Chap 5-1 Nouveau partenaire (1/2)

7 minutes de lecture

  A peine eut-elle le dos tourné que le sac de course s'affaissa et son contenu se déversa sur la table. Sonia ramassa la barquette de viande rouge et observa les gouttes de sang qui dégoulinaient sur le plastique d'emballage. Tranchez dans le vif...

  « NON maman ! s'exclama-t-elle. Maman... NON ! » reprocha-t-elle au morceau de viande d'un ton sec. Dire non, était-ce si compliqué ? Pourquoi en était-elle incapable ? Sa vie virait au cauchemar : sa société, si jeune et si prometteuse, se faisait démembrer par l'ogre KES, ses boss filaient à l'anglaise les uns après les autres, son ordinateur avait des tendances suicidaires et sa famille implosait ; et elle ? Une petite voix mesquine lui souffla que le pire était à venir... Ses amies avaient raison, elle avait une vie de merde !

  Elle finit de ranger les courses et s'installa devant son ordinateur. Elle avait besoin d'un défouloir et Xena lui servirait d'interprète. Il était temps que cette épée serve à autre chose qu'à décorer son échine, elle n'avait pas jeté son dévolu sur une guerrière pour se déhancher sur un catwalk. Qui plus est, elle voulait étrenner les capteurs gestuels arrivés par la poste. Grâce à eux, elle allait se mouvoir sans contrainte dans Autremonde. Le principe était simple : de petits appareils collés à des bandes élastiques munies de scratchs se fixaient aux chevilles, cuisses, bras et abdomen, et un émetteur posé à un mètre captait les mouvements que l'avatar reproduisait alors fidèlement. Bien sûr, le système offrait des raccourcis : par exemple, il n'était pas nécessaire de marcher pour avancer dans le jeu, un simple pas posé devant l'autre suffisait à donner l'instruction de déplacement vers l'avant ; le même principe s'appliquait aux autres directions ; la course se déclenchait en trépignant sur place. La gestion de l'avatar pouvait facilement s'effectuer tout en restant assis sur une chaise, moyennant un calibrage des capteurs et l'application de quelques règles particulières. Le marché des appareils de réalité virtuelle proposait des outils bien plus performants, mais pas dans la gamme de prix qu'elle était disposée à débourser. Encore fallait-il que sa machine ait assez de poumons pour gérer l'effort sans risquer l'embolie.

  Elle enfila son casque et s'équipa des capteurs comme si elle endossait la tunique de combat de son avatar. Et si son ordinateur devait crever, qu'il crève l'arme à la main !

  Restait à trouver le juste théâtre de ses futurs exploits guerriers ! De retour à son dernier point de connexion, elle se téléporta devant la borne d'information la plus proche comme Sven le lui avait suggéré. Ces appareils d'orientation poussaient un peu partout dans la ville. Le système de recherche intégré à l'avatar n'avait d'utilité que si on connaissait sa destination ; les bornes, elles, offraient des menus par thème, des descriptions détaillées de lieux et d'activités, des flashs info sur l'actualité d'Autremonde - notamment les nouvelles politiques, économiques, voire militaires des nations qui peuplaient les innombrables univers et souvent s'y querellaient -, sans oublier les bons plans pour les festivals, les concerts, les expositions, les compétitions sportives, les quêtes et même une rubrique « petites annonces ». L'application « CyberSearch » était téléchargeable sur appareil mobile et permettait de recevoir directement les notifications souhaitées.

  Elle jeta un œil aux nouvelles. La tension montait entre les Titans et les locataires de l'Olympe, une nouvelle escarmouche avait opposé les Titans des Montagnes et un groupe de Dieux descendus dans la plaine. Pas de victime, des dégâts néanmoins importants, un village d'humains ayant été rasé de la carte. C'était le troisième incident en un mois. « D'aucuns parlent déjà d'escalade et d'une guerre à venir... ». Coté activités, dans une semaine commençait la quête de la Clé d'Altengard. La quête avait déjà battu des records d'inscription. Il faut dire que la citadelle d'Altengard attirait toutes les convoitises depuis vingt ans et la fameuse Bataille du Siècle. « Entrer dans la citadelle inexpugnable sera déjà une récompense extraordinaire pour les combattants d'Elisor. Mais on raconte que le prix à gagner au cœur même de la mythique forteresse dépassera les rêves les plus fous. A suivre... ». Un vaisseau d'exploration s'apprêtait à partir d'ici trois semaines en direction d'un nouveau système solaire découvert trois mois plus tôt au cœur du Noyau Profond par la sonde « Deep VI ». « Il ne reste plus que quelques places de libre. Les inscriptions se clôturent cette semaine. La mission est considérée comme risquée non seulement en raison de la présence de trous noirs et de nombreuses anomalies gravitationnelles, mais aussi de la possibilité d'y trouver une base reculée de l'Empire. En effet, le bastion impérial connu le plus proche n'est qu'à quelques années-lumière de là... ». La nouvelle exposition d'art virtuel du Louvre remportait un franc succès. Pas moins de trois millions de visiteurs payants s'étaient plongés au cœur des œuvres des grands peintres flamands, une immersion à l'intérieur même des peintures dans lesquelles les visiteurs pouvaient se balader, dialoguer avec les habitants du tableau et apprendre une montagne d'information. « Les plus chanceux retrouveront même l'artiste caché au milieu de son œuvre ! Avec un cadeau en prime... Une aventure à la fois culturelle et ludique qui se prolongera jusqu'à fin juin... ».

  Sonia décida de ne pas poursuivre plus avant - il y avait des pages et des pages de nouvelles - et elle se concentra sur l'objet de sa recherche. La liste thématique offrait au guerrier néophyte de nombreuses possibilités : des tutoriaux pour s'initier au combat, d'anciens jeux populaires décommissionnés mais reconditionnés pour Autremonde, des jeux de rôles, des quêtes de donjons, des classiques remis au goût du jour ou même des cours particuliers avec moniteurs humains ou intelligences artificielles.

  Les choix défilaient sans fin et elle se revoyait dans son canapé, lors d'une de ses soirées pyjama à parcourir la base de données cinéma jusqu'à ce qu'elle réalise qu'il était l'heure de dormir. Sa seule expérience aux jeux de combat se bornait à ceux auxquels elle avait joué, petite, avec son frère. Il lui fallait quelque chose de simple, une salle d'entrainement ou un jeu d'entrée de gamme pour enfant, du style Blanche Neige contre Les Sept Nains. Qu'aurait choisi Adam ?

« On va tuer des zombies !

  • C'est quoi un zombie ?
  • Un zombie, c'est comme un mort qui sort de sa tombe pour te manger !
  • On va tuer des morts ?
  • Eh bien, euh... Ouais ! Ça va être cool ! »

Comment s'appelait ce jeu déjà ? Elle devrait s'en rappeler, il avait un nom marrant, même si elle en avait fait des cauchemars...

***

« Bienvenue dans le Donjon de la sorcière Venoma ». Les portes lourdes bardées de fer s'ouvrirent devant Xena. À défaut d'avoir retrouvé le jeu de son enfance, elle avait opté pour une alternative simple, gratuite, « idéale pour débutant », offrant « pleins de surprises » et de « superbes prix » grâce aux nombreux sponsors. La méchante Venoma avait lancé un sort sur le Royaume de Florella ; toutes les plantes se transformaient en monstre et il fallait l'arrêter ou la magie des fleurs disparaitrait à jamais. Pour affronter Venoma, Xena devait traverser un labyrinthe constitué d'un réseau de couloirs en pierre peuplé de monstres variés : des champignons péteurs, des fleurs carnivores, des lutins sauteurs, etc. A chaque fois qu'un ennemi mourrait, il explosait dans un panache de fumée et une pièce d'or tombait sur le sol. En plus du gain, la barre d'expérience de Xena augmentait de quelques points. De temps en temps, la guerrière tombait sur un coffre qui s'ouvrait comme on tuait les monstres : à coups d'épée. Elle récoltait ainsi des potions de guérison, des pièces d'or, des armes ou des bons de réduction pour des boutiques. Les salles sponsorisées proposaient des gammes de produits en vente directe, tels que des vêtements, des objets de décoration, des offres de voyage ou d'abonnements. Certaines pièces mêlaient le combat à la publicité de façon subtile. Xena progressait sans difficulté malgré son manque d'expérience, le but étant probablement de lui faire traverser un maximum de scènes publicitaires.

  Elle atteignit enfin un escalier qui montait au second étage. « Tu ne t'avoues pas vaincu facilement, étranger ! clama une voix désincarnée. Mais à partir de maintenant, tu vas connaitre l'enfer ! ». Un rire diabolique ponctua la menace. Son premier adversaire du niveau deux fut un pathétique hamster géant qui essayait de la mordre. Le côté positif, c'est qu'avec un jeu aussi basique, son ordinateur ne risquait pas de crasher... Crasher ? Xena s'immobilisa à une intersection. Sonia avait porté deux doigts à ses lèvres. Crasher... C'était quelque chose comme ça. Elle l'avait sur le bout de la langue. « Crash... Elle... Crash... » Oui ! C'était Hellcrash ! Le jeu auquel elle jouait avec son frère quand elle était petite. La vache ! Quand je ne parlais pas anglais, ça sonnait différemment... Beaucoup de jeux avaient été émulés dans Autremonde, qui sait si celui-ci...

Tant pis pour les fleurs...

  De retour à la borne, elle tapa Hellcrash dans la catégorie « Jeux ». Quelle idée de faire jouer une gamine de six ans à un jeu de zombies assoiffés de sang ! Une liste de mots apparut à l'écran. « Non ! Je le crois pas... » murmura-t-elle. Il était là : Hellcrash existait bel et bien dans Autremonde. La description parlait d'une reconstitution d'un classique des jeux de console en accès libre. La version Autremonde avait cinq ans. Elle sélectionna le jeu et se téléporta trente ans en arrière, à l'époque lointaine où elle et son frère se parlaient, collaboraient et s'amusaient à massacrer des monstres aussi naturellement que si elle jouait à la poupée.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Lofark ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0