Partie 10
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- « Je sais où se trouvent les explosifs et je suis prêt à vous aider à les récupérer. »
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« Je sais où se trouvent les explosifs et je suis prêt à vous aider à… »
Les derniers mots s’étranglèrent dans ma gorge. Juliette enfonçait son pouce si profondément dans ma trachée qu’elle bloquait même ma mâchoire. De son autre main, elle saisit mon poignet tenant le Commutateur… Il n’en était pas question. Il était à moi… et à moi seul !
Une chaleur incontrôlable s’enflamma en moi.
Je protégeai la machine à l’intérieur de ma paume. De ma main libre je lui balançai mon poing sur le visage. J’atteignis son nez ! Le sang gicla. Insensible à la douleur, elle ne desserra aucune de ses prises. Au contraire, elle me broyait d’une vigueur redoublée. Elle me tira par la gorge et le bras avant de m’éclater la tête contre le sol ! Agenouillée sur mon torse, elle me maintenait immobilisée parterre. Je sentis que le Commutateur ne se trouvait plus dans ma main…
La colère m’envahit entièrement. La carcasse vide et éteinte que j’avais été depuis les quatre dernières années, s’éveilla.
Je brulais.
J’hurlais ! Je crachais tout mon venin.
-Rendez le moi ! ME COMPRENEZ-VOUS ? RENDEZ LE MOI TOUT DE SUITE ! SALOP…
Je libérai l’une de mes jambes et enfonçai mon genou dans son ventre ! Elle faiblit.
J’envoyai deux autres coups. En tombant, elle me lâcha.
Je me relevai brusquement et projetai mon front entre ses dents et son nez. L’impact fut doublement dévastateur. Son cri de douleur confirma ! Le sang coulait, de sa bouche et le long de son cou, mais aussi sur mon propre front. Elle roula sur le côté.
Délivré de son entrave, j’aurais pu arrêter l’affrontement…
Comme une bête sauvage, je sautai sur elle.
C’était maintenant moi qui la retenais au sol.
Je n’avais qu’une seule idée. Une seule et unique pulsion martelait mon esprit dérangé : la mordre ! La mordre jusqu’à dévorer son visage d’adolescente.
J’en bavais…
Un violent coup de pied dans les côtes m’envoya valser contre le muret de béton des plateformes. Je me recroquevillai sur moi-même.
La douleur, la faim et l’épuisement qui m’éreintaient depuis des jours, revinrent à l’assaut. La colère et l’adrénaline n’étaient plus là pour contrebalancer.
Après une longue lutte contre l’envie grandissante de rester immobile pendant des heures, j’osai enfin lever la tête. Ann tenait le Commutateur. Elle observait la machine en silence. Juliette était assise par terre. Son sourire découvrait des dents tâchés de sang et du brun collant de sa chique de tabac. Elle rigolait en se tenant le nez. Je me retournai et m’assis aussi au sol. Elle ma gratifia alors d’une tape amicale avant de se relever et, visiblement remise de ses émotions, elle prit à nouveau une position de combat et frappa quelques jabs dans le vide :
- Pas mal, pas mal ! Ça réchauffe toute cette action… non ? Allez, on remet ça !? T’es prêt !?
- Calme-toi Juliette.
- Mais non. Allez… On s’amuse tu vois ?
- Justement. L’heure n’est pas à s’amuser.
Ann rangea la machine dans son sac en bandoulière et s’accroupit à ma hauteur. Elle parla d’une voix si faible que j’eus toute les difficultés à saisir correctement ses mots :
- J’ai l’impression que vous ne comprenez pas très bien l’étendue des capacités que recèle cet objet.
- Bien sûr que oui… je sais que…
- Taisez-vous ! Si c’était vrai, vous feriez beaucoup plus attention à vos paroles…
Je ravalai péniblement ma salive et hochai la tête en silence.
- Bon. Je savais que vous étiez plus intelligent que ce que Juliette laissait sous-entendre… Ce sera bientôt le moment de le prouver une bonne fois pour toutes. Nous allons dès maintenant reprendre le chemin vers notre campement. CEPENDANT, vous me ferez le plaisir de garder le plus complet et absolu silence… Pour toute la durée du déplacement. J’ai confiance que les bloqueurs installés au campement soient suffisamment près pour enrayer la transmission du Commutateur mais…
- La transmission ?
- Hé ! TU NE COMPRENDS RIEN OU QUOI !? (Ann se força à prendre quelques profondes respirations avant de reprendre plus doucement.)Cette petite merde de plastique écoute absolument tout ce que nous disons. Tout, tu saisis ?
- Je m’en doutais bien, c’est comme ça qu’elle peut me dicter…
Elle m’étampa à nouveau la tête contre le muret de béton.
Juliette poussa un sifflement d’approbation et applaudit quelques coups pour encourager le retour de la violence. « Tu le sais ? TU le SAIS !? Tu le sais, et pourtant, tu ne vois pas l’ombre d’un problème à amener se truc à l’une de nos… »
Elle se leva sans terminer sa phrase. Elle avait elle-même faillit échapper des informations capitales sur son organisation… En silence, elle appuya sur la petite lampe de poche intégrée à la bretelle de son sac. Le faisceau jaunâtre éclaira jusqu’à quelques mètres le tunnel devant nous. Sans plus de cérémonie, Ann, suivit de Juliette, s’y engagea d’un pas rapide.
Je restai un moment par terre.
Elles avaient mon Commutateur… Jamais je ne leur laisserais ! Ni à elles, ni à qui que ce soit d’autres. Peu importe leur fichue organisation.
Je rejoignis en silence mes nouvelles amies.
Ann marchait en tête pendant que je la suivais quelques pas derrière. Juliette, elle, s’amusait en marchant et en sautant sur les rails. Chaque fois qu’elle perdait l’équilibre, elle se propulsait joyeusement sur le rail parallèle et continuait à avancer en ricanant. J’avais été aveuglé par sa grande taille et son assurance, mais je comprenais maintenant que ce n’était encore qu’une gamine qui jouait autour de moi. Une enfant plongée beaucoup trop jeune dans l’horreur qu’était la réalité.
J’étais pour ma part dans un état lamentable.
Difficilement capable de me concentrer sur les sensations extérieures, je peinais à ne serait-ce que poser un pied devant l’autre. Je boitais. Mes brûlures, occasionnées par la chute sur le four du Croque-Mort se recouvraient de cloques, et mon ventre grognait bruyamment. C’était d’ailleurs le seul bruit perceptible qu’émettait notre groupe. Cela me valait, à chaque nouveau rugissement, d’être foudroyé du regard par Ann… Comme si cela pouvait réussir à convaincre mon estomac de se calmer. Faisant bien attention de lever au minimum mes yeux du sol, j’avançais en caressant le flacon de Fertiapine toujours enfouit dans ma poche.
J’ignore combien de temps nous marchâmes ainsi. Peut-être vingt minutes ou peut-être deux heures… je ne saurais dire. Je sais seulement que nous débouchâmes du tunnel, finalement, pour arriver à l’une des anciennes stations du métro.
Franchissant la bouche du tunnel, la voûte de la station s’élevait et les murs s’éloignaient drastiquement. Deux quais remplaçaient les étroits bords d’asphalte qui talonnaient jusqu’alors la voie principale. Le quai de gauche était enseveli sous les décombres. Des débris de béton pointaient sous les amas de sable et de poussière, bloquant tout passage. L’autre quai, celui sur lequel nous marchions, était, en comparaison, dans un état plus qu’acceptable et nous permettaient d’y avancer sans trop de difficultés. Les murs, brunis et noircis par les années, révélaient le relief d’origine : un motif à carreaux gravé à même le ciment. Je le flattai distraitement. En tendant l’oreille, je pouvais déceler le léger ronronnement d’une génératrice.
Au bout du quai, un escalier en coude menait à une passerelle de briques surplombant la voie principale. Nous nous y engageâmes et atteignîmes en quelques marches une grande surface rectangulaire d’une quinzaine de mètres de longueur sur une douzaine de largeur. La partie qui s’élevait au-dessus des rails était protégée par un muret au même motif que les murs et surmonté d’une clôture en fer blanc.
Sur cette mezzanine, toutes les pièces de mobilier utilisées anciennement pour servir les usagers du métro avaient été retirées, à l’exception de la cabine vitrée de péage. Y clignotaient un grand nombre de points lumineux, verts et jaunes, ainsi qu’un ou deux écrans d’ordinateurs. Des couettes de fils partaient de la cabine et couraient en tous sens sur la passerelle. La porte de la cabine ne fermait plus tant les fils encombraient les lieux. Formant un demi-cercle autour des vestiges d’un feu endormi, s’entassaient pêle-mêle quelques sacs de couchages sur des matelas en mauvaise condition.
Au fond, un escalier en colimaçon montant vers la surface. Il formait, avec le mur porteur de la station, un immense puits de lumière. Un soleil à son zénith éclairait le campement. Les courants froids des tunnels d’entretien laissaient ici place à des vents fiévreux, humides et étouffants qui déferlaient en vagues continues. Je suffoquais déjà.
L’interdiction de parole semblait levée et Ann prononça elle-même la première phrase de cet interminable marche : « Ahhhhh… Enfin. Home sweet home ! ».
Elle sourit et éteignit sa lampe de poche. M’oubliant totalement, elle déposa son sac sur l’une des deux tables – déjà fort encombré de disques durs, de carcasses d’appareils démontés et de circuits électrique - alignées près de la clôture de la mezzanine.
Je sursautai lorsque le sac de couchage à ma droite, que j’avais cru vide, remua et dans frottement de tissu, un homme au visage basané s’en extirpa !
- Hola patrona !
- Hola Sebastián.
Affichant un large sourire encadré d’une barbe noire taillé dans le style Verdi, l’homme serra fortement Juliette dans ses bras avant d’entreprendre une conversation en espagnol avec Ann. Après avoir échangé quelques phrases, elle l’accompagna jusqu’à la cabine d’où ils rapportèrent, lui un ordinateur portable, elle une rallonge électrique. Sebastián libéra une partie de la table pendant qu’Ann brancha la rallonge en dessous. Ils prirent place côte à côte sur des chaises de métal. Feignant la docilité, je me traînai lentement jusqu’à un des matelas.
J’étais bien décidé à passer le restant de la journée et même la nuit, si nécessaire, à observer et surveiller leurs moindres gestes… Pas question qu’ils s’enfuient avec mon précieux Commutateur.
Dans ma position actuelle, le reflet du soleil en provenance du puits de lumière rendait leur écran complètement illisible. Je repérai un lit de fortune qui me semblait placé dans un meilleur angle et m’y déplaçai calmement. Personne ne s’intéressa à moi… Juliette s’époumonait à ranimer les braises du feu et les deux autres étaient si subjugués par leur écran que je pus m’installer dans l’indifférence la plus totale. De mon nouveau poste je pouvais voir avec plus de facilité mais cela ne m’avançait malheureusement pas.
De longues lignes de codes illuminaient leurs visages, les fenêtres défilaient à un rythme effréné. Je ne connaissais rien de ce charabia informatique et ils s’y déplaçaient avec trop d’agilité pour que je puisse en tirer quelque chose.
J’étais maintenant, sans m’en être rendu compte, allongé sur le matelas en mousse bleu.
Mes paupières se laissaient bercer par les suites interminables de symboles sur leur écran…
J’avais l’impression que les chiffres et les lettres en surbrillance dansaient sous mes yeux. Pour mon seul et unique plaisir.
Le défilement incessant des fenêtres… les lettres, les chiffres, les symboles… tout se brouillait.
Il ne fallait pas que je m’endorme.
Non…
Pas tout de…
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