13-3 Shopping 2.0

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  Elle aurait aimé réapparaitre dans la rue commerçante de Golden Rosey, assise sur sa selle, filant à pleine vitesse dans le prolongement de la ligne droite qu’elle suivait l’instant d’avant. Mais la téléportation ne permettait pas ce genre de fantaisie. Elle était debout, immobile, comme si le vélo qu’elle chevauchait n’avait été qu’un rêve dont elle s’éveillait.

  La rue grouillait de vie. Des avatars se bousculaient tout autour d’elle. Les façades de boutique chic s’alternaient avec les cafés tendances qui déployaient leur terrasse dans la rue piétonnière. Elle remarqua beaucoup d’avatars féminins à l’allure élégante et aux tenues vestimentaires des plus luxueuses. Assis à une table, quelqu’un agita un bras dans sa direction : c’était Mona. Son amie portait un tailleur blanc au col noir et était coiffée d’un grand chapeau noir à longue plume, porté de côté. Assise jambes croisées devant une sorte de long cocktail coloré, elle ne dépareillait pas de son environnement, au contraire de Xena, qui avec son accoutrement de cuir coupé à la hache semblait tout droit sortie de l’âge de pierre.

  Sonia n’avait pas encore salué son amie qu’elle ressentait déjà la pression des achats à venir. « Xena ! » lança-t-elle gaiement. Mona l’invita à lui faire deux bises ce qui lui parut incongru, mais elle accepta l’invitation et les deux avatars s’embrassèrent sur chaque joue. C’était assez amusant à voir. « S’embrasser sur les joues est très mode pour la haute société d’Autremonde, précisa son amie.

— C’est presque une chance que tu m’aies aperçue dans cette foule ! répondit Sonia. J’ai rarement vu autant de monde. C’est toujours comme ça ?

— Oui ! C’est un endroit très prisé ! Je devais absolument te le faire découvrir !

« Et rassure-toi, habillée comme tu es, je ne risquais pas de te rater. »

  Mona expliqua tout en marchant que l’endroit fourmillait de pseudo-résidents. Des résidents qui ne se connectaient que ponctuellement pour des raisons spécifiques et un temps très limité. Les raisons étaient souvent l’essayage de nouveaux vêtements tendances de leurs marques préférées. Golden Rosey n’était pas la typique rue d’Autremonde. Ici, les marques de luxe de la vraie vie avaient construit une oasis de virtualité pour se connecter à leur clientèle. À chaque nouvelle collection, les femmes de la haute société pouvaient se rendre en un clic dans leur boutique préférée pour essayer les nouvelles tendances sur un avatar sculpté à leur image. « Certaines femmes ont à la maison un système de scanner qu’elles utilisent avant chaque connexion afin de sculpter leur avatar au plus proche de leur physique. Comme ça elles voient vraiment si ça leur convient ! »

  S’en suivit pour Xena un marathon d’essayage dans une multitude de boutiques. La plupart des marques proposaient nombre de modèles exclusifs à Autremonde qui servait de marché test avant le lancement en production réelle. Parfois, il s’agissait d’une simple variante de couleur, mais les prototypes pullulaient dans Golden Rosey.

  Les listes de robes s’alignaient, par thème, puis sous-thème avant de se décliner en une infinité de tons. Les modèles réels étaient bien distingués et les prix s’affichaient dans la monnaie de son choix. Pendant près de trois heures, Mona joua parfaitement son rôle de conseillère de mode, proposant, corrigeant, attirant l’attention de Sonia sur mille et un détails. Ce fut également l’occasion d’en apprendre davantage sur la vie sociale d’Autremonde, mais aussi plus simplement sur Mona elle-même. « Je ne t’étonnerai pas en te disant que j’ai été prise du virus Autremonde en poussant la porte d’une boutique de vêtement ! » dit-elle en riant.

  Mona avait étudié le stylisme, mais n’avait pas trouvé de débouché. « Pas assez jolie pour percer » dans un monde assez superficiel selon elle pour juger qu’on doit soi-même être belle pour faire de belles choses. Autremonde avait changé bien des choses de ce point de vue, et elle avait lancé sa propre ligne de vêtement virtuelle Mona qu’elle écoulait dans les magasins chics. Organisatrice d’évènements était son moyen de subsistance dans la vraie vie, et designeuse de mode, femme bourgeoise et stylée était sa vraie nature qu’elle exprimait dans Autremonde, là où les barrières sociales et financières étaient plus permissives.

  Sa relation avec Henry était à la fois amicale et professionnelle. Henry faisait partie de la haute société et avait de nombreux contacts à la fois dans et en dehors d’Autremonde. Pour lui, Autremonde était une échappatoire où il pouvait côtoyer un monde à l’opposé de son cadre social hors sol sans créer de tensions autour de lui. Bien que le simple fait de passer du temps sur Autremonde posait problème en soi.

  Sonia avait du mal à croire que Mona lui étalait sa vie privée avec autant de naturel. Elle s'était imaginée que les habitants d'Autremonde avaient tous des choses à cacher ou à oublier, mais elle s'était peut-être trompée. Les réalistes ne cherchaient pas à dissimuler leur vraie vie, ils voulaient la sublimer dans Autremonde. S'ils ne lui avaient rien divulgué lors que leur aventures, c'était peut-être simplement parce qu'elle n'avait rien demandé !

  Mona, de son vrai nom Monica Bachmann, avait trouvé le juste équilibre ici. Contrairement à ce que Sonia s’imaginait depuis leur rencontre, elle ne passait pas autant de temps que cela avec Henry et les autres. En réalité, la chasse au trésor avait été un moment exceptionnel de proximité dans la durée. En moyenne, ils ne se retrouvaient tous ensemble qu’une fois par mois. À côté du groupe, dont la composition variait d’ailleurs régulièrement, elle avait une vie sociale assez variée, avec des amis dans plusieurs fuseaux horaires, elle était membre actif dans des groupes de mode et avait aussi vécu pas mal de relations avec des hommes - ou du moins qui se revendiquaient comme tel.

« Tu sais, je ne désespère pas de percer un jour dans la mode…

« Non, évite le jaune, ou alors seulement comme couleur d’appoint pour trancher.

« …un jour, mon tour viendra, et je serais célèbre ! »

  Entre les essayages de bikinis, robes de soirée, paréos ou pantalons, d’ensembles d’été, d’automne et d’hiver, les modèles sport, classiques, fashionista ou bohèmes, intercalés entre les confidences de Mona, le temps fila. Elle avait voulu montrer à Xena un éventail représentatif de la mode autremondienne, sans insister sur ses propres créations. Mais bien sûr, une fois que Xena serait prête à s’investir pleinement dans son image de marque, alors Mona se ferait un plaisir de lui ouvrir en grand les portes de son coffre-fort de beauté pour l’emmener dans les hautes sphères du luxe vestimentaire.

  Sonia quitta Mona avec le sentiment de s'être peut-être fait une nouvelle amie. Curieusement, son après-midi d'Autremonde lui semblait très similaire à l'après -midi réel qu'elle venait de passer avec Eloïse. En l'espace de quelques heures, elle avait fait la connaissance de deux femmes qui s'étaient livrées à elle sans filtre comme des amies d'enfance et qui pourtant étaient deux inconnues. Et elle avait elle-même le sentiment d’avoir raconté à Mona davantage qu'elle ne l'avait jamais fait avec ses amies ou sa famille. Elle n’avait pas pour habitude de se confier, mais Mona, en bonne vendeuse, savait créer le lien avec la cliente et faire parler. Non pas qu’elle refusait de se livrer à tous prix, mais personne ne s’était jamais vraiment intéressé à elle ; en tout cas, pas de façon désintéressée. Les questions que certains de ses collègues ou ses parents lui posaient lui laissait toujours un goût de danger dans la bouche. Mona se battaient pour ses propres rêves et semblait vouloir en savoir sur elle pour mieux la guider et partager son expérience. Sonia ressentait une grande admiration pour cette femme. Mona avait eu un parcours intense et chaotique. Ce n’était pas tant son âge qui avait forgé son expérience de la vie, mais ce qu’elle avait fait de ses années. Elle avait quarante et un ans et une tonne de batailles perdues à son actif. Sonia avait trente-six ans et une tonne de batailles esquivées. Mais surtout Mona avait toujours su pourquoi elle se battait. Sonia ne le savait toujours pas.

  Elle quitta sa compagne – peut-être sa nouvelle amie - avec une toute nouvelle garde-robe, et vêtue d’un bikini aux couleurs roses et rouge, sous un paréo translucide très élégant, et coiffée d’un chapeau paille arrondi à larges bords et aux couleurs assorties. Le top pour une escapade tropicale en bateau de plaisance.

Le monde virtuel lui tendait les bras.

Il ne lui restait plus qu'à saisir... sa chance.

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