12-1 Les larmes de lune
Les jeeps longeaient la mer en direction du temple lunaire. Debout sur le premier véhicule, Laura tenait le prisme à bout de bras. Le faisceau lumineux projeté par le cristal servait de guide. Au loin se dressait le piton rocheux qui coupait l’île en deux au niveau des coulées de lave. Plus ils approchaient du bout de la plage, plus le faisceau déviait sur la gauche. « On dirait qu’il indique les contreforts du volcan » dit Joe. Sur son conseil, ils garèrent les véhicules sous un grand palmier et pénétrèrent dans la jungle.
Les avatars courraient sans s’essouffler en suivant leur fil d’Ariane lumineux. Sonia observait la pleine lune qui trônait au-dessus deux. Celle-ci disparaissait souvent sous le couvert des arbres pour ressurgir à la trouée suivante. Bientôt, le terrain s’éleva. « C’est long ! gémit Sandra. On aurait dû louer un hélicoptère ! ». Sonia s’étonna de cette remarque ; après les émotions vécues, elle trouvait le calme de la balade plutôt bienvenu. D’un autre côté, pendant qu’elle affrontait le monstre dans un duel désespéré aux abords du précipice, Sandra attendait assise sur une pierre à se ronger les ongles. Ou alors à se les vernir…
La pente se fit plus raide, mais les avatars ne souffraient ni de la fatigue ni de la gravité. Ils avançaient à petites foulées sur rythme régulier. La végétation se clairsema et une paroi rocheuse se dessina à la lisière de la forêt. Le fil de lumière les mena directement vers un socle de pierre abimé affleurant du sol rocailleux. Il était usé par l’érosion naturelle, mais on distinguait clairement le dessin gravé sur un côté : un demi-cercle posé à l’horizontal.
« C’est pas comme ça qu’on voit la lune dans l’hémisphère sud ? demanda Sandra.
— On dirait plutôt un levé ou un coucher de soleil, fit Laura.
— On suit la lune, donc je miserais sur un lever du soleil » suggéra Henry.
Laura posa le prisme sur le socle. « On a traversé la nuit, dit-elle, et on va trouver la lumière ? » Le cristal s’illumina. La terre trembla. Sonia se crispa. Elle devenait allergique aux sols qui vibrent. La paroi devant elle se fissura, s’effrita, des morceaux de roches s’en détachèrent et roulèrent sur le sol en déclive. Puis une faille s’ouvrit, alors que deux pans de roches glissaient lentement en sens opposé libérant une lumière dorée. « Je crois qu’on a réussi les enfants ! » lança Henry. Les murs se turent et le silence reprit ses droits.
L’intérieur de la grotte secrète était éclairé par une source lumineuse qu’on ne distinguait pas. Des vagues de lueur dorée se mouvaient le long des parois. Sonia vit une goutte tomber du plafond et un écho résonna sur les murs. Ils entrèrent. Au centre de la grotte, une vasque en pierre de petite taille était posée sur un socle grossièrement sculpté dans la roche. Elle était remplie d’un liquide doré dont la surface troublée était parcourue de vaguelettes. C’est ce liquide qui éclairait les parois de la grotte. Une nouvelle goutte tomba du plafond et s’écrasa à la surface en produisant un son amplifié qui mourut à petit feu tandis que les ondes se dispersaient, ricochaient sur les bords du bassin, puis se télescopaient.
« C’est le trésor ? dit Sandra.
— Les larmes de lune… » murmura Henry en observant le plafond.
Rassemblés autour du bassin, leurs visages avaient pris une couleur cuivrée. « On goûte ? » proposa Laura. Henry se désigna comme cobaye. Il joignit ses mains en coupole et les plongea dans le liquide. Voyant que rien ne se passait, il porta le liquide récolté à sa bouche et le but. Aussitôt, un message lumineux s’inscrit au-dessus de l’avatar : « + 2,500 points de bonheur », suivi juste après de « + 1 point de force ».
« Un point de force ! s’exclama Joe.
— Alors ça ! réagit Henry. Qui eut cru qu’une chasse au trésor pouvait modifier les coefficients primaires. C’est complétement fou !
— Quelqu’un m’explique ? hasarda Sonia tout bas.
— C’est juste tes caractéristiques de guerrier, intervint Laura d’un ton blasé. Ça n’a aucun intérêt…
— Pour être plus précis, Xena, dit Henry, les coefficients primaires sont les paramètres de base de ton avatar. C’est ce qui le différencie des autres. Il doit y en avoir une douzaine environ. La force fait partie des caractéristiques guerrières, comme la vitesse, l’agilité ou l’endurance. D’un autre côté, tu as aussi des paramètres citoyens comme le charisme, la chance ou la libido.
— La libido ? s’étonna-t-elle.
— Très utile, fit Laura, pour augmenter le plaisir et les points de bonheur !
— Tu as aussi des caractéristiques mixtes, ajouta Joe, qui jouent sur les deux tableaux. Personne ne connait ses caractéristiques de base, mais on peut déduire ses forces et faiblesses avec le temps et l’expérience. »
Sonia se rappelait avoir lu quelque chose sur le fait que chaque avatar était fondamentalement unique, mais n’avait pas creusé la question. Elle se demanda quelles étaient les forces et les faiblesses de Xena. Henry se resservit à nouveau d’eau miraculeuse, mais elle n’eut aucun effet la seconde fois.
« C’était prévisible…, fit-il d’un ton résigné. À qui le tour ?
— Ça a quel goût ? demanda Laura non sans ironie.
— Coca-cola, lança-t-il du tac au tac. Sans gaz...
— Bon, j’y vais alors…, dit-elle sans grand entrain. Tous ces efforts pour 2.500 points de bonheur…
— Allons, fit Henry, tu en auras peut-être plus… »
Laura forma une coupole de ses mains et porta le liquide de lune à sa bouche. Comme pour Henry, deux messages s’affichèrent en succession rapide :
« + 3,500 points de bonheur »
« + 1 point d’intelligence »
« Eh ! s’exclama-t-elle. C’est pas mal !
— Eh bien tu vois…
— Xena, poursuivit Joe d’un ton professoral, l’intelligence est justement un des paramètres mixtes qui bénéficie à la fois au profil guerrier et au profil citoyen. Il permet d’apprendre plus vite et augmente ton coefficient multiplicateur de points de bonheur.
— C’est pas que je manque d’intelligence, précisa Laura, mais on en a jamais de trop… »
Deux avatars avaient gouté au nectar de lune et les résultats avaient été différents, tant pour le nombre de points de bonheur que pour le point bonus du coefficient primaire. Sonia avait tout d’un coup très envie d’en apprendre davantage sur les caractéristiques des avatars. Elle comprenait seulement maintenant que Xena était unique, mais elle ne savait pas en quoi ! Joe fut le suivant à boire à la vasque :
« + 3,750 points de bonheur »
« + 1 point de sensibilité à l’élément terre »
« Eh ! Tu as eu plus de points que moi ! se lamenta Laura.
— C’est que j’en avais plus besoin que toi, ma jolie… »
Sonia hésita à demander ce que la sensibilité à la terre pouvait être, mais ce ne fut pas nécessaire. Joe, qui avait bien compris qu’elle n’y connaissait rien, anticipa la question. « Il y a quatre éléments fondamentaux dans Autremonde – la terre, le feu, l’air, l’eau –. Le niveau de sensibilité mesure ta capacité à gérer cet élément, à l’utiliser et à y résister. C’est plutôt un paramètre guerrier, très apprécié des adeptes de la magie.
— Totalement inutile… » précisa Laura.
Antonio s’avança à son tour. Sans vraiment se concerter, ils allaient boire à la source en fonction de leur position respective autour du bassin en tournant dans le sens des aiguilles d’une montre. Après Joe viendrait son tour, puis celui de Mona et enfin Sandra. « À moi le cocktail Luna ! s’exclama le latino avant de boire une rasade du liquide d’or.
« + 4,500 points de bonheur »
« + 1 point de chance »
« Oh oh ! s’extasia-t-il. C’est mon jour de chance !
— Non, mon chou, répliqua Laura. Ton jour de chance, c’était lorsque je t’ai laissé monter sur mon triceratops...
— Oh ma belle, je suis sûr qu’avec ce point en plus, tu me laisseras remonter encore…
— Je ne sais pas… maintenant que j’ai un peu plus d’intelligence, je vais y réfléchir à deux fois… »
À n’en pas douter ces deux-là formaient un couple bien assorti. « Bon, si vous avez fini de vous chauffer, s’énerva Sandra, on peut peut-être continuer ! C’est des points d’impuissance dont vous auriez besoin tous les deux pour vous calmer ! »
Le temps que Sandra se fasse traiter de petit frigidaire et de jalouse frustrée, le silence était revenu. Sonia sentit le regard de tous ses compagnons se poser sur elle. Elle respira à fond et puisa dans le liquide magique. « Alea Jacta Est » murmura-t-elle.
Le résultat s’inscrivit en lettres lumineuses :
« + 7,500 points de bonheur »
« + 1 point d’agilité »
Les clameurs explosèrent dans la petite cavité secrète. « Jamais vu un truc pareil ! siffla Henry.
— C’est immoral ! fit Laura. Tu dois avoir des prédispositions au sexe !
— Je suis dégoutée, grogna Sandra. Il m’a fallu au moins un an pour atteindre un tel niveau.
— Oui mais toi…, commença Laura, les prédispositions… »
Tous y allèrent de leur petit commentaire. Mona était fière d’elle comme si le maillot de bain qu’elle lui avait fait acheter y était pour quelque chose ; Antonio, qu’elle était maintenant digne qu’il l’invite à une soirée romantique ; Laura, qu’elle allait commencer à se méfier de la concurrence ; Joe, que l’agilité était un trait très polyvalent qui pourrait lui être utile dans beaucoup de cas de figure.
« Mais un point, interrogea-t-elle, c’est beaucoup ?
— Oui, affirma Henry. À la base, la plupart des paramètres s’échelonnent de 1 à 10. Et vont très exceptionnellement au-delà en fonction d’objets magiques ou comme récompense de faits exceptionnels.
— Donc, tu peux considérer, compléta Joe, qu’un point, c’est une augmention d’environ 10% de ta compétence. C’est vraiment beaucoup d’autant que ce genre de récompense est quasi inexistante dans Autremonde.
— On se demandait ce qu’offrait une chasse au trésor de niveau 12, conclut Henry. Maintenant on le sait. »
Mona à son tour but une gorgée magique :
« + 4,000 points de bonheur »
« + 1 point de sensibilité à l’élément feu »
« Pas mal, commenta Laura, visiblement ennuyée d’avoir eu moins de points de bonheur.
— Je ne me plains pas, et qui sait, avec cette nouvelle compétence, je vais peut-être réussir à instaurer un cessez-le-feu entre toi et Sandra…
— Je ne suis pas en guerre avec elle ! dégaina Sandra. C’est elle qui est en guerre contre toutes les femmes plus jeunes et plus sexy !
— Non, alors je vous arrête toutes les deux, rectifia Laura. Un, je ne suis en guerre contre personne. Deux, si tu veux un cessez-le-feu, adresse-toi à moi uniquement, parce que celle qui enflamme les hommes, c’est moi et pas l’autre petit glaçon. »
« Bon ! tonna Henry, juste avant que la réponse de Sandra ne fuse. On va pas y passer la nuit ! Sandra, il ne reste que toi. Vas-y…
— Ok ! claqua-t-elle d’un ton contrarié.
— Merci… mon petit glaçon » finit-il avec un sourire en coin.
Sandra ne dit rien, mais Sonia imaginait qu’elle était en train de le fusiller du regard dans son casque. La belle brune but la potion magique et le résultat ne se fit pas attendre :
« + 4,500 points de bonheur »
« + 1 point de libido »
Fou rire général.
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