Chapitre 67 : Un papillon bleu

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Stair

- Faut qu'on fasse quelque chose.

- Ouaip, fit Lynn en réponse à Snoog. On peut pas rester inactif.

- Ni insensible, ajoutai-je.

Treddy hocha la tête. Nous étions tous les six - les Dark et les filles - attablés au Blue Limon. C'était par un après-midi gris du printemps. Depuis que nous avions entrepris le chantier de Glasgow, c'était parfois un peu difficile de nous retrouver tous ensemble. On essayait quand même de caser au moins une répétition par semaine, histoire de garder le plaisir de jouer. Nous avancions aussi dans l'écriture des premières chansons du prochain disque.

Gordon consacrait l'essentiel de son temps à deux tâches totalement différentes : trouver un guitariste rythmique pour, au minimum, accompagner le groupe lors de la prochaine tournée, voire être disponible pour enregistrer le troisième album avec nous. Et l'autre était de superviser le chantier.

Speedy était souvent avec nous. Il passait à Glasgow au moins une fois par semaine pour prendre quelques photos du chantier. Ce ne serait jamais publié sur le site, mais ça alimentait déjà ce qu'il appelait pompeusement "les archives du groupe".

Lucky, de son côté, continuait de surveiller le site internet et principalement les courriers envoyés par les fans. Il assurait un tri méticuleux. En général quand nous nous retrouvions tous, nous passions quelques minutes à dédicacer des affiches ou les photos promotionnelles du deuxième album pour qu'il les envoie ensuite aux fans. Il glissait aussi parfois quelques nouvelles pour les tenir au courant de nos projets, même si nous n'avions encore laissé filtrer aucune info concernant l'installation du studio à Glasgow.

C'était Lucky qui avait alerté Snoog. Il avait reçu un courrier très émouvant de la maman d'un adolescent d'une quinzaine d'années, atteint d'une leucémie. Malgré des soins lourds, le gamin perdait des forces et la maladie progressait. Elle faisait partie d'une association dont le but était d'aider les enfants malades à réaliser un de leurs rêves. Pour certains, c'était de voir une girafe en vrai, d'autres d'aller au bord de la mer... et pour cet adolescent, c'était de nous rencontrer.

Le visage de Snoog se ferma :

- Pas sûr qu'le môme soit encore vivant quand on fera la prochaine tournée, fit-il d'une voix sombre. Lui envoyer les albums dédicacés, photos et poster, c'est bien sympa, mais ça fait franchement cheap.

- Chuis d'accord, dis-je. On pourrait essayer de jouer pour lui.

- J'vais prendre contact avec la mère et l'asso, fit Snoog. Et s'il faut, j'descends à Bristol pour un repérage.

- Ok, fis-je en hochant la tête. Tu m'dis si tu veux qu'je vienne... C'est jouable.

Les filles n'avaient rien dit, mais elles étaient touchées, je le sentais bien.

**

Snoog ne tergiversa pas. Quelques jours plus tard, nous nous rendîmes à Bristol où vivait la famille. Aarav était ravi de nous servir de chauffeur pour une course. On avait réservé dans un hôtel là-bas, pour faire le trajet sur deux jours et avoir le temps de rencontrer la maman. Nous retrouvâmes d'abord un des responsables de l'association qui nous décrivit l'état de santé du gamin, Paul. Puis la maman nous rejoignit. Elle nous expliqua qu'il n'était pas possible de laisser son fils seul et que son père était resté auprès de lui, mais qu'il était très touché qu'on s'intéressât au cas de leur enfant.

- Sincèrement, ça me touche aussi beaucoup que vous vous soyez déplacés, nous dit-elle pour commencer. Je ne pensais pas que ce serait possible de faire quelque chose...

- On voulait vous rencontrer pour en parler, dit Snoog. Si jamais on ne peut pas jouer, on fera quand même tout pour passer un moment avec lui.

L'association n'était pas une grosse structure et possédait tout juste un petit local. Impossible d'y amener des instruments. De même que la maison de la famille n'était pas très grande et qu'à moins de vider leur garage de fond en comble pour nous laisser un peu de place, on ne pourrait pas y jouer non plus. En revanche, les grands-parents paternels vivaient dans une maison avec une grande salle à manger, pas très meublée. Nous acceptâmes d'y faire un tour.

Le papi était un peu dans l'expectative, mais la mamie avait le cœur sur la main et s'il fallait qu'elle pousse ses meubles pour accueillir quatre chevelus pour son petit-fils, elle le ferait. Snoog n'eut même pas besoin de lui faire du charme, c'était déjà dans la poche avec elle.

**

L'affaire fut rondement menée et dix jours plus tard, tout le groupe débarqua à Bristol. Nous avions voyagé léger, avec Andrew et Aarav. Les filles nous accompagnaient, ainsi que Speedy qui serait chargé de faire des photos pour le gamin. Nous étions arrivés la veille du jour convenu pour le concert et nous passâmes la matinée à installer nos instruments dans la salle à manger des grands-parents. Nous n'avions emmené que mon ampli, on pouvait y brancher la guitare de Treddy et le micro de Snoog, en plus de ma basse. Le plus long fut de monter la batterie. Lynn avait tout emmené, tout en sachant qu'il lui faudrait certainement s'adapter à la place disponible et qu'il jouerait avec une version réduite. Un peu comme à l'école de musique.

Paul ne s'attendait pas du tout à la surprise réservée. Quand il arriva chez ses grands-parents, accompagnés de ses parents et de deux membres de l'association et qu'il nous vit, il ouvrit grands les yeux, puis se mit à pleurer très fort. Nous n'en menions pas large et ses proches non plus. Je ne savais pas ce qui pouvait passer dans sa tête. Ce fut un des membres de l'association qui l'aida à se reprendre et il nous offrit alors de grands sourires en disant :

- C'est génial, mais génial ! Maman ! J'ose pas croire que les Dark Angels sont venus pour moi...

- Ben si, fit Lynn. Et d'ailleurs, on va te le prouver ! Ouvre bien grand tes oreilles !

Et il lança alors l'introduction de Lies, more Lies !

D'emblée, Paul chanta avec nous, Snoog s'approcha même à plusieurs moments pour qu'il reprenne les refrains avec lui. Nous jouâmes plusieurs chansons, de Dark City à Bad Boy, en passant par A l'aventure et No man's land. La maman nous avait confié qu'une de ses préférées était A contre-courant, on la joua donc en version longue. On termina avec Redemption.

Puis on posa pour une séance de photos avec lui. Les parents et grands-parents étaient très émus et touchés. Quant à nous, nous étions ravis de leur avoir offert un moment de bonheur et de liberté. Pendant une poignée d'heures, ils avaient oublié la maladie et l'épée de Damoclès qui pesait au-dessus d'eux.

**

- J'ai une idée.

Je tournai la tête vers Snoog. Nous étions sur le chemin du retour, après cette journée passée avec Paul et sa famille. Nous avions dormi à l'hôtel hier soir et repris la route ce matin, pour rentrer à Manchester. Aarav conduisait le minibus dans lequel nous avions tous pris place, alors qu'Andrew menait le petit camion qui transportait nos instruments et le matériel - sauf ma basse que j'avais avec moi, bien sûr.

- C'est quoi, ta dernière lubie ? demanda Lynn d'un ton malicieux.

- C'est pas une lubie, mec. J'arrête pas de penser à ce gamin.

Le visage de Lynn se referma :

- Moi aussi. Chuis content qu'on ait pu faire ça pour lui. Et pour sa famille aussi. Même si on a un peu cassé les oreilles du papi.

- Yep, dis-je simplement. Même si c'est dur, faut pas qu'on r'grette. Au contraire. On lui a offert un beau moment.

- Un vrai cadeau, tu veux dire ! glissa Ally. C'était Noël pour lui...

- Oui, vraiment, dit Jenna. Mais quelle est donc ton idée, Snoog ?

- Ah quand même... Merci Jenna, y en a au moins une qui suit...

- Cause donc ! lança Lynn en plaisantant à nouveau.

- Leur asso, là, c'est super ce qu'ils font. Mais côté moyens financiers, c'est pas bézef.

- Tu veux qu'on participe ? Que le groupe verse un petit quelque chose ? demanda Treddy qui nous avait écoutés jusque-là sans rien dire.

- Ouaip. Et même plus. En fait... J'pensais qu'on pouvait les soutenir en mettant leur logo sur le prochain disque, voire sur les billets. Et on verse quelques centimes à chaque vente. Pour nous, c'est rien. Mais pour eux, ça peut au final représenter une somme non négligeable.

- Hum... fit Lynn.

- Pourquoi pas ? dit Treddy.

- Le papillon bleu, on peut le mettre au dos de l'album, discrètement. Et sur le site, Lucky glisse une phrase ou deux à son sujet, voire seulement si des fans réagissent. L'idée, c'est pas d'être sollicités par toutes les causes perdues du monde, juste d'apporter notre soutien à celles qui nous touchent.

- Chuis d'accord avec l'idée, dis-je.

Lynn réfléchissait encore, alors que Treddy opinait. Puis mon pote dit, alors qu'un large sourire barrait son visage :

- J'pourrais faire comme Nicko McBrain qui joue avec un nounours sur sa batterie. On trouve une petite peluche de papillon bleu et j'la mets entre deux toms. Discret, mais l'clin d'œil est là.

Nous tombâmes tous d'accord sur le principe pour le logo sur le disque. Gordon n'y vit pas d'objection, quant à la maison de disques, elle dut se résoudre à fermer sa gueule sur ce point. Nous avions accepté beaucoup d'injonctions de leur part, fait des compromis. Et ils sentaient bien que le vent commençait à tourner. Sans doute avaient-ils à l'esprit de nous amadouer pour nous garder dans leur catalogue.

Et Jenna me confia quelques temps plus tard qu'elle avait passé en revue tous les magasins de jouets de Glasgow pour trouver une peluche de papillon bleu, pour finir par en dégotter une sur le site d'un fabricant de nounours français.

Ainsi Lynn put-il avoir sa mascotte : un petit papillon bleu au milieu d'anges noirs.

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