Sauvée ?
Perdue, elle erre dans les corridors qui lui semblent sans fin. Elle n’ose pas ouvrir les portes, de peur de se trouver face à un inquiétant invité ou pire, le Prince.
Elle déambule ainsi avec la sensation de marcher depuis des heures, sans découvrir le chemin de la sortie. Pire, elle pense être montée dans les étages du château, alors même qu’elle n’a pas pris d’escaliers. Elle a la désagréable impression que l’étrange demeure joue avec elle.Alors qu’elle ne sait plus du tout où elle se trouve, elle remarque une porte entrebâillée, laissant filtrer une lumière jaune qui éclaire une partie du couloir. Longeant le mur, Natalia avance à pas prudents et penche sa tête dans l’ouverture de la porte. Et là, elle croise le regard plein d’effroi d’Alban. Ce dernier est allongé dans un grand plat en inox entouré de tomates. Ses lèvres sont scellées, mais ses yeux parlent pour lui. Natalia étouffe un gémissement. Le garçon est criblé de coups de couteau, elle devine qu’il est trop tard pour lui. Les larmes coulant sur son visage, elle dépasse la porte, et n’y tenant plus se met à courir avec les ultimes forces physiques et mentales qui lui restent. Il lui semble faire le tour du château, le sol descendant la plupart du temps. Elle espère s’approcher de la sortie.
Et voilà, elle y est… le long couloir du début, elle reconnait les murs verdâtres suintant d' un obscur liquide, de même que le plafond avec ses projections d’images d’orages. Et puis tout au bout, devant la porte d’entrée, pour elle la porte de sortie, Ruben, appuyé contre le chambranle.
Comment a-t-il fait pour arriver si vite ? se demande Natalia.
— On peut dire que tu es une battante. Tu tiens à la vie. Je suis impressionné.
Sa victime, épuisée par ce jeu du chat et de la souris, halète presque, sa poitrine se soulevant rapidement au rythme de sa respiration. Comme elle ne lui répond pas, Ruben continue :
— Ton camarade ne s’est pas autant battu. Il a pleuré comme une fillette. Ce sera un plat très tendre.
— Vous êtes écœurant, objecte Natalia.
— Pas tant que ça. Ta combativité a fait naître quelque chose en moi… une sorte d’admiration, je crois. Je n’ai jamais vraiment su définir mes sentiments… j’en ai si rarement. Bref, j’ai choisi de ne pas faire de toi un des mets de la soirée.
Le Prince tend les bras comme s’il offrait le monde à Natalia.
— Je te laisse la vie sauve. Je vais ouvrir la porte derrière moi et tu n’auras qu’à monter dans ta barque, affronter les flots et rentrer chez toi.
Méfiante, la jeune femme lève bravement son menton en avant et demande :
— Où est le piège ?
— Il n’y a aucune ruse de ma part. Tu es sauve. En revanche mes amis et moi à la fin du repas, nous irons détruire le village de Ploemer, comme je te l’ai dit. Je te conseille donc de vite faire tes valises et de trouver une nouvelle maison.
Natalia est à la fois profondément soulagée et dégoûtée. Ruben s’écarte de la porte qu’il lui ouvre. La jeune femme le dépasse rapidement, le cœur battant. Elle est dehors… enfin.
Le vent lui fouette le visage, une odeur d’embrun se mêle à ses longs cheveux. Elle est vivante ! Natalia laisse échapper un petit cri de soulagement qui se transforme en gros sanglot. Sans un regard en arrière, elle marche sur la plage caillouteuse et arrive à l’embarcation. La nuit est moins noire, presque bleutée. L’aube n’est pas loin. Tremblante, la jeune femme détache sa barque du ponton et rame énergiquement, voulant s’éloigner au plus vite du lieu maudit. Les vagues lèchent la chaloupe qu’elle mène jusqu’au port de Ploemer. Là, elle reste assise quelques instants, le regard fixé sur le château au loin. Il lui semble si tranquille désormais. N’a-t-elle pas rêvé ? Elle sait que non. Une légère brume venant de la mer commence à entourer la demeure la cachant à sa vue.
Et se levant, Natalia se sentant plus vivante que jamais, court dans les rues du village avertir les habitants de Ploemer du danger qui les guette.
(à suivre le dernier chapitre)
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