Chap 33 : Avis de tempête
La mer se fait tempétueuse. Sur le pont de bâbord à tribord, les moussaillons s’activent encore et encore sous le regard d’un capitaine amusé par les va-et-vient de ses marins. Il m’interpelle de sa voix de stentor. Le perroquet à son tour donne le ton, répétant sans cesse mon prénom. Je ne sais pas si ce doux refrain m’agace ou me laisse de glace. Le ciel se charge de nimbus. Les nuages emplissent les derniers espaces bleutés. La pluie se jette dans la mêlée, le déluge s’abat dans la foulée. Le rideau d’eau accompagne le galion. L’océan nous balance sans ménagement. Dans un élan, je tente d’attraper un cordage pour ne pas finir par dessus bord. Une main large me saisit par la manche, me sauvant du naufrage. Encore un souffle et je finissais avec les poissons. Mon rêve de marin d’eau douce serait devenu un cauchemar. Sauf si Némo, le poisson clown s’était trouvé dans les parages pour me ramener au large.
- Mon petit gars, tu es un novice, me crie l’homme à mes côtés.
- Oui, c’est ma première expédition en mer, hurlé-je à mon tour.
- Suis-moi, je t’accompagne, Jacques n’apprécie pas qu’on le fasse attendre.
- Il me semble bien l’avoir compris, je lutte depuis des minutes contre le courant pour rejoindre la poupe.
- Accroche-toi à ma ceinture.
Calé derrière mon sauveur, nous avançons sans lâcher la ligne de vie accrochée sur le bastingage. Autour de nous, la plupart des hommes d'équipage sont attachés aux mâts et chantent pour se donner du courage. Nous avons pris la mer, il y a seulement quelques heures, et elle nous démontre qu’elle est la reine. Face à sa colère, le plus valeureux des capitaines devra se montrer humble, s’il veut sortir indemne du chaos ambiant. Je me souviens de l’expérience que j’ai vécu au côté de mon ami Vince à Fort Enet une nuit de tempête. Fait étrange, la silhouette de l’homme qui me guide dans l’orage a des similitudes dans ses déplacements.
- Attends un instant, laisse-moi reprendre mes esprits, demandé-je intrigué.
- Nous devons nous hâter, le monstre approche, il sera intraitable et ne fera peu cas de nos carcasses.
- Mais si je venais à me fondre avec les éléments, je voudrais connaître le nom de l’homme qui tente de m’extraire de la folie ambiante.
- Morgan, s’époumone-t-il.
Nous avançons contre vents et marées. Je suis soulagée de savoir Victor loin de tout ce baroufle et d’un autre côté je voudrais retrouver au plus vite le confort de ses bras. Des images se bousculent dans ma tête. À l'autre bout du pont, arrimé à la barre de timon, Jacques Pearl se dresse en héros, l’homme reste droit et fier, bravant les éléments. Les éclairs transpercent le ciel de part en part. Si je pouvais me munir d’un morceau de craie, je pourrais dessiner la scène dans les moindres détails sur le ponton.
- Samy, accroche-toi ça va secouer, s'égosille Morgane.
- T'inquiète, je ne lâcherai pas la corde.
Les cordages claquent au rythme des grondement, mugissant du ciel. Les mâts oscillent tentant de maintenir l’équilibre précaire de notre coque de noix sur cet océan. L’eau rugit tel un fauve à l’affût prêt à fondre sur sa proie, tétanisée. J'essaie de réfléchir, à quoi bon ! Le vent gifle mes joues, la pluie martelant ma peau. La vague scélérate se dresse sur notre trajectoire, d'un coup soulève la proue avant qu’elle ne s’écrase d’un bloc. Nos corps retombent sur le bois dans un bruit sourd.
- Samy, tout va bien ? s'enquiert Morgane.
- On en reparlera demain au réveil, dis-je en plaisantant pour détendre l'atmosphère encore pesante.
- La nuit sera longue, annonce-t-il en me tendant la main pour m’offrir un appui.
- J’ai le sentiment d’être dans le tambour d’une machine à laver, lancé-je sans réfléchir.
- Dans quoi ?
Pas le temps de justifier ma comparaison fort peu appropriée, la mer à nouveau nous bouscule sans ménagement.
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