12-3 Rayon de soleil
Quand le cristal toucha la pierre, Sonia sentit un frisson lui parcourir l’échine. Pendant un bref instant, rien ne se passa. Alors, doucement, le cristal s'éclaira comme une ampoule silencieuse dans la nuit. Sonia retint son souffle. Un claquement assourdissant résonna alors dans toute la pièce, des projecteurs géants s’allumèrent de partout à la fois en produisant une lumière si forte que Sonia en fut aveuglée. Plusieurs dans le groupe lâchèrent des cris de surprise. Pourtant, aucun danger ne se manifesta.
Une fois ses yeux accoutumés à la luminosité ambiante, Sonia constata que la source lumineuse était constituée d’une longue suite de carreaux adjacents formant une couronne tout autour de la pièce. Avant de s’éclairer comme des lampes, rien ne distinguait ces carreaux du reste des murs. L’effet de surprise passé, l'intensité lumineuse ne s’avérait pas aussi forte qu’elle l’avait pensé. La clarté n’en restait pas moins suffisante pour distinguer chaque recoin de la pièce.
« Allons, murmura Henry, qu’est-ce que…
— Là ! » cria Mona.
Sonia vit à son tour qu’un des carreaux s’était éclairé de façon beaucoup plus intense que les autres. Mais le moment d’après, c’est le carreau d’à côté qui avait accru sa luminosité tandis que le précédent reprenait sa clarté initiale. Puis, la charge lumineuse passa au suivant et ainsi de suite comme dans un domino. Elle réalisa que c’était cette lumière-là qui l’avait éblouie lors de l’allumage initial de la couronne. A présent, seul un carreau à la fois s’éblouissait, formant une sorte de spot circulant dans le sens inverse des aiguilles d’une montre. « Le mouvement s’accélère » constata Joe. La lumière giclait d’un carreau à l’autre de plus en vite et le course poursuite commençait à inquiéter un Sonia.
« Je crois, énonça Antonio d’un ton grave, qu’on est dans une… discothèque.
— Idiot, fit Sandra.
— On dirait plutôt un compte à rebours, comme dans les vaisseaux futuristes, jugea Joe. Vous savez là…
— Ouais, on sait…, reprit Antonio, juste avant qu’ils explosent.
— C’est quoi ce blem ! jura Sandra. Un prisme, tu gagnes, un prisme, tu crèves ? »
À présent, le flash filait à une vitesse vertigineuse tout autour d’eux comme une comète tournoyante laissant dans son sillage une traine lumineuse s’empreignant sur la rétine.
« On sort ? proposa Laura
— Pas encore, dit Henry, il va se passer quelque chose.
— Justement » répondit-elle.
Lors d’un ultime passage de la sonde lumineuse, les carreaux conservèrent leur intensité brillante jusqu’à reconstituer en entier la ceinture de lumière aveuglante. Un clac ! sonore retentit dans la place. Les lampes clignotèrent. Sonia eut à peine le temps de battre les cils que de partout à la fois fusèrent des rayons laser droit sur le groupe. « À terre ! » cria Antonio.
Le cri de son compagnon lui parut étrangement lent comme si son propre esprit s’était figé de surprise. Elle vit Henry sur sa gauche qui entamait un plongeon, juste assez bas pour que le faisceau le frappe en pleine tête, la transperçant de part en part. Elle-même n’eut que le réflexe de baisser le regard pour constater que son propre corps avait été perforé de trois rayons à hauteur de la poitrine.
« Putain, on est mort ? » murmura Antonio.
Xena était déjà morte de nombreuses fois en combattant des zombies dans un cimetière. Dans Autremonde, il n’était pas possible de sentir la douleur. La mort se matérialisait en étant éjecté du jeu. En l’occurrence, Xena était, donc à priori, Xena vivait. Dans cette partie d’Autremonde, elle n’avait pas de barre vie susceptible de se réduire. Elle vit alors que les rayons convergeaient tous vers le prisme. Ce n’était pas eux la cible, mais la pierre. Elle brillait d’un éclat plus intense que jamais, comme si elle absorbait progressivement toute l’énergie dirigée sur elle. « Non, confirma Henry en se relevant, on n’est pas mort. On peut pas mourir ici… ». Comment de fois avait-elle entendu ce refrain ? À croire qu’on avait besoin de se rassurer constamment dans cette chasse au trésor. Il passa sa main sur un rayon. Le trait la traversa comme à travers un spectre.
« Ils sont bizarres ces rayons.
— Ils nous traversent comme si on n’existait pas.
— Ça ressemble presque à un bug.
— Ou à un jeu bas de gamme, un truc mal programmé. »
Sonia s’écarta de la trajectoire des rayons. Elle ne savait pas pourquoi mais elle n’aimait pas se voir transpercer. « Vous pensez qu’on va se transformer en ampoule nous aussi ? fit Mona avec un brin d’ironie.
— Il y en a certains ici à qui ça ne ferait pas de mal, un peu de lumière… fit Laura
— Tu parles pour toi ? décocha Sandra
— Non, non, je ne voudrais pas t’éblouir encore plus. Tu te brûlerais la rétine !
— Alors, aucun risque ! Tu éclaires autant qu’un ver luisant !
— Oh tu sais, même un ver… »
Elle ne termina pas sa phrase. Les faisceaux s’étaient brusquement éteints ainsi que toute la couronne qui les avait générés. Seul, au centre de la salle, brillait le prisme sur son trône de pierre. La lumière qui en émanait pulsait. Henry tendit prudemment un bras et referma sa main dessus. Il poussa alors un cri strident « AAAHH ! ça brûle ! » et relâcha sa prise en se serrant le poignet. Il se tourna vers ses compagnons. « Non, je déconne ».
La boîte noire apparut dans l’une de ses mains, il saisit la pierre et la posa dedans. « Je doute que cette boite soit encore utile, jugea-t-il, mais on a peut-être activé quelque chose de nouveau. Qui sait ? » Il referma le couvercle et l’écrin disparut dans son inventaire. La salle fut plongée dans l’obscurité, à l'exception des lampes torches de Sandra et de Mona, restées allumées depuis leur entrée.
Une fois dehors, Henry proposa un test. Il prit la boîte noire et en souleva le couvercle. Sonia perçut des crépitements tout autour d’eux, mais ne parvint pas à savoir si le prisme en était la source. « Vous entendez ? » demanda Joe. Les autres acquiescèrent. « Restez sur vos gardes » dit Henry. Il sortit la pierre et la tendit vers le ciel. Il n’y avait pas de nuage. La pierre brillait de mille feux. Les crépitements se firent plus fort et se muèrent bientôt en bourdonnement. Sonia comprit alors que le bruit ne venait pas de la pierre, mais des deux piliers. Les deux colonnes avaient pris une couleur rose lumineuse et des inscriptions s’étaient gravées sur toute leur surface. Des décharges électriques parcouraient les poteaux de haut en bas, puis se mirent à gicler d’un pilier à l’autre, créant une barrière électrique balayant toute la surface les séparant.
« La pierre ! » cria Henry. Obnubilée par le spectacle des deux piliers, Sonia n’avait pas remarqué que le prisme émettait un faisceau de lumière. Le rayon partait dans la direction opposée et s’arrêtait contre le tumulus. Ce prisme remplissait donc le même office que l’autre. Mais déjà un vrombissement se faisait entendre côté piliers et un voile d’argent couvrit la surface les séparant.
« Un portail ? s’écria Joe.
— Je savais qu’ils avaient quelque chose de bizarre ces piliers » lâcha Sandra d’un ton qui traduisait son anxiété.
Antonio s’approcha lentement de la surface argentée. Il tendit sa main.
« Tu es certain de ce que tu fais ? demanda Mona
— Non »
Il toucha la surface. « C’est dur, mes doigts rebondissent dessus.
— Essaie l’autre côté, suggéra Henry.
— Vous pensez qu’il faut passer par là ? demanda Laura avec un brin d’appréhension.
— Je ne crois pas, dit Henry. Le prisme indique la direction opposée, mais on ne sait jamais. »
Antonio avait contourné les piliers. Il tendit à nouveau son bras. « Rien, dit-il. Il y a un effet de répulsion.
— Qu’est-ce que ça peut vouloir dire ? » interrogea Sonia.
Henry s’approcha à son tour et tendit le prisme vers le portail. Il n’eut pas plus de succès.
« Il semble qu’on n’est pas censé passer par là… ou pas maintenant.
— Peut-être que c’est par là, hasarda Sonia, que la bête est arrivée ? »
Il y eut un moment d’hésitation dans le groupe.
« Barrons-nous d’ici, fit Joe.
— Je suis d’accord » fit Antonio.
Le groupe escalada rapidement le tumulus afin de visualiser au mieux où pointait le faisceau de lumière. Arrivé au sommet, Henry leva le bras et observa la direction du guide se perdre au loin vers l’horizon. « Alors ça, je ne m’y attendais pas ! » dit-il. Le tumulus n’était pas assez haut pour supplanter la cime des arbres. Néanmoins, le jet était suffisamment horizontal à une telle hauteur pour deviner que l’objectif n’était pas tout près.
« Ça pointe vers la mer, confirma Joe, plein ouest !
— Vers le coucher du soleil… » précisa Sonia qui venait enfin de comprendre la logique des prismes.
Henry remit la pierre dans la boîte noire et referma le couvercle.
Sonia observa un instant le haut du volcan qui les dominait. Une légère fumée grisâtre s’échappait du sommet.
Au bas du tumulus, le portail s’était refermé.
« Je crois, mes amis, que cette fois-ci, nous allons prendre le bateau ».
***
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