Partie 7
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Entre.
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Je butai aussitôt sur un comptoir en vieux chêne couvert d’immenses toiles d’araignées ! Le comptoir était surmonté d’un écriteau en mauvais état, mais dont on pouvait encore au moins lire le nom (en mandarin puis en anglais) : Wūhuì Jùlèbù / Filth Club. Jamais entendu parler…
Je finis de lire distraitement les mots qu’une déflagration puissante éclata sous mon crâne ! Sans contrôler leurs provenances, une série d’images se superposèrent à mon esprit au même rythme qu’une rafale de mitraillette… Il n’y avait aucune logique entre les images, ni avec les sons supposément associés à elles ; je discernai plusieurs séquences d’une émission que je raffolais étant enfant, mais dont les scènes alternaient avec d’horribles images de cadavres ou d’enfants en pleurent… Les scènes semblaient tout droit sorties d’anciennes émissions policières, écoutées il y a des années… La succession violente d’images me fit perdre l’équilibre et je me retins in extremis sur le comptoir.
En l’espace de quelques secondes, les images se dissipèrent en ne me laissant que très peu de souvenirs de leurs contenues et encore moins de leurs provenances… Je continuai en me massant la nuque, encore passablement distrait par cette courte, quoique hautement inusitée, expérience mentale. J’avais pris assez de Fog dans ma vie pour savoir que ce phénomène n’était point dû à sa consommation… De quelle source pouvait-il bien provenir alors…? Un fracassement brusque de casseroles me provint de la cuisine au fond du restaurant !
Je me penchai instinctivement pour me cacher d’Emmeth… Mon pied m’envoya un éclair brusque de douleur ! Je me mordis la langue pour éviter de laisser échapper un cri… Me levant péniblement, je parcourus ensuite d’un pas lent la salle où, bien que vide et oublié depuis longtemps, quelqu’un avait placé les chaises à l’envers sur les tables et les avaient alignées en rangées parfaitement droites contre le mur. L’endroit semblait s’être éteint un soir comme les autres, après une fermeture éreintante, mais exécutée en complète insouciance de la fin imminente des lieux…
Arrivé dans la cuisine, j’aperçus l’extrémité d’une porte - en bas de quelques marches de béton huileux - se refermer délicatement…
Du tapage et des cris s’en étaient brièvement échappés. Je crus bon d’attendre une bonne minute avant de descendre à mon tour, puis me faufilai à l’intérieur de l’autre pièce. Les seules lumières de l’endroit provenaient d’une lampe à l’huile accrochée à un clou sur la poutre centrale, juste à côté d’Emmeth en fait, et de quelques chandelles disposées un peu partout à même le sol. Ces installations fournissaient, en plus des éclats de flamme brefs mais répétés de leurs multiples briquets… sommes toute, bien peu de lumière.
J’en profitai pour me glisser dans l’ombre d’une des autres poutres et observer avec attention l’étrange groupe éparpillé devant moi. Les gens étaient dos à moi et il y régnait un silence si pesant, qu’ils furent tous étonnamment sourds à mon entrée.
Le groupe était composé d’une quinzaine d’individus (pour une pièce de maximum vingt mètres par dix…) à qui je ne pouvais sur le moment que très peu reconnaître les visages, mais dont l’abattement semblait généralisé. Ils étaient tous avachis sur des caisses et des tonneaux de bois pourris à former un semblant de demi-cercle. Buvant et fumant, pour certains allégrement, en écoutant trois individus leur faisant face. Les épaisses colonnes de tabac et de marijuana se mélangeaient à l’odeur de renfermée qui enveloppait l’entrepôt pour devenir encore plus humide et rance, mais devenait aussi étrangement plus rassurante… C’était d’ailleurs d’autant plus une excellente raison de fumer, que les effluves qui s’échappaient de leurs pipes permettaient de camoufler du même coup l’odeur rebutante qui devait émanées de leurs propres corps et de leurs propres vêtements… Loin de moi l’idée d’exprimer là un jugement excessif, mais je devais avouer que, me croyant jusqu’alors fort mal nantis, je constatai que ma situation se révélait finalement en beaucoup de points supérieurs à ce que ces pauvres individus avaient à expérimenter. Ils étaient habillés par des loques crasseuses, frissonnant de manière incontrôlable malgré l’air chaud de l’endroit… Deux femmes et un homme (mieux vêtus) étaient assis devant eux et essayaient de présenter un air digne, perché en haut de leurs vieilles chaises rouillées… Ils cachaient bien mal leurs réels sentiments. Ils fumaient, eux aussi, sans vergogne… La femme du milieu, devant la tension maintenant installée depuis quelques minutes, ne jugea point nécessaire d’ajouter quelconques mots et continua de fumer avec un regard éteint. L’homme à sa gauche, un géant à la peau noir dont la tête faisait le double de la largeur de mes épaules, fixait d’un œil mauvais l’ensemble du groupe… les intimant aux calmes par son simple regard. À l’autre extrémité était assise une autre femme, silhouette exagérément allongée, qui se tenait un peu en retrait et à demi tourné vers le mur. Elle ne semblait s’intéresser que d’une oreille distraite à toutes ces simagrées.
Pendant un moment, on entendit que le cliquetis des briquets et les expirations lourdes de fumée… Puis, une insulte criée à tue-tête donna le coup d’envoi à une ribambelle d’injures envers les trois dirigeants du groupe :
- Vous z’aviez pas penzez à za bande d’abrutis conzénitaux !?
- J’ai perdu un bout de doigt pour vous…
- VOUS ÊTES DES MANGES-MERDES !
- Des putains d’enfants avec des armes, voilà !
- Des bâtards comme les Humes !
- COMME LES HUMES !
Alors que les insultes devenaient de plus en plus virulentes, les gens se levèrent de leurs sièges de fortune pour crier et pointer des doigts les fautifs ! Du coin de l’œil, je vis Emmeth arracher un bout de la large caisse où il était assis, et le lancer rageusement vers l’avant. Le morceau alla se frapper mollement au mur du fond, évitant de près l’épaule droite de la femme assise au milieu…
Son geste sembla alors raviver un feu de rancœur et de colère au sein des individus présent, car l’instant d’après, de consœur avec leur collègue, ils se mirent tous à jeter leur verres et leurs tasses, puis continuèrent en ramassant tous ce qu’ils leurs tombaient sous les mains. Une pluie de vitres, de détritus et de bouts de bois pleuvaient sur les trois toujours assis. L’image fit revenir à mon esprit, enveloppée de l’indissociable brouillard qui accompagnait tous souvenirs liés au Fog, ma visite de cette nuit chez Jacob, ainsi que les brèves expéditions auprès de Judith et Juliette…
Je ne pus malheureusement pas divaguer bien longtemps, puisque, jusque-là tout trois imperturbables, le mastodonte décida de se lever. Un redressement brusque. Il était debout. Il devait faire au moins sept pieds de haut et portait, au lieu des mêmes vêtements effilochés qu’avaient le reste des occupants, une chemise propre d’un mauve chic et en dessous de laquelle il avait attaché une quelconque protection. Cela lui donnait un tour de poitrine faramineux… En trois enjambées il était rendu à Emmeth. Du plat de sa main, il prit un élan et frappa le minuscule visage du malheureux ! Le coup était si fort, le claquement qui s’en dégagea à lui seul me fit froid dans le dos, que sa tête de demeurée fut projetée presque un mètre plus loin contre la poutre. Un bruit sourd accueillit son crâne et il s’effondra sans une riposte au pied du poteau de bois… Tous les autres figèrent. Toutes leurs insultes flottaient toujours autour d’eux, mais leurs bouches ne bougeaient plus et leurs yeux écarquillés fixaient le corps évanoui.
Satisfait de son effet, le colosse fit demi-tour et revint vers sa chaise à l’avant en regardant chacun des individus directement dans les yeux au passage. Désillusionnés de leurs besoins de violence, ils se calmèrent et reprirent lentement leurs places respectives.
Après un autre moment de silence, se fut au tour de la deuxième femme, à l’extrême gauche des trois, de se lever pour prendre la parole d’un ton calme, rassurant, presque doux :
« Écoutez ! Bien évidemment que nous avons envisagé cette possibilité. Ne nous insultés point en croyant le contraire…
D’ailleurs, je débuterai en vous rappelant brièvement de faire bien attention à vos propos, en vous soulignant avec gentillesse quoique fermeté, qu’il est toujours important de se souvenir à qui nous nous adressons, et ce, surtout aux heures les plus sombres. Nous travaillons d’arrache-pied pour que cette organisation fonctionne et que nous puissions arriver à des résultats concrets… que plusieurs d’entre vous contestiez ces faits maintes fois confirmés, par vos insultes et vos injures, me plonge en premier lieu dans une colère profonde, mais… en bout de ligne… n’y changent rien ! La situation est ce qu’elle est. S’il vous plait, ne la rendez pas plus difficile qu’elle ne l’est déjà.
Dans les faits, l’acte héroïque qu’effectua Jacob en dérobant ses explosifs étaient plutôt une bénédiction, que l’exécution réelle du plan original… »
Alors que j’écoutais auparavant distraitement la scène, j’étais de plus en plus préoccuper par mon estomac qui sortait rapidement de sa léthargie des dernières heures, mais au nom de Jacob… j’oubliai toute mes préoccupations !
Ils le connaissaient ? Très bien même, puisqu’il était visiblement relié à ce drame étrange… Lorsqu’elle avait parlé des explosifs, je pensai instinctivement, sans savoir pourquoi, à ce parc que j’avais revisité en songe grâce au Fog. Celui où Jacob m’avait justement réveillé en sursaut après avoir veillé toute la nuit sur ma vieille carcasse défoncée… Sans tout comprendre ce que mon cerveau essayait d’expliquer - s’il y avait réellement quelque chose à expliquer - j’eus envie de crier ! Hurler ! M’époumoner jusqu’à ce qu’ils me disent où se trouvait mon ami !
Je me retins de justesse et écoutai la suite avec une immense attention, doublé d’un sentiment de panique à chaque secondes grandissant !
Elle avait continué :
« …est arrivé à notre compagnon, quoique nous pouvons supposer avec presque certitude qu’il ait périt aux mains des Humes, nous revenons tout simplement au plan initial… La seule défaite… notable, de la situation actuelle, est que nous ayons perdus pratiquement un mois en attente du lieu où Jacob aurait supposément enterré son butin et, bien évidemment, l’absence d’un membre depuis longtemps cher et important pour nous tous.
Il y eu une bonne et longue minute de silence. L’émotion de tous était honnête et vrai. Cela m’apaisa un peu.
« Le mot finale de cette réunion, aussi démotivant qu’il puisse paraître l’être, est : attendez ! Nous repoussons la date d’exécution jusqu’à ce que nous ayons réussi à accumuler à nouveau, ou encore, d’avoir préparé nous-même, suffisamment d’explosifs pour le succès de la mission. Nous ne savons pas combien de temps cela prendra et, au point où nous en sommes, nos oreilles sont bien ouvert, et toutes vos propositions sont les bienvenues... »
Je suai à grosses gouttes. Mon cœur battait la chamade.
Je saisis le Commutateur avant d’entreprendre toute action :
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Dis : « Qu’est-ce que vous avez fait de Jacob !? »
Dis : « Je peux trouver les explosifs ! »
Dis : « Il y avait des gens qui fouillaient chez Jacob ! »
Ne dis rien et attend.
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