le sens ?

- J’sais pas… Je vais surement rester en Ressources végé…

- Tu devrais accepter le N max. Tu ne vas pas rester aux Ressources ! « L’équité sera notre société » mon cul ouais !

- Margue a raison, les Ressources c’est la merde.

- Peut-être, mais je me sens utile. Les plantes sont mon domaine. Et puis, je n’aime pas le changement, vous le savez.

- N’importe quoi… Souffla Ram.

Margue lui donna une tape sur le bras.

- Ne l’écoute pas, le principal est que tu sois heureuse.

- Il ne m’a pas vexé, t’en fais pas. La seule chose qui me rendra triste c’est que je ne vous reverrai plus après l’Affectation…

- C’est pour ça qu’on doit continuer à se voir toute cette semaine ! s’exclama Ram. En plus, je vous ai prévu une petite surprise pour vendredi soir…

J’avais déjà une petite idée de ce qu’allait être la surprise. Mais cette annonce me rappela quelque chose.

- En parlant de surprise, je vous ai ramené un petit quelque chose…

Je brandis fièrement trois éprouvettes que je venais de sortir de l’une des poches de mon uniforme.

- Tadaaaa !

- Qu’est-ce que tu nous amènes là ? Tu as peur que l’on se déshydrate ? demanda Ram, moqueur.

- Ah ah… Fis-je sarcastique. C’est bien mieux que de l’eau ! C’est pour fêter la fin de nos études !

- Attends, c’est de la… vodka ? Chuchota Margue.

- Bingo ! J’ai fermenté un petit peu d’amidon de pomme de terre. Et voilà le résultat !

Je donnais une fiole à chacun d’eux.

- À la vôtre !

- T’es complètement folle. Dis Ram en rigolant. À la tienne ma vieille !

- À cette semaine d’affectation, à ta majorité Astra, mais surtout à notre amitié ! proclama Margue.

Sur ces mots, nous buvions le contenu de nos fioles cul sec. Chacun de nous tira la grimace juste après ce qui nous lançant dans un fou rire.

- Mortel ce truc ! Je comprends pourquoi c’est interdit ! Ça décape ! s’esclaffa Ram.

- Je suis si heureuse qu’on se soit rencontré, mais d’un autre côté je suis triste à l’idée de ne plus jamais vous revoir… Dis-je.

- Waw, t’en fais pas ma belle, on pourra toujours se voir dans l’Humanivers. Me rassura Margue en me prenant dans ses bras et en me caressant les cheveux.

- Je sais. Répondis-je. Mais la réalité virtuelle ne remplacera jamais la vraie réalité…

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Othilie ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0