Chapitre 7
Claire a longtemps négocié avec moi pour que j’ouvre la valise avec elle. J’ai refusé, préférant le faire chez moi, avec Victoria. Au cas où. Donc c’est après maintes supplications, des arguments (nuls) à répétition, des larmes de crocodile (Claire, hein) que j’ai décidé à contre-cœur de rester à la maison avec elle pour l’ouvrir.
En même temps que je dépose la valise sur le lit de ma mère, Claire me détaille :
— Tu vas l’ouvrir ? elle demande, d’un ton grave.
— Mais c’est qu’une valise Claire, hein.
Elle ricane.
— J’ai l’impression d’être dans un thriller !
En me baissant vers elle pour déverrouiller son cadenas, je lâche un petit rire.
— La réalité est plus morose, crois-moi sur parole.
Mais le cadenas reste bloqué. Agacé, je force dessus, en espérant qu’il soit trop vieux pour tenir, en vain. Il y a un code. Je soupire, tente quelques combinaisons que ma mère aurait pu imaginer mais rien ne fonctionne. Sa date de naissance, la mienne, celle de mon père, de Claire, son mariage, rien. Et tout bien réfléchi, peut-être l’a-t-elle également oublié.
— J’ai une idée ! s’écrit Claire.
Je la laisse s’exprimer mais elle se résigne.
— Non, rien, en fait.
— Merci de ton intervention, Claire.
Je descends rejoindre la cuisine sous le regard interrogateur et les questions de ma cousine, mais reviens aussi vite que l’éclair, armé d’un couteau et d’un ciseau. Au travail.
Heureusement, Claire ne pose aucun véto sur ce que je m’apprête à faire et éventre avec application la pauvre petite valise de mon enfance, pour ne pas déchirer ou abîmer quoi que ce soit à l’intérieur.
Le bagage ouvert, on tombe sur des plusieurs enveloppes, se superposant très proprement.
— C’est là que ta mère range ses photos ? Elle m’en a jamais parlé…
— Ouais. Depuis toujours.
Sur les enveloppes, sont inscrites au feutre indélébile des années. J’en prends une au hasard – bon, d’accord, celle de mon année de naissance, afin de l’étudier. Claire aussi se sert. Au loin, je constate qu’elle a pris une qui date de 91. L’année de mes quatre ans.
A l’intérieur, je tombe sur diverses photos de nature, de villes, différents lieux exotiques et étrangers. A un moment, ma mère a été photographe professionnelle, quand elle a quitté son confortable poste de fonctionnaire. Au début de sa carrière, elle a capturé les moments inoubliables d’une famille, comme un mariage, des anniversaire, une naissance, un baptême, etc.
Par la suite, comme elle est parvenue à se faire un nom, elle s’est mise à travailler à son compte, proposant ses services, dans le monde entier, pour sa propre entreprise.
Ce qui fait véritablement vibrer ma mère c’est d’admirer la nature. Elle adore prendre en photo la faune et la flore, où qu’elle soit. Proposer aux autres de les regarder sous un œil neuf. Montrer les choses d’un angle différent. Le pays où elle s’est le plus rendue pour travailler a été le Japon. Elle y a même vécu un temps et y a rencontré mon père, un expatrié comme elle, bossant comme assistant de labo, selon ses dires, puis sont rentrés ensemble pour se marier.
Ce n’est que sept ans plus tôt qu’elle a pris sa retraite. Malgré son âge, continuer à se déplacer dans le monde entier ne l’a nullement dérangée. Au contraire. Du moins, jusqu’à ce que sa maladie ne se déclare…
Bref, la photographie étant un des piliers de sa vie, elle a toujours mis à point d’honneur à capturer les moments incroyables de notre vie, comme les plus communs, pour qu’ils restent à jamais gravés en nous et dans le cœur de nos enfants. Quelle ironie quand on y songe.
— Regarde comme on était choux ! s’écrit-elle, en me montrant une photo.
Je n’ai aucun mal à nous reconnaître. Mais quand même, j’étais si joufflu avant.. ? Claire, qui a déjà douze ans sur la photo me prend joyeusement dans ses bras, la bouche grande ouverte, les yeux pleins d’étoiles, sous le regard inquisiteur de ma mère. Ce que je comprends totalement d’ailleurs… De ce qu’on m’a raconté, Claire m’a un jour pris dans ses bras, sans l’autorisation des adultes et m’a fait tomber par terre, tête la première. Heureusement, plus de peur que de mal.
Je lâche un petit rire.
Même trente ans plus tard, Claire n’a pas changé d’un poil. C’est toujours la même : un petit faciès tout joyeux, encadrés par ses boucles rousses, aux joues très rosées et dont lèvres fines et larges sont toujours prêtes à rigoler.
— On a toujours l’air aussi cons, ouais, je pouffe.
— Roh l’autre ! Toujours dans une mauvaise ambiance !
De mon côté, je ne me laisse pas attendrir par nos vieilles photos d’enfance et continue à éplucher les autres, avec sérieux et attention, dans l’ordre.
Je tombe enfin sur les photos de 1997, l’année de mon CM1. J’ai déjà étudié les précédentes mais aucune trace de Célia Terrier. J’en arrive à un point où je doute sérieusement de la véracité de cette histoire. Peut-être que son père est juste un pauvre type endeuillé, essayant de contrer son manque en faisant croire à tout le monde que sa fille est encore vivante.
Un petit détail me surprend brièvement : contrairement aux autres années, la pochette de 97 est particulièrement fine et semble ne réunir qu’une dizaine de photos.
Heureusement, l’école donne les noms des élèves de la classe prise en photo, sur le côté. Jusque-là, aucune trace de la jeune fille. Mais lorsque j’étudie la liste des écoliers de cette année-là, je tombe enfin sur Célia ! Je prends le temps de relire une bonne douzaine de fois son prénom. Mais oui c’est bien elle !
« Célia Terrier »
Je peine tellement à croire en cette trouvaille que je ferme les yeux en inspirant profondément.
Mais c’est toujours la même chose : Célia Terrier.
Quand je réalise que j’ai passé une première étape de l’enquête, je comprends également que l'existence de Célia est bel et bien vérifiée. Mon rythme cardiaque accélère. Purée… au début, excité comme un gosse, je suis sur le point d’envoyer mes trouvailles à Victoria, mais me souviens que cette fouine de Claire ne va pas se certainement pas se gêner de guetter avec qui j’échange. Remettons cela à plus tard. De toute façon, encore fallait-il retrouver Célia, dans cette mélasse d’enfant.
Claire ne me calcule même pas, toujours en train d’admirer chaque photo une à une, laissant s’échapper des exclamations diverses et variées, à tout bout de champ. La pression étant retombée, je me permets de me moquer d’elle en rangeant le bordel que j’ai mis.
— Non ! non ! Laisse, je veux TOUTES les voir !!
— T’es sûre ?
J’ose un regard à l’intérieur du bagage.
— Il y en a vraiment beaucoup…
— C’est pas un problème ! Je rangerai tout.
— Désolé encore pour la valise.. euh… j’irai en acheter une autre et j’essaye de t’amener ça demain. D’ailleurs, je voudrais la récupérer. Au cas où.
— Je dois venir en aide à une collègue demain, elle est tombée sur un patient très tenace, m’informe-t-elle, les yeux encore collés sur les photos, mais te fatigue pas, je le ferai. T’es en vacances, toi. Je passerai pour te la remettre.
Ah comme c’est étrange, je l’oublie souvent, ça !
Discrètement, j’ouvre mon sac et y glisse sans me faire voir par Claire la pochette de l’année scolaire. Il y a également ma photo individuelle ainsi que les photos souvenirs de notre classe mais je préfère faire le tri chez moi, tranquillement. J’ai rapidement inspecté celle du CM2 mais aucune trace de Célia. Puis au collège, j’ai quitté la Sainte Trinité pour un collège public.
Non, Romi, t’es en vacances ! Envoie ça a Victoria pour qu’elle se débrouille avec ça.
Si seulement, je m’écoutais davantage…
Mais ma conscience ne me lâchera pas. Si j’envoie ces photos à Victoria, j’aurais l’impression de l’envoyer à l’abattoir.
— Bon, j’y vais moi, hein !
— Déjà ! beugle-t-elle. Mais on n'a rien fait ! Reste au moins pour le goûter !
Rappel : Claire a quarante-trois ans. Enfin, qui suis-je pour la juger ? Je prends aussi le goûter, à mon âge. C’est très important le goûter.
— Désolé, mais j’ai affaire.
— C’est pour ça que t’as piqué une des photos ?
Je lève les sourcils, en tentant de paraître le plus innocent possible.
— Hein ?
— Eh ! J’ai eu ton âge ! Me prends pas pour une demeurée, hein. C’est pour ça que t’es venu ? C’est quoi, c’est pour une de tes affaires ? T'es pas en vacances ?
— Si… mais j’aide quelqu’un.
Un sourire plus que révélateur se forme sur ses lèvres.
— Victoria ??
— Range-moi tes dents.
Elle explose de rire en me donnant un coup à l’épaule.
Je n’ai jamais parlé du virage qu’a pris ma relation avec Victoria, quelques mois plus tôt et je m’en félicite, préférant ne pas imaginer comment elle me vannerait avec ça. Bien évidemment, elle s’en doute et Claire est suffisamment cinglée pour s’imaginer toute seule des scénarios pas possibles. Franchement, je sais pas ce qu’elle va encore inventer.
— Non, pour un collègue. Il en a besoin, parce que ça concerne… la fermeture de l’école. Je savais même pas qu'elle était fermée d'ailleurs.
A cet instant, son visage blêmit. Qu’est-ce que j’ai dit encore ?
— Ça va ? je m’enquis.
— Oui, oui ! juste, c’est… original. Et il a trouvé quoi… au juste ?
— Secret pro, je décrète.
— Eh !! Mais t’es pas marrant ! Aller, dit ! Sans déc’, à qui veux-tu que je le raconte ??
— C’est… c’est l’histoire d’une fille qui était en primaire avec moi. Célia Terrier, elle s’appelle.
— Tu as dit Célia Terrier ? elle répète. Attends, c’est quoi cette histoire ?
— Une disparition, apparemment. Tu la connaissais ?
Comme elle ne répond pas, j’insiste. Claire panique : son expression l’a trahie toute seule. Pourquoi suis-je le seul à n’être au courant de rien sur cette nana, exactement ? Est-ce que Claire me cache quelque chose ?
— Tu ne t’en souviens vraiment pas ? elle demande, avec précaution.
— Non… je devrais ?
— Elle vivait dans le même quartier que nous. Elle venait de déménager. Et... sa famille était complètement dysfonctionnelle, ses deux parents étaient juste… dérangés. Et elle a été portée disparue pendant deux ans. Un type l’a enfermée dans la chapelle de l’école. C’était un des profs de l’école, d’ailleurs. Un gars qui a affirmé que Célia était sa fille biologique, qu’on lui a arraché à la naissance ou je ne sais quelle connerie. Quand Célia s’est échappée, personne n’a cru son histoire, sauf les keufs, et elle s’est suicidée le jour même de sa réapparition en sautant du haut d’un des bâtiments de l’école. Quant au mec… cette pourriture doit encore traîner dans la nature. A l’époque, personne n’en avait vraiment parlé… sa mère et son père… enfin, son beau-père, qui sait, on saura jamais, n’ont jamais alerté sa disparition. Tout le monde détestait sa famille, c’était de ces cassos… en plus avec le kidnappeur qu’a disparu après sa mort. Bref, c’est une sale histoire. Si j’étais toi, je m’en écarterai… personne ne sait ce qu’il a fait à Célia et… j’aimerai mieux que tu ne t’engage pas sur cette voie.
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