17-2 Xena noire
Demande de transfert en cours…
Accès autorisé.
Le cabanon se dématérialisa. Sonia réapparut dans une salle aux dimensions exceptionnelles.
« On dirait une cathédrale » s’émerveilla-t-elle.
De vastes piliers de pierre soutenaient de hauts plafonds perchés à une hauteur à donner le tournis. De lourdes torchères posées à même le sol projetaient une lumière blafarde sur les murs lisses, nus de toute ornementation. Xena foulait pour la première fois le sol du Grand Hall du labyrinthe de Kulkukan. Au centre de la salle s’élevait une arche de pierre posée sur un socle massif. Elle était plus petite que les cercles de portails de Palo Alto et sa structure était gravée de quatre symboles dont la signification ne faisait aucun doute. Il s’agissait des quatre éléments : l’eau, l’air, le feu et la terre. Highlander, Contraste, Arjun et Manhattan étaient à ses côtés. Deux vastes ouvertures de forme rectangulaire, percées dans le grand mur du fond, marquaient l’entrée du labyrinthe. Au-delà, tout n’était qu’obscurité. Highlander brisa le silence.
« Allez les gars, c’est parti pour un tour. »
Sonia sentit un frisson la parcourir et se lança sur les pas de son leader. Les membres s’étaient accordés pour se scinder en deux groupes. Highlander, Manhattan et Xena prendraient la porte de gauche ; Contraste et Arjun, la porte de droite.
La composition des groupes n’avait pas fait l’objet de débat. Contraste et Arjun travaillaient toujours en duo. La force brute de Contraste conjuguée aux pouvoirs de régénération d’Arjun fonctionnait toujours à merveille. Elle avait aussi compris que Contraste ne voudrait pas d’elle dans ses pattes. D’ailleurs, sa présence parmi eux faisait l’objet d’un calcul simple. Ils avaient tenté en vain d’effectuer la mission en groupe, mais bien que la difficulté des quatre territoires soit évidente, leur plus grand ennemi s’était avéré le temps imparti pour glaner les clés. Ils en avaient conclu qu’il valait mieux se séparer en deux groupes. C’est là que le nombre de joueurs s’avérait crucial. Les discussions allaient bon train sur les forums animant les coulisses de la mission et les groupes qui jusque-là avaient réussi le défi étaient en très large majorité composés de cinq membres. C’était mathématique. Highlander était convaincu qu’ils avaient toutes les compétences pour passer l’écueil. Il leur fallait juste un bon timing et un brin de chance.
« Le labyrinthe est composé de quatre zones réparties autour d’un gouffre central, lui avait-il expliqué, et qui correspondent aux quatre éléments : l’eau, l’air, le feu et la terre. Chaque partie a ses spécificités et nécessite une approche et une tactique ciblée. »
Au terme de leur première semaine de bataille, les membres du Phénix avaient constaté que non seulement l’ordre d’apparition des éléments était aléatoire, mais leur niveau de difficulté également. À chaque tentative, un ou deux éléments s’avéraient beaucoup plus difficiles que les autres. Et en fonction du type d’éléments et de quel membre du groupe les affrontaient, ils avaient plus ou moins de chance de passer l’écueil. Contraste et son lance-flamme étaient très fort contre l’eau, mais démuni contre le feu. Arjun, en tant que sorcier était puissant contre l’air, mais inefficace contre la terre. D’où l’importance du facteur chance dans la séquence.
Ils devaient glaner les quatre clés en moins de deux heures. Non seulement le tracé du labyrinthe se modifiait à chaque incursion, mais les obstacles n’avaient cessé d’évoluer au fil des jours. Que ce soit les ennemis ou pièges à passer, voire les gardiens de clés eux-mêmes, tout changeait constamment. De nouveaux pièges étaient apparus et d’autres avaient disparu. Néanmoins, certains motifs se reproduisaient de façon régulière. Ils avaient notamment relevé trois niveaux de difficulté de gardiens par élément. En outre, chaque mission comportait en général deux gardiens de niveau un, un autre de niveau deux et enfin un gardien plus coriace de niveau trois. La seule exception étant l’élément feu qui ne comportait que deux gardiens, mais d’un niveau extrêmement élevé. La force des ennemis étaient d’ailleurs très difficile à mesurer car ils n’avaient pas de barre de vie visible. Seule l’expérience des combats indiquait qui était battable et qui devait être évité. De plus, les aventuriers avaient droit à un inventaire très limité dans le labyrinthe qui se limitait à un maximum de quatre armes et deux cordes. Autre point singulier du labyrinthe, les aventuriers n’avait droit qu’à l’angle de vue en première personne, à savoir au travers des yeux de son avatar. Il était impossible de varier son angle de vue et notamment de voir son avatar de dos, ce qui, en soi, n’était pas inhabituel dans les configurations de type labyrinthe. Étant donné la quantité d’information à absorber, Highlander n’était pas rentré dans tous les détails et elle se verrait expliquer en cours de route les ficelles de chaque élément.
Au bout d’une minute, Sonia perçut que l’air ambiant s’opacifiait. « De la brume ! » s’écria Manhattan alors que les trois pénétraient dans un brouillard de cendre. « Bon, on est dans la partie Terre ». Ils ralentirent, alors que, devant eux, des points lumineux rouges venaient de transpercer le voile de brume. Ils s’organisaient par deux et il ne faisait aucun doute qu’une demi-douzaine de regards perçants se dressaient sur leur chemin.
« Les zombies » annonça Highlander.
Peu à peu, des silhouettes sombres se découpèrent dans la pénombre, dessinant les contours sveltes de formes humanoïdes.
« Forts ou faibles ? » marmonna Manhattan.
Bientôt, six guerriers apparurent devant eux. Six êtres aux vêtements rapiécés, à la peau sombre verdâtre déchiquetée par la pourriture, aux regards vides, mais flamboyant d’une lumière irrégulière. Il ne fallut pourtant qu’un instant à Sonia pour reconnaitre les traits familiers de leurs adversaires. Ils faisaient face à leurs doubles dans leur version mort-vivant. Il y avait deux Xena, deux Highlander et deux Manhattan.
« Je ne sais pas, mais ils sont nombreux, répondit Highlander. Xena, poursuivit-il, ils ont les mêmes armes que nous, ce qui nous donne un avantage tant que nous n’utilisons que des armes blanches. Au corps à corps, nous sommes plus forts. »
Sonia tenta de garder son calme. Contrairement aux deux sombres guerrières Xena qui la toisaient, elle ne se sentait pas du tout un renfort pour ses compagnons. À moins, bien sûr, que les deux Xena à moitié décomposées fussent aussi expérimentées qu’elle au combat. Ce dont elle doutait.
- Merde, fit Manhattan comme s’il avait lu dans ses pensées, on aurait dû y penser. Ils s’adaptent à notre nombre. C’est bon Xena, tu peux partir. Finalement, on a plus besoin de toi, lâcha-t-il en riant.
- Fais attention, rétorqua-t-elle du tac au tac. C’est pas tombé dans l’oreille d’une sourde… »
Au moment où Highlander sortit son glaive, ses deux homologues firent de même. Manhattan fit glisser à son tour son fleuret hors de son fourreau. Comme prévu, ses deux sosies l’imitèrent. Sonia savait que Xena n’avait pas le choix, elle avait une unique arme. Son épée brilla quand elle apparut dans sa main. Presqu’instantanément, ses deux reflets noirs s’armèrent de longues épées.
« Et si on ne sort pas d’armes, s’enquit-elle, qu’est-ce qui se passe ? »
La réponse de Manhattan fusa. « Demande à Arjun, il a eu la même idée.
- S’ils te mordent, compléta Highlander, tu es mort.
- Y z’ont pas l’air, mais ils sont affamés.
- On reste serrés en ligne et on les empêche de nous déborder. »
Sonia comprit vite qu’elle n’avait pas sa place parmi eux. Ils étaient aguerris au combat en équipe. Elle ne put s’empêcher de grimacer dans son casque en repensant à la façon dont son dernier entraînement au combat s’était déroulé. Au fond, ce qui se passerait ici ne pourrait pas être plus humiliant. En plus, elle ne pouvait pas reculer. Elle ne voulait pas perdre la face à la première difficulté. Highlander se posta entre elle et Manhattan. Ils lui avaient demandé son aide, elle se devait d’essayer. Les zombies attaquèrent. En désordre. Les deux zombies Highlanders se jetèrent sur eux. Les coups d’épée volèrent dans tous les sens, l’écran de Sonia se colora de rouge lorsqu’elle prit un coup perdu. À chaque impact reçu, les zombies reculaient en grimaçant pour revenir aussitôt à la charge. Entre deux coups, un Manhattan sombre s’infiltra dans une brèche et attaqua à son tour suivi d’une Xena. Un Highlander noir s’écroula, vite remplacé par le second pseudo-Manhattan. Dans la mêlée, le second zombie Highlander fut rejeté en arrière du groupe d’assaillant et remplacé par une Xena.
« Merde, cria Highlander, il était presque mort ! Il ne faut pas les laisser se régénérer ».
D’un mouvement vif, Highlander bloqua le coup d’une Xena décrépie, et lui donna un violent coup de pied qui la fit voltiger au loin. Il brisa sa position pour s’élancer vers son propre sosie resté en retrait. « On attaque, cria Manhattan en se calant dans le dos d’Highlander et faisant de grands mouvements de moulinette devant ses deux sosies. Sonia se battait de façon désarticulée donnant des coups à tout venants, et prenant en retour tout son dû de coups tranchants. Elle n’était pas meilleure que sa jumelle à la peau mal entretenue. Elle entendit Highlander crier : « Et maintenant on en finit avec eux ! »
Il y eut un mouvement, une masse vola. Xena et sa sœur maléfique tombèrent par terre. Un des Manhattan avait été projeté sur elles par Highlander. Xena se releva et curieusement se retrouva dans le dos du Manhattan zombie, alors qu’il tentait de faire face à nouveau à Highlander. Elle le frappa violemment et le vit s’écrouler devant elle avec une certaine délectation. « Et de un ! » L’autre Manhattan gisait déjà mort sur le sol. Quant à la Xena noire, sa tête roula par terre lorsqu’Highlander, d’un mouvement spectaculaire, la décapita.
« Joli coup, dit-elle.
- Frimeur » commenta Manhattan.
La brume les entourait toujours. « Grouillons-nous fit Manhattan. On récupère la clé et on fonce.
- Attends une seconde, fit Highlander. Où est l’autre… »
Il n’avait pas fini sa phrase que l’écran de Sonia se teinta de rouge. Elle venait de prendre un coup, elle se retourna d’un bond et vit avec effroi le visage de la seconde Xena. Les yeux rouges flamboyaient de haine.
« Salope ! » jura-t-elle.
Mais il était trop tard. Elle ne pouvait plus bouger. Elle aperçut du sang couler de la bouche du zombie. C’était son sang. La Xena macabre ne l’avait pas frappé avec une épée, mais elle l’avait mordue. L’écran se troubla et l’avatar de Sonia s’écroula sur le sol.
Tout devint noir.
Elle était morte.
***
Sonia déposa son casque sur la table. Elle fixait le mur. Elle était encore sous le coup de la surprise. C’était déjà fini. À peine commencé, c’était déjà fini. Elle repensa au regard de son adversaire, juste avant de mourir. Elle aurait jurée qu’il avait changé. Ce n’était pas ce regard vide qu’elle avait vu avant et pendant le combat. Ce qu’elle avait vu avant de mourir, c’était une flamme brûlante de haine. Quelque chose de vraiment effrayant. Comme si… comme si elle avait entrevu quelque chose qu’elle n’aurait pas dû voir.
Après cette pensée dérangeante, elle reporta son attention l'écran d'ordinateur. Xena était réapparue sur la plage face au galion échoué, c’est-à-dire à l’endroit public le plus proche du point d’origine de la téléportation dans le labyrinthe. Elle était morte et elle avait été éjectée du jeu. À présent, elle était à nouveau vivante. C’était conforme à ce qu’Highlander lui avait dit. Elle resta une minute à contempler les murs du salon. C’était sa première expérience dans le labyrinthe et elle avait succombé au premier obstacle. Il lui était arrivé exactement ce qu’elle avait craint. Elle avait été nulle. Ridicule et inutile. Elle jeta un coup d’œil à sa montre : 18h20. Après ce fiasco, elle doutait que les membres du Phénix lui proposent de recommencer l’expérience.
Elle alla se servir un verre de vin.
***
Son téléphone sonna à huit heure cinq. C’était une notification de message reçu. Sur le coup, elle se dit que ce devait être sa mère. Elle mit la télé en pause et prit son smartphone. Ce n’était pas sa mère. Elle venait de recevoir un message de Sven : « On t’attend pour le débrief.»
Un peu confuse, elle remit son casque. La mission venait de se terminer et ils devaient tous se regrouper pour en discuter. Elle l’avait oublié. En fait, elle avait tellement honte de sa participation qu’elle était partie du principe qu’ils ne comptaient plus sur elle et donc son esprit était passé à autre chose pour ne pas se morfondre...
Elle refit le chemin à pied à travers la cale du navire englouti pour les rejoindre dans la salle de poker. Ils étaient en pleine conversation quand elle émergea des eaux et tous s’arrêtèrent pour la regarder. « Désolée d’être en retard... dit-elle. Je... » Elle n’ajouta rien. Autant ne pas s’enfoncer davantage.
« Merci de nous rejoindre Xena, fit Highlander. On venait à peine de commencer. Manhattan était parti aux toilettes. »
Xena prit place à la table. « On disait justement, fit Manhattan, que ton baptême du feu, Xena, avait été court, mais intense !
— C’est ma faute, commenta Highlander. Je n’aurais jamais dû me lancer sur mon double. Je me suis emballé. Je vous ai mis en difficulté ».
La lumière vacillante de la bougie éclairait son visage impassible d’avatar.
« Pour le même prix, continua-t-il, c’était Manhattan qui se faisait mordre. En plus, c’était ta première fois, tu dois encore trouver tes marques ».
Les mots se voulaient réconfortants. C’était peut-être même un peu trop évident. Sonia se dit qu’il s’adressait autant à elle qu’à Contraste, de loin le plus sceptique sur sa présence parmi eux. Mais avec ou sans Xena, ils avaient échoué. La mort de Xena n’avait été qu’une péripétie parmi d’autres. Highlander et Manhattan n’avaient pas caché leur satisfaction d’affronter l’élément terre car c’est celui qu’à deux ils maitrisaient le mieux. Indépendamment de la petite erreur tactique avec les zombies. Mais, comme devait le préciser Highlander un peu plus tard, eux aussi devaient trouver leurs marques avec Xena parmi eux, en particulier en phase de combat. Plus étonnant, ils avaient vite déchanté en constatant qu’ils avaient à faire au niveau de difficulté maximum, les pièges étaient plus nombreux et plus difficiles. Ils étaient arrivés néanmoins jusqu’au boss détenteur de la clé de terre : le Cyclope.
« Je ne l’ai pas rencontré celui-là, dit Contraste.
- Toi non, nous c’est la seconde fois.
- En fait, il te ressemble un peu, ajouta Manhattan, mais en moins laid.
- Redis un peu ça, morveux.
- On a abandonné le combat au bout d’une demi-heure. On n’a toujours pas trouvé son point faible.
« On était déjà fort en retard avant de se retrouver empêtrés dans la toile de la zone d’air. Normalement, je rebrousserais chemin car il nous faut ta flamme pour griller les papillons dans l’obscurité, mais il était tard.
« On n’a pas été chanceux avec la séquence, conclut Arjun. Nous, on s’en est bien sorti avec l’eau. On a perdu un peu de temps avec les chemins de glaces. On a affronté le géant de glace pour obtenir la clé.
- Tu veux dire, j’ai dû affronter ? précisa Contraste.
- Oui, pardon. Contraste a dû affronter le géant de glace pendant que je regardais le spectacle. Malheureusement, le combat à un contre un est trop lent. Contraste a beau être puissant, ce n’est pas la même chose seul qu’à trois contre un. J’ai dû utiliser beaucoup de ma magie pour le régénérer durant son affrontement. Et comme vous le savez, juste derrière, c’était la zone de feu dans laquelle Contraste est pour le moins… peu à l’aise.
- Inutile… Tu peux le dire, asséna Manhattan.
- Le seul inutile au combat, c’est toi morveux. Tout ce que tu sais faire c’est éviter les coups. Mais ça, ça n’a jamais tué personne.
- On était loin d’y arriver ce soir.
- Je dois dire, fit Arjun, que malgré notre faiblesse face au feu, la clé d’eau nous a beaucoup aidé à avancer. Nous avons réussi à atteindre le succube rapidement. La clé est très puissante contre le feu.
- Les clés sont la solution, ça on le savait. Plus tu as de clés, plus tu es puissant pour affronter les ennemis. Affronter d’emblée le cyclope sans clé, c’est inutile. Mais vu qu’il est insensible à la magie, même sans clé, j’espérais trouver un indice…
- Mais il ne sera pas toujours là... » conclut Contraste.
Le groupe se sépara en se donnant rendez-vous sur le pont du navire à six heures moins quart le lendemain. Xena était encore conviée. On lui offrait donc une seconde chance.
Pas sûr qu’il y en ait une troisième.
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