Jacques IONEAU AKA : Exit - L'enfer d'Eden

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Nous voilà partis, chacun avec son levier, boitant dans la neige qui commence à fondre. Je pensai plutôt « nous voilà mal partis », derrière ce guide avec sa coiffe en plume dépareillée qui semble ignorer l’usage de la boussole et nous entraîne dans des chemins caillouteux. Au milieu de cette brume glaciale nous marchions sans un mot, seuls les raclements de nos godillots et quelques raclements de gorge, voire des jurons lorsque quelqu’un butait sur une pierre ou glissait sur de la boue gelée, rompaient le silence. La brume comme de la ouate semblait étouffer tous les sons. Je distinguai à peine, à trois pas devant moi, l’emplumé censé nous mener dans la bonne direction, Leeloo, Hector, et tous les autres en file indienne, me paraissaient tranquille, mais j’avais l’impression que ce guide ne connaissait pas plus que nous la région vers laquelle il était sensé nous emmener. Ah ! Un abri sur notre droite ! Bâti en rondins grossièrement équarris. Des bancs autour de trois tables.
« Une demi-heure de pause !» annonce notre cicerone en consultant son téléphone.
Assis sur les bancs, chacun de déballer de son sac à dos les gourdes et les barres chocolatées et autre pâtes de fruit. J’entends quelqu’un murmurer « mais que suis-je venu faire dans cette galère ! »

Après le dîner, vers deux heures, chacun regagna son poste d'observation. Je n’ai gardé aucun souvenir de ce qui a pu se passer entre la chute de ce rondin sur ma pauvre tête et mon réveil dans cette station d’observation, allongé sur un brancard fait de bric et de broc, deux branches, un duvet tendu entre elles, fixé par des ceintures et des morceaux de ficelle… Ils m’ont trimballé jusqu’au sommet durant trois heures de marche, quatre par quatre, chacun à son tour, en râlant bien sûr. Notre mentor dont la coiffe avait perdu la plus grande partie de ses plumes n’ayant pu joindre les secours. Allongé, sur une couchette de la station, ils avaient nettoyé la plaie, mais je souffrais surtout d’une atroce migraine contre laquelle l’aspirine semblait sans effet. Je finis par me lever et, un peu chancelant, rejoignis mon poste d’observation au moment précis ou la station décollait. Je tournai la tête, avec difficulté vers le poste de commande occupé par notre guide dont la coiffe ne comptait plus que trois ou quatre plumes, « l’emplumé ne va pas tarder à s’appeler le dépumé », souris-je in petto ! Comme s’il avait lu dans mes pensées, il me lança un regard mauvais avant de reprendre le pilotage de notre engin, nous survolions une vaste plaine à plus de trois mille pieds du sol et nos écrans nous montraient une forêt, là-bas sur la droite qui abritait les nids. Il nous fallait évaluer leur nombre sachant qu’ils pouvaient contenir chacun plus d’un millier d’occupants. Partout en plaine, la neige avait disparu, remplacée par la gadoue dans laquelle nous marchions ce matin en gravissant la montagne. Le déplumé leva de nouveau ses yeux vers moi, m’interrogeant du regard… que voulait-il ?

Le changeant mois de mars était arrivé, et avec lui l'enivrement du printemps, joyeux pour les jeunes, mélancolique pour ceux qui déclinent. Voilà que notre emplumé déplumé se lance dans les citations littéraires du 19ème siècle, je ne vois pas bien le rapport avec notre mission, mais peut-être est-il basque ? En tout cas je me sens plutôt mal loti avec lui… Je ne me suis intéressé qu’à sa coiffure de chef indien jusqu’à présent, mais son allure d’éphèbe cache peut-être une femme… qui sait ? J’ai souvenir d’une charmante canette sans plumes, donc à poil, mais passons, puisque le printemps est là, sur cette foutue planète, les orages peuvent survenir à tout moment… après la neige, la grêle ? Bon, au boulot ! Je dois évaluer le niveau d’évolution des êtres qui peuplent cette planète, leur nombre etc. Ma prédécesseure, au poste de xéno-ethnologue, dans son dernier message, les avait nommés « espèce insectoïde » vaguement semblables à des fourmis de trois pieds de haut, se tenant debouts sur deux pattes grêles, possédant deux membres supérieurs terminés prune pseudo main avec quatre doigts opposables deux par deux formant une sorte de pince leur permettant d’utiliser des outils. Une tête ronde avec deux yeux à facettes et une paire d’antennes en lieu et place des oreilles, et des mandibules d’araignée à la lace de la bouche. Tout leur corps paraissait recouvert d’une sorte de carapace qui tenait à la fois aux écailles de poisson ou de lézard et à la chitine des insectes. Leur nid étai un ensemble de constructions en cailloux et terre, sur un bâti en bois grossier. Après cette description, elle a dit vouloir s’approcher d’eux, à quelques dizaines de mètres elle a aperçu un éclair de lumière bleu-vert, à signalé que quelques individus l’avaient observée, puis se dirigeaient vers elle. Puis la communication a été coupée et elle n’a depuis plus donné signe de vie.

La peur les tenait recroquevillés silencieusement à leur place ; chacun semblait pressentir que quelque chose de terrible allait survenir. Tout à coup, émergeant de mes pensées, je me rendis compte que toute l’équipe paraissait en état de sidération. Je regardais notre guide, pas une des rares plumes restantes ne bougeait. Il demeurait immobile, figé sur son siège… comme tous les autres. Une sorte de halo tremblotant avec des reflets bleu-vert persistait autour de notre navette.
Nous avions dû être atteint par un éclair similaire à celui relaté par ma collègue… mais comment se fait-il que, contrairement aux autres, je n’ai pas cet air halluciné, hébété… ils me paraissent même paralysés sur leurs fauteuils… Je me lève et avance vers le plus proche, Hector. Ses pupilles sont dilatées et fixent le vide devant lui, sa bouche à l’air de pousser un cri d’effroi… silencieux, je le secoue légèrement , il tombe sur le sol et y reste sans mouvements. Je regarde notre guide, aussi immobile que les autres, j’appelle, pas de réponse et sur son écran, je constate que l’on est en train de descendre en spirale. Je ne connais rien au pilotage d’une navette. Je le gifle espérant le réveiller, mais aucune réaction. J’essaie de contacter le vaisseau mère en orbite autour de la planète, mais il se trouve de l’autre côté de « Eden » la bien nommée et la communication ne doit pas être possible pour l'instant. Les moteurs antigrav doivent fonctionner car nous descendons comme une feuille morte, virevoltant au gré du vent. L’atterrissage ne sera pas trop violent… j’espère… !
L’altimètre indique que nous sommes à huit cents pieds, je crains quand même une arrivée assez brutale et je me dépêche d’attacher chacun des membres de l’équipe sur son siège, avant de me rasseoir pour boucler mes propres ceintures. Sur mon écran le sol paraît situé à moins de cent pieds et se rapproche rapidement… je ferme les yeux… brusquement la descente est stoppée net, je sens que je vais perdre connaissance...

J’eus comme un hoquet, j’ouvris les yeux… Pas un bruit… Rien ne bouge, il semble que nous ayons atterri sans trop de casse… Oupppssss ! . mon estomac ne peut garder son contenu et je vomis sur mes jambes un peu de bile. Je débloque les ceintures qui me maintenaient collé sur mon siège. J’ai bien fait d’attacher tout le monde car diverses choses sont répandues à travers le poste d’observation. Selon l’écran du pilote nous sommes tout près des arbres qui abritent le nid. Je me dirige vers le sas arrière afin de sortir pour inspecter l’état extérieur de l’appareil. Le sas fonctionne, je m’aventure dehors. L’air frais a une curieuse odeur, un mélange de foin fraîchement coupé et de fleur d’oranger. Plutôt agréable, selon nos analyses il est très proche de la composition de l’atmosphère terrestre, légèrement supérieur en oxygène d’environ deux pour cent.
Après avoir fait le tour de l’engin, je me dis que nous avion eu une chance incroyable en atterrissant en terrain plat sur des buissons qui avaient amorti le choc, car rien ne semblait avoir souffert. Mais pourquoi tous les autres étaient-ils endormis ? Serais-ce dû à cet éclair bleu-vert et la persistance de ce halo les maintiendrait-elle ainsi ? Et dans ce cas, comment ai-je pu en réchapper, ma blessure à la tête ? Non, bien sûr ! L’aspirine… pourquoi pas ? Je m’étais éloigné de la navette quand je vis , sortant de derrière les arbres, une demi-douzaine de ces êtres myrmémorphes, passant à proximité de l’engin, sans y prêter plus d’attention et poursuivre leur chemin à travers la savane en direction du sud. Je me précipitai vers la navette dont le sas était resté ouvert. Je repris ma place et préparai un grand verre d’aspirine effervescent afin d’en administrer un peu à chaque personne en commençant par le pilote dont la dernière plume tomba quand je lui mis la tête en arrière pour pouvoir lui faire boire un peu d’aspirine. Il se mit à tousser et reprenant ses esprits, me dit : « que se passe-t-il ? » Je lui contai brièvement les derniers évènements et à nous deux nous fîmes boire nos collègues et décidâmes d’aller à la rencontre des autochtones en gardant espoir de retrouver la disparue de l’expédition précédente.
Au bout de quelques centaines de mètres, dans une clairière, nous vîmes le nid et debout devant une entrée imposante, l’n des insectoïdes campé sur ses deux pattes, un grand bâton dans l’une de ses pseudo-mains, une chose indéfinissable dans l’autre, peut-être une arme. Il paraissait plus grand que la moyenne, entre quatre et cinq pieds de haut et semblait nous regarder. Le déplumé leva sa main et lui adressa la parole, mais n’obtint aucune réaction. Notre collègue psychologue-linguiste, s’avança en utilisant une gestuelle de communication sans parole et s’arrêta à douzaine de pas de l’être, mais celui-ci paraissait impassible. Il ne bougea pas.



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