Chapitre premier - Victoria
Chère Victoria,
Lorsque nous nous sommes quittées l'autre soir après le bal chez les McPherson, nous évoquions la possibilité que vous veniez passer quelques temps, cet été, chez nos cousins du Wessex, pour nous accompagner. Sachez que Mère et Tante Mary ont approuvé ce projet, vous êtes la bienvenue !
Nous partirons mardi prochain vers dix heures. Ayez vos valises prêtes, nous viendrons vous chercher ! Ce sera follement amusant, et vous rencontrerez enfin Bennet, dont je vous parle depuis si longtemps !
R. S. Fawn
Victoria finit de lire et leva les yeux vers son cousin James.
« Je vais devoir refuser, murmura-t-elle.
-Pourquoi ? s'étonna James. Tu adores Rebecca Fawn et ses sœurs ! »
Il marqua une seconde de silence, puis ajouta :
« Enfin, à moins que ce ne soit plus le cas ? En six mois tout peut avoir changé, mais j'espère que tu t'entends toujours avec mes cousines ? »
James Brightwell était né de John Brightwell et Eliza Fawn. Alors que Victoria était la fille d'Andrew Brightwell, le frère de John, Rebecca, Laura et Alicia Fawn étaient les filles de Matthew Fawn, grand frère d'Eliza.
Et si il avait bien suivi, Rebecca, grande amie de Victoria, lui proposait de venir séjourner à la campagne chez leurs cousins. Du côté Fawn également, mais pas de la même branche, puisqu'il s'agissait des cousins Fawn du côté de Henry Fawn, lequel avait épousé Mary Thorne.
Pas Thorne comme Arabella Thorne, l'affreuse chipie - certes de trois ans l'aînée de James - qui lui avait jeté du thé à la figure, mais presque, puisqu'il s'agissait de cousins issus de germain ou d'un ou deux degrés de plus d'Arabella Thorne et Caroline McPherson.
Bon sang, après six mois dans l'Atlantide et un an et demi de détente à la campagne ou à Londres selon les semaines, il allait falloir qu'il se remette bien en tête l'arbre généalogique du gotha londonien.
« Ce n'est pas la question, répondit Victoria. Tu le sais. »
James soupira.
« Nous en avons déjà parlé vingt fois, Victoria. Je vais bien. Le naufrage a été éprouvant, je ne le nie pas. Et j'ai mis du temps à ne plus faire de cauchemars avec un homme aux yeux luminescents qui me poursuivait avec une arbalète à trois ponts. Mais je vais mieux maintenant, et même si ce n'était pas le cas, tu n'as pas à veiller sur moi comme une infirmière... qui s'occupe de l'infirme. »
Il marqua une pause comme pour savourer les derniers mots, qu'il avait détaché du reste de la phrase. Il les avait prononcé presque automatiquement, à force de refouler tous ses souvenirs du naufrage de peur que personne ne le croie.
« Bref, reprit-il, ne gâche pas ta jeunesse pour moi. Tu as dix-neuf ans, si ce n'est pas l'âge auquel tu peux partir avec des amies pour passer deux mois à la campagne, il n'y aura pas un tel âge. Et puis, j'ai entendu dire par des filles qui n'avaient pas remarqué ma présence que les sœurs Fawn avaient bien de la chance d'avoir trois cousins aussi beaux et riches. Même si Rebecca est fiancée à Bennet, il en reste deux pour toi... Vraiment, j'insiste : vas-y, rencontre des beaux garçons, amuse-toi tout l'été et d'ailleurs pendant que tu y seras, épouses-en un si ça peut te faire plaisir. »
Victoria sourit. C'était bien son cousin James, ça ! Toujours à faire passer les autres avant lui.
« Tu es sûr de ne pas vouloir que je reste encore un peu ? demanda-t-elle.
-Eh, ce n'est pas comme si nous nous voyions pour la dernière fois le jour de ton départ ! plaisanta James. J'espère que tu vas revenir de ce séjour ! Reste si tu veux, mais si j'étais toi j'irais avec elles. Passer l'été à la campagne entourée de beaux partis... je ne vois pas comment tu pourrais refuser ça. Fais comme tu le désires cependant. Si tu veux passer ton été à m'apporter à boire et à m'éventer, je n'ai rien contre. »
Victoria sourit de nouveau, à l'image évoquée par son cousin cette fois-ci.
« Du reste, j'aurais l'impression de m'imposer, dit-elle. Rebecca n'avait pas prévu de m'inviter à l'origine, c'est sa petite sœur Laura, à une soirée chez les McPherson, qui l'a suppliée de m'emmener, au prétexte que le manoir serait lugubre dans l'entre-soi familial et qu'elle ne voulait pas avoir l'impression une année de plus que chacun des deux cousins se sentait obligé de passer son temps avec l'une des deux cousines au prétexte que Rebecca et Bennet étaient fiancés. Bref, Laura voulait que je défasse les calculs des uns et des autres et que j'ajoute un peu de joie de vivre chez les cousins Thorne et les cousines Fawn, mais c'est Rebecca qui m'invite, et on sent qu'elle se force.
-Du tout ! l'assura James. Je ne vois pas qui pourrait refuser ta présence. Tu es si gentille, si dévouée, si discrète et si prompte à t'enquérir des besoins de ceux qui t'entourent, tu ne seras jamais un fardeau pour les Fawn. Si Laura a demandé à Rebecca de t'inviter, toi, et pas n'importe qui d'autre, il y a une raison. Et si tu penses que Rebecca se force à t'inviter, tu as deux manières de considérer les choses : soit lui prouver que tu es l'amie idéale à inviter, soit relire sa lettre et te rendre compte qu'elle n'a pas l'air de se forcer, simplement l'air d'une aînée de fratrie qui doit veiller à ce que ses deux petites sœurs fassent leurs bagages et qui est en charge de toute la logistique. »
Victoria relut la lettre et hocha la tête. Effectivement, il n'y avait aucune raison pour que Rebecca l'invite si elle ne le désirait pas. Très bien, elle irait !
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