On donnait Faust à l'opéra depuis un bout de temps et Gregory y emmena Jemima, songeant qu'après tout, ce n'était pas parce qu'Andrew avait déjà emmené son meilleur ami et locataire que celui-ci devait se priver d'une soirée avec la dame de ses pensées.

Il n'avait pas prévu que Galaad s'incrusterait. Bien sûr. Il avait promis de l'emmener partout avec lui, alors...

Un moment, entre deux actes, il s'éclipsa pour aller chercher l'écharpe que Jemima avait laissée au vestiaire et qu'elle désirait avoir désormais, car elle se sentait un peu frileuse. Par une sorte de miracle, Galaad n'insista pas pour l'accompagner au vestiaire, mais si Gregory en fut d'abord soulagé, il comprit en revenant la raison de cet ''oubli''. Alors qu'il était encore derrière le rideau marquant le rideau de la loge, il entendit l'autre G. répondre à Jemima :

« Vous savez, si mon cousin avait été soumis au jugement de Pâris, il aurait sans doute pris la connaissance infinie proposée par Athéna et non la plus belle femme du monde promise par Aphrodite. C'est dommage mais c'est ainsi. Moi cela me va très bien, voyez-vous, car cela signifierait que vous auriez été libre pour moi. »

En l'entendant parler ainsi à celle qu'il considérait comme sa fiancée bien qu'il ne soit qu'un simple prétendant, le sang de G. se mit à bouillir. Mais il bouillit encore plus lorsqu'il entendit Jemima répondre :

« Oh, vous savez, à proprement parler, je suis libre. Gregory n'a encore jamais fait sa demande.

— Quoi ? S'exclama d'un ton tragique G. l'imposteur. Il a osé ne pas vous passer la bague au doigt à l'instant où il vous a vue ? »

Jemima hésita entre rétorquer qu'elle ne se réduisait pas à son aspect physique et s'attendrir devant cet aveu d'admiration qui semblait spontané. Mais Gregory sauta au plafond en entendant Galaad ajouter :

« Dans ce cas, rien ne vous retient, Ô Hélène des temps modernes, d'accepter un humble témoignage d'admiration de la part d'un Pâris timide ? »

Heureusement pour la tension de Gregory, Jemima rétorqua :

« Ne croyez pas que vous m'aurez avec votre verve mythologique. J'apprécie peut-être les phrases bien tournées, mais cela ne vous suffira pas pour me conquérir. Mon cœur appartient à votre cousin, et je vous rappelle que celui-ci est votre hôte à Londres, par conséquent me faire la cour dans son dos serait la pire des traîtrises. »

Galaad resta silencieux un instant, puis dit, d'un ton blessé :

« Très bien, Mademoiselle, je ravalerai ma fierté si cela peut éviter une nouvelle Guerre de Troie. Et pour filer la métaphore, je me retire sous ma tente. »

Imitant Achille, il se retira. Quand il se retrouva, ayant passé le rideau, face à Gregory, celui-ci le saisit par le col et le plaqua contre le mur.

« Tu oses vraiment tout, murmura-t-il. Ça devient ta marque de fabrique. Tu me voles ma famille, mes amis, ma réputation, passe encore. Mais tu oses essayer de me voler ma fiancée ? »

Galaad eut un petit sourire méprisant et se libéra de la poigne de Gregory sans difficulté.

« Allons, allons, calmes-toi Ménélas. Ton Hélène t'est fidèle – aussi dommage que cela soit. Tu devrais même me remercier, quand j'y pense. Maintenant tu sais qu'elle ne fricoterait pas avec ton double dans ton dos. »

Il dévisagea Gregory des pieds à la tête et ajouta, méprisant :

« J'allais ajouter quelque chose sur le fait qu'elle ne t'aime pas uniquement pour ton physique, je me suis dit que ce n'était d'ailleurs pas étonnant vu le physique que tu as, et puis je me suis souvenu que nous avions le même. Alors je vais me taire. En attendant, veille à être moins aggressif, ou elle pourrait me préférer à la fin.

— Tu n'es qu'un serpent qui a revêtu mon apparence, riposta Gregory. Éloigne-toi de moi, de ma vie, de Jemima.

— Mon pauvre, dit Galaad tandis qu'Andrew revenait dans la loge à son tour - pour sa part il était allé aux toilettes. J'ai bien l'impression que tes nerfs craquent. Couches-toi tôt ce soir. Si tu veux, je peux même me charger de raccompagner Jemima... Enfin, Mademoiselle McPherson . »

Andrew passa entre eux, les séparant. Gregory se détourna et dit :

« Très bien, je rentre. »

Galaad lui fit un petit signe de la main et le laissa partir. C'est uniquement dans le coche que Gregory se rendit compte que, pour la première fois depuis deux semaines, il n'avait pas Galaad sur le dos, Galaad le suivant, Galaad épiant ses moindres faits et gestes. C'était une occasion à ne pas manquer.

« Cocher, dit-il. Changez de route, je ne rentre pas directement. »

Galaad avait fait une erreur, et Gregory comptait bien en profiter.

*

* * *

*

Le lendemain matin, Gregory se réveilla pour voir Galaad sur la banquette à l'autre bout de la pièce. Hmm. Chaque matin il se demandait avant d'ouvrir les yeux si tout cela n'avait été qu'un mauvais rêve, et puis en voyant Galaad paisiblement endormi, ou déjà réveillé, dans la même chambre que lui, il songeait qu'effectivement, c'était un mauvais rêve, mais éveillé.

Alors qu'il faisait sa toilette, Galaad, gardien consciencieux, acceptant à peine de regarder ailleurs pendant ce temps, on frappa à la porte. Galaad, visiblement à l'aise à l'idée d'être devenu le maître des lieux à la place de Gregory, dit ''entrez'', et la porte s'ouvrit sur Andrew.

Celui-ci dit à Galaad :

« Ah, Gregory, je vous cher... »

Puis il s'interrompit, vit que Gregory se tenait dans la même pièce et dit :

« La ressemblance est vraiment frappante. Désolé, Galaad, je vous ai encore confondu avec votre cousin. »

Puis il se dirigea vers Gregory. Celui-ci se fit la remarque que Jemima elle-même ne les différenciait pas, et que par conséquent Andrew était le meilleur ami qu'il puisse avoir. Cela dit, une chose l'inquiéta : il semblait désormais considérer que Gregory était le cousin de Galaad, alors qu'auparavant, c'était Galaad l'intrus.

Gregory rendit grâce au Ciel d'avoir pu échapper à la surveillance de Galaad la veille. Il ne lui manquait plus grand chose, juste une lourdeur dans l'air, et il pourrait de nouveau être le seul G. en lice.