Dies Lyncis 24 Sextème Léviathale
Elle
Dragonale 66:6-6
Dragon dit à Léviathan :
« Voici venu le temps de l'eau ; le temps de panser ; le temps de guérir ; le temps de l'été. Coule, coule le sang du monde ; de ta lumière soigne les êtres ; dans l'eau du midi ; ramène jusqu'à l'ultime murmure de la vie »
Je me trouvais à mon endroit préféré du Saint-Siège, le regard tourné vers un magnifique ciel nocturne dégagé, constellé d'une myriade d'étoiles à l'éclat intense, illuminé par une lune ronde et pleine se reflétant sur la surface d'un étang sans remous. Aux abords de l'eau, je laissais la douce quiétude du lieu apaiser ma tristesse et sécher les larmes qui s'écrasaient une à une sur le sol.
Des larmes ? Je tentais de me souvenir du pourquoi je me trouvais là ainsi que de la raison de mes pleurs quand des flashs de foule et des bousculades me revinrent, suivis de la sensation de sa poitrine contre mes épaules. Ça me revenait. La pleine lune, sa fuite. J'y étais venu pour prier Loup et pleurer sans que personne ne me demande d'explications. Je rêvais d'un souvenir dont j'avais ressassé et analysé chaque étape, trop souvent ces derniers jours. Bien que je tentât de bouger mon corps ; de me retourner, plus vite ; plus tôt, mes yeux restaient figés sur le ciel, me laissant tributaire des actions de mon souvenir.
Combien de temps étais-je restée là cette nuit ? Une heure, plus ?
J'attendais patiemment jusqu'à entendre, enfin, le bruit qui avait attiré mon attention vers les bois, engloutis en partie par les ombres. Ma tentative futile de voir quelque chose qui m'aurait échappé ce soir là fut un échec retentissant. Malgré la luminosité ambiante, l'obscurité demeurait trop dense, j'avais dû plisser les yeux pour apercevoir un point luisant dans l'obscurité. J'eus juste le temps d'apercevoir un morceau de gueule, parcouru d'une fourrure si noire qu'elle aurait pu être coupée dans le manteau des ténèbres, quand deux braises me captivèrent, éveillant une sensation de chaleur familière. Cela ne dura qu'un instant. Le temps de cligner des yeux, la vision avait disparu. Dans mon souvenir, je me précipitai vers le bois, pour n'y trouver aucune trace visible, mais j'étais dans un rêve. Je me sentais courir, pourtant mes jambes restaient figées sur place, le bois s'éloignant sans que je puisse rien y faire.
Le songe se transforma, la lune grandissait, lumineuse et gigantesque, bientôt elle se refléta sur toute la surface de l'étang dont s'élevait une brume opaque, épaisse, voilant le reste de mon souvenir, jusqu'au moindre rayon de l'astre. La même, sans cesse la même. J'essayai de prier Loup, de comprendre ce rêve, de comprendre cette apparition. Les mots s'étranglaient dans ma gorge. Le regard de brume qui ne me quittait jamais apparut, le seul à pouvoir percer l'opacité m'entourant. J'avais la certitude qu'il était l'être du bois. Tellement de questions me tourmentaient, il me manquait tant de réponses et d'explications qu'il m'était impossible de relier les morceaux de cette toile entre eux, surtout dans cette brume qui faisait naître un sentiment de perte. L'écho d'un grondement me parvint, venant de partout et nulle part à la fois.
« Suis le chemin, je serais toujours là ».
« Toujours » Je m'accrochais à ces mots en cherchant la corde de mon lien avec Loup. Je m'en étais servi deux ou trois fois, dans mes rêves, pour m'extirper de la brume, mais ce n'était pas un rêve. C'était un cauchemar.
« Tu dois te souvenir, Essentia mea, ne te brise pas », m'avertit l'être spectral.
Une voix inintelligible s'entendait de derrière la brume, cette même inflexion indiscernable à laquelle mon corps réagissait en cherchant à me faire comprendre quelque chose. Aucun nouveau bout de phrase ni le moindre mot ne se discernaient des autres quand une fissure apparut sous mes pieds, me précipitant dans les ténèbres d'un brouillard de tourments douloureux. Je me réveillai en sursaut, le cœur battant à tout rompre, les yeux troublés par la luminosité ambiante de la pièce. Mon sommeil avait dû être agité, car je retrouvais mon drap traînant en partie sur le sol, au même titre que mon oreiller. Je m'étirai pour évacuer le sommeil résiduel en jetant un œil à l'horloge du dortoir. Sept heures et demi.
Tant pis pour la grasse matinée.
M'extirpant du lit, je grommelai en tirant les rideaux sombres qui séparaient mon coin de dortoir du reste de la pièce pour découvrir des lits défaits. Je me souvins que les vacances avaient commencé depuis presque trois jours, désertant la tour de Loup de la majorité de ses représentations. J'aurais pu hurler dans mon sommeil, personne ne m'aurait entendu. Enfin, au moins, je pouvais me changer sans devoir me cacher. Me vêtant d'épaisse chausse en coton ainsi que d'une chemise de lin lacée bleu marine, je réfléchissais au récent changement de mes cauchemars. J'en faisais depuis toujours. Si ceux-ci restaient assez rares, leurs déroulements n'en étaient pas moins déroutants. J'avais compris l'implication du loup de brume dans ma vie comme une émanation de mon lien spirituel avec Loup, l'explication de ces divers agissements et apparition s’avérant encore assez floue. J'acceptais toutefois cette idée comme la seule possible.
Quittant la tour de Loup, je partais vers les terrains d'entraînement extérieur, perdu dans mes pensées. La brume et le brouillard, songeais-je, ce sont deux émanations différentes de mon esprit. La première m’apparaissait comme ayant un but bien précis, le même sentiment d’absence et de perte venait avec elle, suivi de cette indiscernable voix. Échauffant mes muscles, je m'étirais, un rictus d'hésitation sur le visage. Songer au brouillard m'effrayait, car, si la brume ne se montrait ni bonne ni mauvaise, lui se nourrissait de mes tourments pour exister, se servant de la moindre de mes préoccupations pour me torturer.
Cela me rendait amère. Il utilisait tout ce que je taisais, les mensonges, les interdits. Ce que je ne pouvais dire était utilisé contre moi, le moindre souvenir que l'on m'obligeait à cacher, les douleurs que j'étais tenue de repousser, le manque et la tristesse d'un passé prohibé, éloignés des regards de tous. Je regrettais de n'avoir personne à qui m'ouvrir. Ce maudit brouillard aurait moins de prise sur moi si seulement je pouvais en parler avec un de mes amis.
« Non - maugréais-je, – je ne peux que me parler à moi même. Les plantes et les animaux ne comptent pas. » Mon cauchemar de la nuit me rendait hargneuse. Ça ou le lever trop matinal. Je détestais me lever tôt depuis toujours. Ma mère me disait que je ne devenais abordable qu'une fois le premier café pris. Le sourire fugace se transforma en une grimace sinistre. Cette même mère que je dégouttai, mais qui me manquait malgré tout. Cette femme qui ne méritait aucune mention au sein de Dragon. J'effectuais plusieurs séries de coups de poing direct, de crochets circulaires et de coups de pieds latéraux sans remarquer l'arrivée des premiers groupes de prêtres. Il était encore tôt, personne ne devait s'attendre à me trouver dehors, ce n'était toutefois pas la première fois que j'occupais cette partie du terrain et l'on me laissa tranquille. Le sac de sable maintenait mon attention, la rigueur de mes exercices n'accordait aucun répit, ni aux muscles fatigués, ni aux regards intrigués. Si je ratais un coup, je recommençais la série. C'était un mantra que je maintenais fermement, qu'il vienne de Manticore ou d'ailleurs.
Frappant par dépit, je laissais couler les rancœurs que j'entretenais seule, dans le sang qui perlaient des jointures de mes doigts. La solitude me pesait, encore plus avec les vacances. Mes amies étaient loin, ma famille n'existait plus et lui… Le dernier coup ne partit pas. Peu importait à quel point je m'en étais voulu après l'office où j'avais cru être allé trop loin, je me refusais à laisser sortir mes sentiments pour lui de cette façon.
« C'est interdit », me rappela la petite voix d'Aurore, comme un petit esprit saint perché sur mon épaule.
« Mes sentiments m'appartiennent », grognais-je sur mon exutoire de sable, frappant la dernière série pour la colère ressentie vis-à-vis des lois du Saint-siège. Il n'agissait pas différemment depuis, ses regards conservaient leur intensité ; sa main étreignait la mienne avec une égale pression, rien ne changeait, sauf la profondeur de ce que je ressentais pour lui. Si j'étais encore capable de penser à mon Primordial, c'est que le feu dans mes muscles ne me brûlait pas suffisamment. Le temps avançant, des groupes de prêtres et de prêtresses s'étaient installés, occupant les terrains alentours. Certains me regardaient du coin de l’œil pendant que je rangeais mon matériel, bien plus ce tournèrent une fois que je me mis à courir. Le son métallique des lames s'entrechoquant me remémorait mes propres cours de duel, j'enviais les prêtres qui s'entraînaient à se battre pendant mon premier tour de terrain, ensuite j'écoutais plus que le sang pulser à mes oreilles et ma propre respiration.
Je n'affectionnais pas particulièrement la course à pied, j'étais lente et lourde, mon poids comme mes muscles n'étaient pas un atout à la vitesse, surtout après un entraînement. Toutefois, c'était le seul exercice qui me vidait complètement la tête. Ce ne fut qu'une fois exténué que je m'arrêtai sans avoir la moindre idée du temps ou du nombre de tour que j'avais bien pu effectuer, bien que le soleil, aux environs de onze heures, constituait un bon indicateur de la durée générale. Suintante de sueur et puante, je voyais la douche vers laquelle je me dirigeais comme une récompense adéquate à mon dur labeur, surtout avec la température grimpante de la fin de matinée. La chaleur plaidait en faveur de mon réveil matinal. Je saluais au passage deux trois représentations d’étudiants dans les communs de la tour, restés parce que leurs familles habitaient trop loin, pour du travail de rattrapage ou des cours particuliers.
J'aurais bien aimé être plus mauvaise en Alchimie, peut-être que je serais en plein cours, en tête à tête avec mon Primordial, en ce moment même. M'apprécierait-il moins si je n'étais pas doué dans sa matière ? La douce chaleur s'avivant au creux de mes reins me persuadait que ce ne serait pas le cas, me faisant sourire malicieusement. Ce n'était pas la première fois que je pensais à lui de cette façon, au contraire, cela devenait même plus récurrent au fil des semaines. L'avoir eu pressé contre mon dos, même un court instant, n'avait fait qu'attiser et donner du corps à mes fantasmes. Un autre sujet que je ne mentionnerai à personne. Ma douche, considérablement rallongée par un délicieux imprévu, enfin terminée, je me déterminai à étudier un peu avant d'aller manger. Détermination qui s'éparpilla comme de la poudreuse au vent à la vue du livre de magie sur les lettres soufflées qu'Angie m'avait laissé juste après la messe d'ascension du Léviathan. Messe envers laquelle j'avais eu des appréhensions jusqu'à son déroulement. J'avais craint une manifestation du feu sombre, mais elle fut aussi banale que n'importe laquelle de nos messes journalières. Aucune fumée, ni lumière, pas d'apparition spirituelle, rien qui ne la lie à l'ascension Phénière, trois mois plus tôt, sinon la présence de tous les cardinaux ainsi que du Pape, respectueux du quatrième des quatre grands.
« Le solstice d'été est toujours comme ça – m'avait dit Angie après que je l'eus interrogé, intriguée par cette différence – c'est la seule ascension où il ne se passe jamais rien. » J'aurais souhaité m'y intéresser un peu plus, seulement, au même titre que pour Manticore, il était mal vu de se questionner sur les autres spiritualités. Nous devions accepter que ce soit ainsi. Telle est la voie de Dragon.
« N'oublie pas de m'écrire, si tu réussis à maîtriser cette magie avant mon retour », m'avait-elle enjoint espiègle. J'avais essayé le soir même, une pour Aurore et une pour Angie, en tentant des pliages compliqués, comme ceux que mon amie réussissait avec une facilité déconcertante. Mon majestueux cygne ressemblait plutôt à un vieux canard éclopé, surtout quand il a battu des ailes, plutôt difficilement, en s'évanouissant dans les airs. Les instructions du livre expliquaient clairement qu'il fallait la volonté de faire parvenir le message à son expéditeur. Je voulais réussir à échanger avec mes amies, était-ce suffisant ? Trois jours et pas une réponse me dirent que non. Je préférai partir manger plutôt que de ruminer mon échec. Un coup d'œil vers la pile, trop mince, de travail qu'il me restait me fit abandonner l'idée de m'y mettre aujourd'hui. Seul restait dans le tas quelques rouleaux de parchemins à rendre pour la Primordiale de Lynx, ainsi qu'une étude de la transmutation vivante à apprendre. Autant dire, pas assez de devoir pour combler la semaine qu'il me restait à passer en solitaire. Je fourrageai le livre sur les « petits philtres avancés en Alchimie » dans mon sac avec une plume encreuse et quelques parchemins vierges avant de partir pour la salle des représentations, en grande partie vide.
Ma lecture, empruntée à la bibliothèque, fut encore plus intéressante que ce que j'avais espéré. J'y trouvais plusieurs recettes de potions, faisables avec des ingrédients facilement trouvables, pour peu qu'on sache où les chercher. D'un philtre de soin trop basique à un autre, utilisé comme somnifère et anesthésiant. Ce dernier m'intéressait tout particulièrement. Non pas que je me sois trouvé une vocation d'apothicaire, cependant, si je réussissais à le fabriquer par mes propres moyens, il pourrait me servir d'échange acceptable auprès d'un commerce local, main-d'œuvre contre main-d'œuvre. Mon espoir le plus fou serait de pouvoir en tirer des gemmes. Le manque de moyens financiers me gardait sur la corde raide, je souhaitais pouvoir m'offrir des livres et des vêtements qui ne soient pas de secondes mains.
Réussir cet élixir et en obtenir un peu de métaux précieux, ce serait me prouver que je fais bien de choisir l'alchimie comme voie dans ma vie. Mon sandwich avait un bien meilleur goût tout d'un coup.
Je réécris la recette à l'exactitude sur mes parchemins, notifiant tout ce dont j'allais avoir besoin pour son exécution la plus pure. Ce qui allait pêcher le plus s'était mon manque de matériel. J'avais une petite casserole à hanse en ferraille, un bol, un couteau et il devait me rester de quoi faire des collets, mais c'était très rustique. Je n'avais aucune échelle thermique, pas de mortier et aucun récipient pour le contenir en dehors de mon outre en cuir. Il était exclu d'emprunter quoi que ce soit au Saint-Siège, Aurore m'avait prévenu, rien ne sortait des salles de cours et tout ce qui se créait entre ses murs appartenait à la spiritualité. J'hésitai un bref instant, mais après tout, je ne voyais pas d'autres solutions se profiler à l'horizon et il était hors de question que j'attende, sans rien faire, jusqu'en Novème. Je venais enfin de trouver mon occupation pour les vacances. Le plus compliqué, parmi les ingrédients, allait être de réussir à attraper un corbeau. Le serpent serait plus simple à trouver. Je n'allais pas non plus pouvoir ramener les cadavres dans l'enceinte une fois attrapé. Il était essentiel que je prévois tous les ingrédients qui puissent être entrés et sortis sans crainte avant de passer à la chasse.
Loin de me rebuter, avoir un objectif me faisait frémir d'impatience et, sans attendre, je partis rassembler quelques affaires pour passer l'après-midi à l'extérieur des murs. La prêtresse gardienne ne m'interrogea pas sur mes activités, un étrange sentiment de liberté me parcourant dès mes premiers pas dehors. N'étant plus sorti des enceintes de Dragon depuis mon arrivée, je retrouvais la joie de vagabonder dans la forêt cherchant, déterrant, cueillant et récoltant les premiers ingrédients nécessaires à ma réussite. J'aimais la brise des hauteurs de montagne sur ma peau, l'odeur du tapis de mousses, de terres et de feuilles à travers les arbres, la sensation de mes mains fouillant la terre meuble et humifère. J'atteignis une petite clairière sur laquelle s'étendait un grand rocher plat. De loin, je vis quelques gros lézards parcourir la surface chaude et, mieux encore, plusieurs serpents se dorer au soleil. Une fois m'être assurée qu'il s'agissait bien de la bonne espèce, je localisai plusieurs tanières, satisfaite de ma chance actuelle. Ce fut un peu plus compliqué de trouver des corbeaux. Ou du moins, de trouver le nid d'un grand corbeau. Je montai bien plus haut, m'égratignant les genoux et les doigts sur des terrains bien plus caillouteux, vers de hautes parois rocheuses. Celui qui passait au dessus de ma tête à ce moment , volant vers une crevasse dans la montagne, avait une envergure d'au moins cent quarante centimètres, ce qui en faisait un spécimen adulte suffisamment grand pour la quantité de sang dont j'avais besoin. Si j'arrivais à l'attraper. Les corbeaux étaient réputés pour être des animaux rusés, je n'avais jamais eu besoin d'en chasser jusqu'à aujourd'hui.
Si la vieille bique de Maîtresse corbeau me voyait, songeais-je avec amusement, elle me battrait avec sa canne d'oser penser à tuer une créature si noble.
Le soleil déclinait depuis un moment déjà lorsque j'entamai le trajet retour. J'aspirai à me laver avant la messe, cependant je ne pensais pas en avoir le temps. Inconsciente de l'étendue de mon état de crasse, je n'envisageai pas que quelques traces de boue puissent déranger. Je tenais à m’essuyer les mains du mieux que je pus, au cas où j'arriverais en retard. Les grandes portes de la cathédrale déjà ouvertes, j'ai dû faire une croix sur la douche tant espérée, cependant les visages froncés des gens aux côtés desquels je passais auraient pu être un premier indicateur de l'étendue des dégâts. Si seulement je ne les avais pas croisés.
Je n'aimais pas particulièrement la Primordiale de Lynx, son comportement intolérant me la rendait assez méprisable, toutefois je m'y habituais doucement. Du moins, à ses cours. Elle ne venait que rarement à la messe, même le Dies Lyncis, jour de son Esprit. Alors, quand je les vu tous les deux, je me sentis trahi, pour une raison totalement incohérente. Les offices étaient les seuls moments que je partageais avec mon Primordial. J'avais cru ; imaginé ; espéré qu'il revêtait une quelconque importance pour lui. Il n'en fut rien. Qu'importe la braise dans ses yeux quand il me vit ou l'évidente distance qu'il m'était entre eux. Ce que je retins venait d'une voix claire et pleine de venin.
« Mademoiselle Torner, vous pourriez faire un effort sur votre tenue. De plus, vous encombrez le passage et importunez tout le monde avec votre… parfum. » Mon odeur ne me dérangeait pas vraiment, je sentais la forêt, la terre et les plantes. Avec un peu de sueur pour mélanger l'ensemble. Seulement, comment ne pas paraître comme une grosse souillon, comparé à une femme si belle ? Même ses paroles acerbes ne réussissait pas à l'enlaidir.
La honte me brûlait les joues, me faisant fuir sans demander mon reste. Sous les yeux de cette femme, je me sentais de trop, je prenais trop de place. N'envisageant pas une seconde de rester, je quittai la cathédrale en me fichant éperdument de rater une messe. Précipité vers mon dortoir, je laissais enfin sortir mon trop plein d'émotions indésirables. J'étais en colère contre moi de la laisser avoir une telle emprise sur moi, d'accorder autant d'intérêt à mon apparence. Cela se serait passé différemment s'il n'avait pas été là.
« Mais il était là », susurra une voix glaçante, si basse que je la pris pour une émanation de mes propres pensées tristes et affligées. Je me sentais seule. Ma tristesse de la matinée me revint avec plus de force. Même si mes amis étaient là, je ne pourrai pas leur expliquer pourquoi je pleurais de rage. Elles ne comprendraient pas de toute façon, l'une me ferait la leçon et l'autre ne voudrait pas en entendre parler. Je n'allais pas non plus aborder ce sujet avec quelqu'un d'autre. Au plus je partageais mon secret, au plus j'avais de chance qu'il s'ébruite. Le manuel sur l'art de la magie soufflé attira mon attention, posé sur ma commode. Je devais avoir la volonté de vouloir faire parvenir mon message. Me mordant la lèvre, je pensais à mon désir de parler à mon inconnu. Je n'étais pas obligé de parler directement de mon Primordial. Je pouvais aussi ne pas signer.
Prenant le livre, je relu le paragraphe qui me fit croire que cette fois ci, j'y arriverai. J'y réfléchis un moment à quoi écrire ou comment, d'abord en triant mes trouvailles du jour et ensuite sous la douche, mais finalement, je décidai de me laisser aller à l'écriture.
Après tout, je ne risquais pas grand-chose si je ne me citai pas. J'écrivis une lettre en y apportant un soin particulier, puis, une fois celle-ci lue et relue, je la pliai en formant, non pas un oiseau, mais un petit loup. Je pris une inspiration profonde avant de souffler ma magie sur lui.
Ma lettre prit vie, courant dans l'air vers la fenêtre la plus proche ; une fois arrivée, elle s'étiola en poussière de magie sombre.
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