Chapitre cinq - Elle a enfin compris où je voulais en venir

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Peut-être dans une tentative desespérée de contrer le mauvais sort, James Brightwell se tourna vers Arabella Thorne et lui dit :

« Très bien. Peu d'hommes ont la chance de connaître l'imminence de leur mort - sans du moins être cloués sur leur lit de mort et ne pas pouvoir accomplir ce qu'ils auraient aimé faire avant l'échéance. A ma mort, mon cousin Albert reprendra mes parts du Brightwell's, et pourra dénaturer encore plus qu'aujourd'hui l'héritage de son père. Peu m'importerait si je ne l'avais pas vu mourir sous mes yeux, mais... »

Il s'arrêta, comme repris par ses souvenirs. Puis il changea de phrase et poursuivit :

« Vous vouliez m'épouser. Fort bien, Mademoiselle Thorne. Il serait mal vu que vous restiez célibataire indéfiniment, or il me semble que vous n'avez personne en vue. Il serait mal vu pour moi également, si Thanateros se révélait un fragment de nos imaginations à tous les deux, que je ne me marie pas, pour diverses raisons que vous connaissez aussi bien que moi. Par ailleurs, le mariage s'accompagne parfois d'enfants, lesquels pourraient hériter du Brightwell's à ma mort, laquelle risque d'être prématurée. »

Les nombreuses raisons qu'il n'avait pas voulu lister étaient simples à expliquer : si on retient souvent qu'une femme devait se marier pour ne pas être regardée de travers, il en était de même pour les hommes, bien que le délai qui leur était imparti par la conscience populaire pour se marier soit un peu plus long. Un homme devait donc se marier pour être bien vu, parce qu'un homme qui ne trouvait pas à se marier était vite suspect de remplir les cases suivantes, qui n'étaient pas forcément avérées mais qui, étant toutes de l'ordre de la vie privée, restaient cachées et pouvaient donc être présentes sans le moindre indice extérieur : désintérêt pour les femmes, dettes cachées l'empêchant de fonder une famille, incapacité à satisfaire une femme et à procréer, voire de dissimuler une addiction à l'alcool ou au jeu dépassant les limites de la convenance, ou simplement d'avoir en privé un caractère si désagréable qu'à moins de posséder la moitié du Derbyshire, il éloignerait tout le monde le jour où il deviendrait public. Enfin, c'est bien connu que les hommes sont incapables de prendre soin d'eux et qu'une garçonnière est dans un état de désordre permanent. Il leur faut donc se marier afin qu'il y ait chez eux une maîtresse de maison, rôle qui peut être rempli par leur sœur tant que les deux sont célibataires, mais cette situation n'est pas destinée à durer. En d'autres mots, un homme devait se marier pour vivre une vie épanouie.

Enfin, parce que James sentait qu'Arabella n'avait pas totalement saisi où il voulait en venir, il dit :

« Je mourrai sans doute dans peu de temps, si le tueur que nous pensons est à mes trousses. Dans ce cas, qu'au moins ma mort ne soit pas vaine. Vous vouliez m'épouser : soit. Sauvons nos deux réputations et faisons peur à Albert. Et si je dois mourir, au moins mes petites économies ne serviront pas à Albert pour dénaturer plus encore ce que son père lui a laissé, mais à vous, pour tenir un pub, activité convenable pour une veuve après tout. Toutefois, gardez bien en mémoire, Mademoiselle Thorne, que mes réserves initiales tiennent toujours. Parce qu'il y a une toute petite parcelle de possibilité que j'ai halluciné pendant des mois après le naufrage et que l'Atlantide n'ait jamais existé, et dans ce cas le fait que vous ayez également halluciné Thanateros après m'avoir entendu en parler longuement, ou pire, le fait que vous ayez bluffé pour vous sortir d'affaires et que vous soyez tombée juste par hasard, est toujours possible. »

Arabella voulut protester, mais elle eut le pressentiment que cela ne servirait à rien, et elle se contenta de dire :

« Vous êtes en train de me demander en mariage, Monsieur Brightwell ? »

James eut un petit sourire en coin qui semblait signifier Elle a enfin compris où je voulais en venir et il répondit tout simplement :

« Oui. »

*

* * *

*

Le mariage eut lieu dans l'église paroissiale des deux jeunes époux. Certes, Albert faisait un peu grise mine à la messe, mais James ne savait pas si c'était parce qu'il n'aimait pas le voir se marier - et ainsi potentiellement laisser hériter quelqu'un d'autre d'une part du Brightwell's - ou si c'était juste sa figure normale.

Alors que les jeunes mariés posaient pour le photographe, James remarqua que le même inspecteur de police qui avait enquêté sur la chute d'Alan Brightwell depuis le toit du club et qui l'avait interrogé sur le naufrage du Langoustine des Prés IV discutait avec Albert. Les deux s'en allèrent d'un pas très rapide - trop pour être honnête - tandis que le photographe rappelait à l'ordre James parce qu'il ne le regardait plus.

James apprendrait plus tard que l'inspecteur Bishop avait besoin du double de la clef du bureau de G. Richards que possédait Albert, car on craignait le pire pour G. depuis qu'il s'y était enfermé et ne répondait plus aux appels de sa femme Jemima. Ce qu'ils y découvriraient, c'était le corps de G., une lettre confessant le meurtre d'Andrew Brightwell et quelques éclats de verre, mais c'est une autre histoire.

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