Chap 8-4 A dos de Tricératops
Le groupe remonta en jeep. Indiana Jones émit un sifflement et un grand cheval noir surgit de la forêt en galopant, un magnifique étalon noir pangaré à la robe étincelante. L’animal sorti de nulle part s’ébroua tandis que l’homme attrapait les rênes et sautait sur la selle en cuir. Le cheval se cabra dans un hennissement fébrile et s’élança le long de la piste. « Suivez-moi ! » cria le ranger. Les deux jeeps démarrèrent en trombe dans son sillage. La route s’éleva rapidement et la jeep de Xena déboula sur le dos d’une colline offrant un panorama époustouflant sur le ciel et la mer. Le volcan tout puissant les jugeait depuis ses pentes noires. Le cheval vira de bord et les deux jeeps le traquèrent dans une épaisse végétation. Les feuilles géantes claquaient contre le pare-brise, les forçant à ralentir pour ne pas heurter un arbre.
« Où il nous emmène celui-là ? maugréa Henry.
— Je crois qu’il nous prend pour des herbivores, fit Laura. Il veut nous faire manger la végétation… ».
Lorsqu’ils rejoignirent le pisteur, le cheval les attendait immobile devant un grand mur de béton haut de plusieurs mètres. Le ranger se tenait debout au pied de son destrier. « Quelqu’un a des ventouses ? » fit Antonio en descendant du véhicule. Sonia pensa d’emblée à leur capacité de lévitation, mais constata que l’option avait été désactivée. « On ne peut pas voler ici ? interrogea-t-elle.
— Non, pas ici, répondit Joe. L’île est privée. Elle n’est pas soumise aux mêmes règles »
L’homme les invita à l’accompagner le long du mur. Ils marchèrent pendant une minute environ, puis arrivèrent à une petite porte dérobée. La cloison coulissa automatiquement et ils entrèrent en file indienne. De l’autre côté, la végétation était tout aussi dense. Sonia ressentait déjà un avant-goût de chasse au trésor.
Un autre petit sentier les mena bientôt à une sorte de ranch. Cependant, les animaux qui se reposaient dans les enclos n’étaient ni des vaches, ni des chevaux. Non, elle avait devant les yeux de gigantesques rhinocéros carapaçonnés, armés de trois puissantes cornes auréolées d’une couronne de protection dans un blindage qui devait résister aux balles.
« Nous y voilà, chers aventuriers, fit Indiana Jones. Le ranch des triceratops ! ».
Sonia avait déjà vu ces animaux dans des films ou documentaires sur les dinosaures, elle les savait herbivores, batailleurs et armés pour le combat. Ce qu’elle n’avait évidemment jamais vu dans aucun documentaire, c’était ces mêmes animaux d’aussi près et harnaché avec une selle sur le dos. Chaque animal avait une fiche signalétique virtuelle indiquant son nom, sexe, âge, poids, taille et palmarès de compétition. Après avoir scanné trois bêtes, elle opta pour une jeune femelle de trois ans, six mètres de long pour cinq tonnes, répondant au doux nom de Cornabella.
Tandis que chacun s'installait sur son animal, le ranger prodigua ses conseils de conduite et de sécurité. Il insista sur le fait que ces animaux, bien que domestiqués, conservaient un instinct de combattant et mieux valait ne pas jouer avec leurs pieds. Les selles étaient équipées de balises GPS et de système radio qui permettaient de rester en contact et retrouver les animaux qui auraient fugué. Les concurrents suivirent un sentier jusqu’à la ligne de départ. La course se déroulait sur une portion délimitée de l’île et était parsemée d’obstacles. Les participants gagnaient comme récompense des points de bonheur dont le montant était fonction de leur temps et de leurs positions respectives à l’arrivée.
« Laura ! interpella Antonio. Je suis certain que ces trois cornes te titillent les papilles !
— A moi, elles me rappellent seulement celles que j’ai mises à tous mes amants qui n’étaient pas à la hauteur…
— Antonio en fait partie, il me semble, non ? demanda Joe d’un ton innocent.
— Oh, je ne sais plus, fit Laura, j’essaie d’oublier les mauvais coups.
— Oh oh ! fit le latino. Si tu ne te rappelles plus de nos folles nuits d’amour, c’est que tu as Alzheimer, ma douce !
— Oui c’est juste... mais tu étais tellement nul que j’ai devais prendre des amants complémentaires pour compenser le peu de points de bonheur que tu me procurais, petit cornudo.
— Oh c’est mignon comme surnom « cornudo » ! s’égailla Mona.
— Ah Ah ! Trompé par des amants d’appoint ! s’esclaffa Henry. Laura, tu es une mangeuse d’hommes !
— Bon, c’est officiel, commenta Joe, le nouveau surnom d’Antonio, c’est triceratops ! »
Fou rire général. « Oh les gars, c’est pas sympa… ».
Le groupe arriva enfin à l’esplanade de départ. Les animaux se postèrent le long d’une ligne tracée dans la terre. Certains raclaient déjà le sol de leurs grosses pattes. L’animal de Xena s’ébroua, puis souffla bruyamment par les narines. Il y avait de la tension parmi les montures. « Ne n’inquiète pas, trésor, poursuivit Laura comme si de rien n’était, je te donnerai peut-être une chance de me faire changer d’avis à ton sujet ». Le ranger arriva à cheval sur le côté du groupe et brandit un pistolet dans les airs.
« Ah mi amor ! La prochaine fois, je te ferai grimper jusqu’à la lune ! » s’enthousiasma Antonio.
Xena agrippa les rênes de son animal. « Bon, arrêtez de vous chauffer vous deux, lança Henry, et préparez-vous pour la course ». Le principe de conduite était similaire à celui d’une voiture de course : accélérer, freiner, sauter, aller à gaucher et à droite. « Et tant qu’on y est, le dernier a un gage ! ». Le ranger entama le compte-à-rebours.
« Trois, deux, un… »
Le coup de feu retentit. Tous les animaux s’élancèrent sur la piste comme un troupeau fou dans un mélange désordonné de rugissements et de meuglements. Xena rebondissait dans tous les sens et très vite, Sonia commença à avoir le tournis. Ses camarades criaient et riaient aux éclats. Dès le premier virage, elle comprit que ces animaux allaient s’avérer ingérables. Une grande flèche lumineuse clignota à l’écran pour leur indiquer la direction à suivre. Henry hurla : « À droite ! ». Sonia actionna la commande, mais trop tôt, ou trop tard, ou trop mal, mais plutôt que de virer, son animal souleva son énorme crinière, émis un grognement lourd et s’élança sur la gauche en percutant violement son voisin ! Xena vola et tomba de côté, désarçonnée. Mona jura. « Xena ! ». Dans son salon, Sonia n’était plus en équilibre que sur une jambe.
Déjà les sept montures étaient dispersées dans tous les sens, dont trois en tête et quatre partis dans de mauvaises directions. Par miracle, Xena était encore debout. Elle s’était redressée sur sa selle et son triceratops reprenait la course. La piste vira à nouveau plus loin juste avant de se fondre dans la forêt, mais deux des animaux de tête ne l’entendirent pas ainsi et foncèrent tête première dans les arbres arrachant tout sur leur passage. C’était une véritable cacophonie dans son casque, entre les cris des montures et celles des cavaliers, on ne comprenait plus rien. En suivant les flèches, les animaux plongèrent dans le lac et se mirent à nager. Ils avançaient au ralenti et Sonia apprécia l’accalmie momentanée. Elle compta six triceratops dans l’eau et, par quelque miracle, elle était en troisième position. Mais au beau milieu du lac, sa monture bascula et plongea en faisant une pirouette. Aux rires d’Henry, elle comprit qu’il l’avait attaquée. Ce traitre avait réussi à faire nager son animal sous l’eau ! Lorsqu’enfin sa femelle mis patte à terre, elle était bonne dernière.
Plus loin, la course épique se muait en saut d’obstacles. Pour progresser, les animaux devaient sauter au-dessus de troncs d’arbres. Sonia put refaire une partie de son retard car à son passage la plupart des arbres avaient été défoncés. Alors que les coureurs entamaient un grand virage autour d’un rocher, les montures se tenaient dans un mouchoir de poche.
« Dépêche-toi chérie, lança Antonio, ou je vais t’enfoncer ma grosse corne dans le fion !
— Quel séducteur cet Antonio…, rétorqua Laura. J’ai presqu’envie de ralentir… »
Il semblait à Sonia qu’ils avaient effectué une demi-boucle autour de la plaine, mais alors qu’elle s’attendait à virer pour retourner vers leur point de départ, une grande flèche indiqua la direction de la jungle. « Oh ! » commenta Henry avant que son animal ne percute de front la végétation. Un par un, tous s’engouffrèrent dans la forêt. Et très vite, ce fut la confusion. « Je suis perdu ! » « Ah ! cria Henry, je suis tombé de ma selle ! » Tout le monde y allait de son commentaire. Sonia s’abstint d’en rajouter, mais elle était perdue. Elle suivit de loin un concurrent pendant une demi-minute avant de réaliser qu’il n’y avait pas de cavalier sur le dos de l’animal. « Mauvaise piste » conclut-elle.
Xena ne galopait plus à présent. Son animal avançait au pas dans la végétation en direction du nord. Elle n’avait aucun point de repère. D’immenses arbres s’élevaient tout autour d’elle, envahis de plantes grimpantes et de lianes qui s’enroulaient comme des serpents enserrant le cou de leur proie. Le sous-bois était plus clairsemé qu’aux alentours du village, mais l’inégalité du terrain et les fougères aux feuilles géantes l’empêchaient de voir loin.
Elle surprit alors un reflet dans les arbres. Le mot « bonus » en lettres scintillantes clignotait au-dessus d’une immense grappe de fruits rouges, suspendue à plusieurs mètres au-dessus d’elle. Tout n’est pas perdu, pensa-t-elle. Mais comment attraper la récompense ? Elle trouva l’option « décrochage » dans son menu. En l’actionnant, Xena sortit les pieds des arçons. Elle se releva et, debout sur la selle, dégaina son épée. Elle était cependant encore trop bas pour atteindre les fruits. Dans son casque, elle entendait que certains s’étaient retrouvés. Elle annonça à ses compagnons qu’elle allait cueillir des fruits. Quelques mots fusèrent en réponse comme « gourmande », « partager » ou « tourista ».
Xena sauta par terre. Après s’être assurée que son animal ne partait pas en courant, elle s’approcha de l’arbre qui était couvert de lianes grimpantes. L’option « grimper » s’afficha. Elle escalada le tronc, en s’agrippant aux lianes et atteignit la grosse branche. Elle avança dessus à quatre pattes sans savoir si son avatar était plus à l’aise dans cette position. Elle ne risquait pas grand-chose à tomber de l’arbre. A la rigueur, perdre des points d’amour propre...
Arrivée à hauteur des fruits, elle sectionna la base de la grappe d’un tranchant d’épée et le paquet rouge s’écrasa sur le sol en un grand splash ! Bon, va pour la confiture. L’animal en bas eut un mouvement de recul, mais ne se formalisa pas outre mesure. Elle fut tentée de sauter, mais préféra reprendre la route sécurisée de la liane. Le temps qu’elle remette pied à terre, la moitié des fruits avait été dévorée par le triceratops.
Elle détacha un des fruits de son régime, une grosse prune rouge de la taille d’un pamplemousse, et le mangea. Xena émit un petit bruit de plaisir qui surprit Sonia. Elle n’entendait pas souvent Xena s’exprimer d’elle-même. C’était le cas lorsqu’elle frappait un ennemi avec son épée, mais l’expression de plaisir était plutôt inattendue. Le message « +50 PBO » s’afficha et s’envola presqu’aussitôt. Si elle avait gagné cinquante points de bonheur, que dire du tricératops qui avait englouti entre-temps l’entièreté du régime de fruits rouges.
Lorsqu’elle retrouva la sortie de la forêt, une nouvelle flèche lui indiqua qu’elle devait faire demi-tour. Joe, Henry et Mona, qui avaient atteint l’arrivée, tentaient d’expliquer aux autres par où se diriger. Au bout de deux minutes, Xena entra dans une petite clairière où l’attendait quatre de ses compagnons. Un petit drapeau rouge était planté dans le sol et le texte « Arrivée » s’affichait en surbrillance dans l'air. Elle fut bientôt suivie de Laura et Antonio qui les rejoignirent sur le dos d’un même tricératops.
« Eh bien Antonio, tu t’es pris une branche ? demanda Henry.
— Et non l’ami, le coup de branche, c’est plutôt moi qui l'ait mis !
— Oh, oh ! On a eu un petit règlement de compte, j’ai l’impression…
— Il voulait absolument passer son examen de rattrapage, précisa Laura. Un orgasme à dos de triceratops me semblait une occasion en or.
— C’est pour ça qu’on les entendait plus.
— Ça a dû secouer…, fit Mona
— Effectivement…, commenta Henry d’un ton pensif. J’imagine que tant que c’est dans le rythme… »
Xena fut sermonnée pour avoir laissé son animal manger tous les fruits sans en garder pour les autres. Le retour au village fut animé, chacun partageant son expérience personnelle avec les triceratops, de loin les animaux les moins fiables et les plus caractériels que l’homme ait jamais tenter de domestiquer. Les amis se séparèrent sur la place du village et se donnèrent rendez-vous le lendemain pour le début de la chasse au trésor.
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