Chap 35 : À boire tavernier
Déambuler dans les ruelles de l’île de Noirmoutier me fait frissonner comme un sentiment de déjà vu. Le plus surprenant, je me sens à l’aise. Les étals du marché sont garnis de légumes ou de la pêche du matin, les odeurs sont similaires à celles de ouvertes il y a quelques jours, quelques heures. Dans une ambiance similaire, j’évolue sur les pavés d'un autre temps. Si mon rêve me mène jusqu'à Victor, je serai satisfait. Le perroquet prend ses aises, posé sur mon épaule. D’ailleurs où se cache Ulysse ?
- Viens Samy, après la tempête un petit verre de rhum pour nous requinquer serait le bienvenu.
- Tu crois que le capitaine appréciera que nous empruntions les chemins de traverse.
- Écoute, il n'est pas dans les parages, nous l’avons bien mérité.
- Bon si tu y tiens, après tout je te dois bien ça, tu m’as sauvé deux fois la vie.
Un doute m’envahit. Avec quelle monnaie vais-je pouvoir payer ? Je fouille dans les poches de ma jupe culotte écru qui au demeurant est fort confortable. Par magie, je découvre une pistole. Décidément, tous ses petits détails confirment que je suis dans un monde parallèle sinon comment aurais-je pu entrer en possession de cet argent ? Un homme me bouscule au moment où je pousse la porte de la taverne , il semble pressé de quitter les lieux. Des cris aiguës accompagnent sa sortie. Un seau d'eau glacée termine sur ma tête. Mon compagnon aux plumes multicolores a senti venir le danger. Son instinct l'a conduit sur le tricorne de Morgan, tout aussi surpris que hilare quand la donzelle vient à ma rencontre pour s’excuser et m'essuyer avec ses jupons.
- Pardon, vous étiez sur la trajectoire de mon courroux. Venez vous asseoir proche de la cheminée, je vais vous chercher un broc, la première tournée est pour moi.
- Madame, ne vous inquiétez pas, ce n'est que de l'eau, dis-je en essayant de m’extraire de ces bras.
- Voyons, ne bougez pas, je ne peux pas vous sécher correctement, vous allez attraper la mort.
Morgan, assis à la table proche de l'âtre, se tord de rire, s’il continue je lui réserve le même sort. Après un bon quart d’heure, je peux enfin le rejoindre pour reprendre un minimum mes esprits.
- Franchement, j’ai pensé qu’elle allait te convier dans sa couche.
- Elle aurait été déçue, échappé-je.
- Ah bon, me taquine-t-il, elle n’est point à ton goût.
- Mon coeur appartient à un papillon,
- Comment ça ? dit-il surpris.
- Laisse tomber, allez trinquons, tenté-je pour éviter de justifier mes propos.
Le terrain est glissant. Je ne suis pas convaincu que lui avoué qu’un homme partage mes nuits serait la meilleure idée du moment.
- Alors, il va falloir expliquer à notre hôtesse que tu ne finiras pas la soirée dans ses draps parce qu’elle te dévore des yeux.
- Je ne voudrais pas créer un esclandre. Finissons notre choppe et trouvons où se trouve le bouquiniste, proposé-je en avalant d'une traite le liquide manquant de m'étouffer.
Nous prenons congé après avoir pris soin de venir saluer la serveuse. La gente dame tente de me retenir en attrapant ma main. Dans son regard, point de tendres oeillades mais un air bienveillant accompagne son étreinte. Elle me murmure à l’oreille dans un soupir :
- Soyez prudent jeune homme, le danger rôde à chaque coin de rue.
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