L’habit du moine qu’il ne fait pas
Retourne-toi ! Quoi ? Tu n’aimes pas mon ton despotique ? Quoi, je hurle ? Oui, je hurle ! Et bien retourne-toi ! Mais retourne-toi merde ! Retourne-toi ! Je lis !
Un corps, tout part d’un corps. Il est chanceux, il n’est que possibilités. Il sait bouger, prendre la pose, s’agiter, se figer. Il sait marcher et peut ainsi avancer. Il voit. Son oeil est vif. Il voit à gauche, à droite. Il voit le noir, le blanc. Il voit les couleurs, même si certaines se cachent encore. Quand il ne voit pas, il distingue. Quelle fabuleuse subtilité que de distinguer ! Il s’invite alors à imaginer, sans doute la plus heureuse de ses possibilités. Il imagine. Dès qu’il le souhaite, il imagine. Quand le froid devient lourd et écrasant, il imagine. Quand la vie est amère et lente, il imagine. Quand le monstre attaque et rugit, il imagine. Comment fait-il ? Il crée. Il peut créer ce que bon lui semble. Il s’échappe et il crée. Il crée des tableaux, des paysages. Il bâtit des idées grandioses, il érige des palais. Il crée et voyage entre ses créations. C’est alors que l’on dit qu’il pense. Il pense car, même si l’expression consacrée ne nous reconnaît que le droit de nous y perdre, sautillant de pensées en pensées, enfin il est.
Quel rapport avec la lecture ? Ne sois pas condescendant veux-tu ! J’y viens.
Les choses vont alors aller très vite. Il est et, en bon humain il va en récolter le sentiment et ses pluriels. Le sentiment est viral, incontrôlable. Il ne vit que dans un but, se répandre et séduire. C’est exactement à cet instant que le corps impuissant, plein à en crever, s’est mis à crier ouvrant les vannes sonores. Pas assez de nuances, pas assez de rythmes, pas assez de tonalités… le corps cherche frénétiquement et enfin trouve l’outil parfait, les mots. C’est chouette les mots. Il y en a des petits, des grands. Il y en a des courts, des longs. Certains se ressemblent, d’autres s’assemblent. Ils alitèrent parfois. Ils s’inversent soudain. Petit ou grand roque, ils défendent leurs positions ! Enfin, le corps peut tout dire. Il lui suffit de composer, de ponctuer, d’infléchir.
Toujours pas ? Ton impatience devient pesante !
C’est ici que tout bascule. Le corps, loin de tenir sa promesse se pervertit. Il connaît le sens de chaque mot, il est libre et animé. Ses lèvres s’ouvrent et articulent foules de phrases mais rien… rien qui ne ressemble aux couleurs, rien qui ne reflète ce qu’il imagine… rien de ce qu’il est. Le corps, pudique a choisi de détourner les mots, les réduisant à l’état de simples accessoires. Ses phrases parlent de quotidien, parlent d’amour, parlent des autres. Le corps a sacrifié le sème à l’emphase, la métaphore ou autre ellipse, comme si le style était l’habit du moine qu’il ne fait pas.
Singulier gâchis que voilà !
Fort heureusement, tout bon désert possède son oasis. Quelques-uns, parmi les plus vigoureux ont choisi de résister. Armés d’une feuille blanche et se sont mis à écrire. Sous cette forme, cachés, inaudibles, les mots ont lentement repris des forces. Ne pas les prononcer les a comme protégés. De pages en pages, de siècles en siècles, les résistants se sont appliqués à amasser tout ce qui est.
Pourquoi je lis ?
Je lis pour me rappeler que… lorsque le froid devient lourd et écrasant, il décore mes vitres de fins cristaux étoilés. Fort de cette unique condition, le soleil se reflète alors en multicolore sur les murs de ma chambre, inondant mes yeux d’une lumière irréelle.
Je lis pour me rappeler que… lorsque la vie est amère et lente, il me suffit de tendre l’oreille pour percevoir le claquement de la lame qu’elle forge à mon attention. Je comprends que l’acier ainsi martelé m’assurera une épée robuste et légère.
Pourquoi je lis ? Mais parce que tu écris mon ami. Nulle part ailleurs n’est visible le détail de tes personnages, nulle part ailleurs tu ne dépeins le paysage des vertes collines de ton village, nulle part encore tu ne me partages tes voyages. J’aime ces confidences.
Maintenant, retourne-toi s’il te plaît, je lis. Je suis comme nue, tes yeux me gênent.
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