La trame.2
II. Al dente.
Il entra dans le wagon quasiment vide et s’assit sur un strapontin.
De Porte de Versailles à rue du Bac, il en aurait pour quinze minutes environ.
Il pensa que les métros n’étaient pas beaucoup plus efficaces qu’au début du siècle car si on avait bien doublé leur vitesse entre les stations, on avait aussi doublé le nombre de stations sur la ligne, en creusant des nouvelles sorties entre les sorties existantes.
Après vingt stations, Martin se leva, attendit l’ouverture des portes et se lança dans un sprint, traversant tout le quai en 9 secondes et 6 dixièmes ; ce qui est une assez bonne moyenne, pour un garçon de son âge.
Il sortit du métro au numéro 1 boulevard Raspail, traversa le carrefour avec le boulevard Saint Germain et s’engouffra dans la rue Paul-Louis Courier, un écrivain mort assassiné le 10 avril 1825, près de Véretz.
Il franchit, en courant, les trente derniers mètres qui lui restaient avant d’atteindre le restaurant italien, où l’attendait, depuis sans doute un bon quart d’heure, son amie, Virginie.
Il ouvrit la porte du restaurant énergiquement et aperçut Virginie, assise seule à une petite table isolée drapée d’une nappe blanche et sur laquelle, des couverts avaient été posés.
Le garçon désigna la table à Martin et l’accompagna jusqu’à son amie.
Virginie avait déjà commandé un Marsala.
— Vous prendrez un apéritif ? Demanda le garçon à Martin, tandis qu’il s’asseyait.
— Oui, la même chose. Répondit Martin, en montrant le verre que tenait la jeune fille.
Martin, essoufflé, contempla sa fiancée, qui avait arqué ses fins sourcils.
Comme elle était belle, avec ses longs cheveux blonds roux qui encadraient harmonieusement son visage florentin.
Quelle chance il avait d’être avec elle, depuis presqu’un an maintenant.
Ils s’étaient rencontrés chez des amis communs, lors d’une fête de fin d’année et ils avaient immédiatement eu un coup de foudre, l’un pour l’autre.
Elle aimait bien son côté vif et enfantin et lui aimait tout en elle.
— Excuse-moi, l’exposé a duré plus longtemps que prévu. Beaucoup de participants ont posé des questions.
— Et toi, tu n’as pas été le dernier, je suppose.
Martin réfléchit et se souvint qu’effectivement, il avait bien été le dernier à poser une question.
— Non, euh, … Tu as déjà commandé un plat ?
— Non, je t’attendais.
Martin prit la carte posée sur la table et s’y plongea.
Il parcourut la carte avec intensité, déplaçant ostensiblement son regard d’une page à l’autre, ce qui fit rire Virginie.
Après quelques instants de profonde réflexion, il annonça :
— Je crois que je vais prendre une escalope milanaise, avec des spaghettis à la tomate, al dente !
— Al dente !? Je ne savais pas que les Portugais parlaient couramment italien. Dit-elle en se moquant.
— Si Signora, parlo italiano, al dente !
Et il prit sa main et la mordit.
— Aïe, quelle brute !
— Si, si, yé souis oune broute.
C’est alors que le garçon arriva avec le verre de Marsala et quelques biscuits apéritifs.
— Vous avez choisi ?
— Oui, je vais prendre un risotto. Répondit Virginie.
— Et moi, je vais prendre al dente !
Virginie pouffa.
— Comment ? Répondit le garçon, sans comprendre.
— Je vais prendre une escalope milanaise, s’il vous plait, avec des spaghettis, … al dente.
— Je vous apporte tout ça. Répondit-il, avec la manière qu’ont les italiens de répondre ça.
Et il repartit en cuisine.
— Mais, je sais aussi être plus doux qu’un agneau, ma chérie.
Martin embrassa langoureusement la main de sa fiancée, en laissant glisser ses lèvres, jusqu’au pli de son coude.
Virginie retira vivement sa main et Martin resta suspendu en l’air, comme vitrifié.
— Allons, allons, monsieur. Un peu de tenue, on nous regarde …
Martin se retourna vers la salle ; il n’y avait personne …
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