Chapitre premier - Retour au manoir Fawn
Cette fois-ci, Victoria ne prenait pas place dans la calèche des sœurs Fawn. Cette fois-ci, Victoria avait sa propre calèche - gentiment mise à sa disposition par son cousin James, qui était parti en voyage de noces en France deux jours plus tôt et n'avait donc pas besoin de calèche pendant une semaine - et elle n'allait pas au manoir Fawn comme l'invitée un peu parasite des cousines Fawn, elle y allait en tant que potentielle fiancée de Harmon Fawn, pour rencontrer sa mère, absente à son dernier séjour, et pour observer un peu comment Bennet et Rebecca, à l'époque fiancés et désormais mariés, vivaient. Après tout, elle allait également épouser un des trois frères Fawn... enfin peut-être. Elle devait encore plaire à sa future belle-mère, Harmon devait aller demander sa main à Albert, qui n'oserait certainement pas refuser que sa sœur se marie avec un jeune homme bien sous tous les rapports, d'autant plus qu'ainsi il n'aurait plus à se préoccuper de son sort, et enfin ils pourraient se marier.
Toutefois, quand elle entra à Fawn Manor, en passant les lourdes grilles qui barraient l'accès aux visiteurs indésirables, elle fut saisie. Elle avait des réminiscences vivaces de son dernier séjour, et plus que tout des quelques minutes passées dans la cave du manoir avant qu'elle ne s'évanouisse à la vue du sang.
FitzHenry hurlant que tous les habitants du manoir étaient déjà morts, le pistolet de Lincoln tirant - sans qu'elle ne puisse jurer l'avoir vu en presser la détente - et tuant le bohémien. Tant de questions restaient sans réponse.
D'abord, bien sûr, il semblait étrange à Victoria que FitzHenry ait pu dire la vérité, c'était tout simplement trop invraisemblable pour être vrai. Cependant, en y repensant elle s'était rappelé qu'on avait changé plusieurs fois de versions sur son histoire durant sa première visite. Mort, puis finalement simplement porté disparu, blessé mais rescapé grâce à Lincoln qui l'avait enfermé à la cave... Et puis, point important... elle était une Brightwell. Cela signifiait que tout ce qui était à la fois étrange, surnaturel et morbide lui étaitv vaguement familier.
Elle eut un rire nerveux au moment où sa calèche s'arrêtait devant la porte principale du manoir. Rebecca et Bennet étaient dans le hall à l'attendre, tandis que Lincoln, Laura, Alicia et Harmon n'étaient pas en vue. Elle enlaça Rebecca et salua un peu plus formellement Bennet. Harmon et Alicia apparurent dans l'embrasure de la porte de la salle à manger.
« Bonjour, ma douce, murmura Harmon en lui faisant signe.
— Vous pouvez vous passer des murmures et des regards en coin, dit Alicia. Nous savons tous que vous vous écrivez régulièrement, et même dans le cas contraire, le fait que Victoria vienne séjourner en ces murs pour rencontrer Tante Mary aurait vendu la mèche.
— Si j'avais pu me douter, ajouta Rebecca en prenant joyeusement Victoria par le coude, que l'invitation que Laura m'a convaincue de vous envoyer l'an passé vous conduirait à épouser mon cousin !
— Et à faire ainsi partie de la famille ! ajouta Laura.
— Nous avons préparé la même chambre que la dernière fois, ajouta Rebecca. Je vous accompagne, vous avez peut-être oublié le chemin.
— Et je porte vos bagages, proposa Bennet.
— Pendant ce temps, dit Lincoln en saisissant Harmon par le col, toi, tu retournes à la bibliothèque, tu as encore toute la section D à classer et je n'ai pas l'intention de me la coltiner en plus de la section W-Z.
— Je viens avec vous, les garçons ! s'enthousiasma Laura. J'adore cette bibliothèque, elle est tellement gothique ! »
Ils disparurent tous par la petite porte qui menait au salon adjacent à la bibliothèque.
« « Laura n'a pas guéri de son amour pour le drame et l'imagination ? s'enquit Victoria.
— Visiblement, non, répondit Rebecca. On pourrait penser que l'incident avec FitzHenry l'aurait un peu refroidie, mais non.
— S'il vous plaît, ne parlons pas de ça ! s'exclama Bennet. Victoria est là pour passer du bon temps avec sa future belle-famille et rencontrer ma mère, pas pour se souvenir d'évènements douloureux. »
Et traumatisants, ajouta Victoria pour elle-même.
C'était tout de même la seule fois de sa vie où elle s'était évanouie.
La chambre dans laquelle elle logerait était celle dans laquelle elle avait dormi durant son séjour précédent. Victoria tressaillit en voyant la coiffeuse à travers laquelle FitzHenry lui avait parlé la première fois. Ce tressaillement lui fit prendre sur-le-champ une résolution formelle : après son mariage avec Harmon, quoi qu'il puisse dire, elle refuserait de vivre dans ce manoir. De toute manière, la plupart des hommes de son âge avaient une garçonnière à Londres, que les trois frères vivent reclus à la campagne dans un manoir gothique n'était bon ni pour eux ni pour leur réputation... et certainement ni pour le moral de Victoria, ni pour l'éducation de leurs futurs enfants.
Il faudrait qu'elle pense à signaler à Harmon qu'elle avait déjà décidé du prénom de leur premier fils et que ce n'était pas négociable. Si ça ne lui plaisait pas, il se rattraperait avec le deuxième prénom - ou avec le deuxième fils. Victoria avait l'intention d'avoir beaucoup d'enfants. Enfin, ce serait des discussions qu'il faudrait avoir avant le mariage, mais qui ne pressaient pas tant qu'il n'y avait même pas de date, songeait-elle.
Ce en quoi elle avait tort, il faut toujours discuter de ce genre de sujets importants bien avant le mariage, mais passons.
« Je vous laisse aider Victoria à s'installer.» dit Bennet en effleurant la main de Rebecca.
Sa fiancée hocha la tête et aida Victoria à ranger ses affaires, avant de demander subitement :
« Je déteste avoir à demander cela, mais... vous êtes sérieuse ?
— De quel sujet parlons-nous ? demanda Victoria, confuse.
— De mon cousin transi d'amour pour vous, répondit Rebecca. Je ne veux pas qu'il se fasse briser le coeur, et même si nous nous connaissons depuis longtemps je ne veux pas prendre le risque de laisser passer le sujet au prétexte que nous sommes amies.
— Oh, dit Victoria, comprenant. Ne vous inquiétez pas, Rebecca. Je suis très sérieuse. J'ai envie de l'épouser et de vivre à ses côtés le restant de mes jours. Et prenez en compte le fait que je ne suis pas Laura. Je ne me lasserai pas de lui et je n'irai pas vivre avec un Bohémien par envie d'aventure. »
Elle avait commencé sa phrase sous le signe de l'humour, mais se rendit compte en la finissant que Laura avait effectivement fui pour vivre avec un Bohémien à sa dernière visite. Peut-être avait-elle était plus marquée par les évènements qu'elle ne le pensait.
Rebecca lui lança un regard en coin et resta silencieuse pendant quelques instants, puis dit :
« Il m'a dit qu'il serait dans le salon si vous vouliez le voir après vous être installée. »
Victoria ne sut comment interpréter le ton de Rebecca, mais elle était sûre que si elle lui en avait vraiment voulu, elle ne lui aurait pas passé le message.
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