Aujourd'hui, je souris
Aujourd'hui, maman est morte.
Aujourd'hui, je souris. Vous devez penser que je suis monstrueuse, pas vrai ? Qui se réjouit de la mort de sa mère, hormis les monstres, ceux qui sont dénués de sentiments. Peut-être même songez-vous que je l'ai tuée ? J'aurais bien aimé, mais non.
Elle est morte toute seule, dans sa baignoire, une cigarette au coin des lèvres, un verre de Martini entre les mains. Cinq bougies parfumées à la vanille, à la cannelle, à la rose, au jasmin, au chocolat sont allumées et disposées partout dans la salle de bain, pour cacher l'odeur du tabac. Elle m'avait dit qu'elle ne fumait plus. Quelle menteuse !
Aujourd'hui, maman est morte.
Aujourd'hui, je souris. Je suis monstrueuse. C'est comme ça depuis toujours. Ça a commencé quand j'ai tué un merle, dans le jardin. J'avais quatre ans. Il a été ma première victime. Ses plumes étaient douces. Il s'est débattu comme un forcené, poussé par la folie de vivre. J'ai juste resserré mes doigts sur sa tête, jusqu'à ce qu'il ne bouge plus. À quatre ans, on ne se rend pas forcément compte de ce qu'on fait. Il y a des enfants qui tuent des insectes en voulant les attraper. Moi, je l'ai fait parce que je voulais savoir ce que ça faisait, de tuer. C'était bien.
Depuis, j'ai souvent pensé à tuer maman. Elle était pénible, de toute façon. Toujours, elle embrassait mon front du bout des lèvres avant que j'aille à l'école. Toujours, elle refermait mon manteau ou mon gilet pour couvrir mon cou. Elle m'énervait. Tant mieux.
Aujourd'hui, maman est morte.
Aujourd'hui, je souris. Je devrais peut-être essayer de pleurer. Les policiers me trouveront bizarre si je les accueille chaleureusement, alors que maman est en train de se décomposer dans la baignoire. Enfin, se décomposer. Ça ne fait qu'une heure qu'elle est morte. J'ai pris mon temps avant d'appeler les secours, pour apprécier la beauté de la scène et l'ironie de la situation.
J'ai toujours rêvé de la tuer et voilà qu'elle meurt toute seule dans son bain. Une énième provocation. Elle a dû le faire exprès, pour me protéger encore. Parce que, maman, elle sait que j'aime tuer des êtres vivants. Un jour elle a crié qu'elle allait se suicider pour que je ne devienne pas une criminelle en lui ôtant la vie, parce qu'elle ne voulait pas que je finisse en prison. Moi, je m'en moque, d'aller en prison. De toute façon, je me moque de tout. Je n'ai jamais compris le monde.
Aujourd'hui, maman est morte.
Aujourd'hui, je souris. Devant le miroir, j'essaie plusieurs mines tristes. La lèvre inférieure en avant. Non, ça fait trop enfantin. C'est trop exagéré, ils n'y croiront pas une seconde. Je fais la moue, je mets du sérum physiologique dans mes yeux. On dirait presque que j'ai pleuré. Ça fera l'affaire.
La sonnette retentit. Je fais exprès de faire plein de bruit et de prendre mon temps pour aller leur ouvrir, pour qu'ils croient je suis mal. S'ils savaient qu'au contraire, je jubile. Maman est morte, elle ne me surveillera plus. Maintenant, je suis libre. Et je sais déjà à quoi je vais employer ma liberté, une fois que les policiers auront fini de m'interroger. Il est temps pour moi de goûter la satisfaction du meurtre accompli avec sérieux, précision et passion. Camille, la voisine, sera ma première victime humaine.
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