Sise au numéro 9, la pension de famille borde la route du temple de Saint-Sauvant. Quelques dizaines de mètres plus loin se trouve l'aire de stationnement délimitée par une série de platanes. Il ne doit plus avoir mal aux dents, celui qui les a plantés. Taillés en têtard, ils revêtent la triste mine des marionnettes oubliées, accrochées à l'arrière de la scène d'un théâtre imaginaire. Candélabres éteints ou marottes immobiles, la compagnie des muets veille au silence de la place.

Comme indiqué sur le plan joint à ta dernière lettre, un temple trône effectivement au centre. Ce n'est ni plus ni moins qu'une église sans clocher. Aucun vitrail, pas de croix ou quelqu'autre signe distinctif qui révélerait la vocation de ce lieu de culte. Un hangar en pierre de taille dont la seule façade, quasi indistincte à cette heure-ci, est percée de quatre grandes baies vitrées en demi-cintre possédant au centre une haute porte elle-même surmontée d'un demi-œil de bœuf. C'est la seule vision que je peux avoir du bâtiment éclairé par mes phares.

Sitôt la voiture arrêtée, le brouillard envahit la nuit déjà bien engagée en cette fin décembre. J'imagine que je suis en avance. Ici pas d'horloge. L'autoradio que je ne possède pas aurait pu, lui aussi, m'indiquer l'heure. Peu importe. Me voilà rendu à destination après les quatre cent soixante kilomètres parcourus d'une seule traite. Ma compagne de route trépigne d'impatience. La connaissant par cœur, je n'ai pas intérêt à ce qu'elle attende trop, au risque de devoir nettoyer son habitacle.

Au sortir de la 4L, je suis saisi par un vent glacial. Gipsy saute du hayon avec l'impatience que je lui devine. Le givre blanchit le sable de la place, l'asphalte et la grille délimitant la propriété de l'autre côté de la route. Que voilà un bâtiment bien austère ! Écrite en caractères blancs sur fond noir, l'enseigne du fronton indique le nom de cette maison :

LE FOYER

Contre la balustrade, une pancarte peinte, elle aussi en forme de slogan ou phrase d'évangile, longe l'immense balcon. Elle annonce aux passants un précepte :

QUE TON RÈGNE VIENNE

suivi d'un autre, quelques mètres plus loin, tout aussi célèbre :

QUE TA VOLONTÉ SOIT FAITE.

Heureusement, tu ne loges pas là-dedans, j'aurais eu du mal avec ce genre de prières à scander en chœur parmi d'autres adeptes. Non, la pension de famille se trouve tout près du temple derrière un portail peint en bleu ciel en accord avec les volets de cette maison cossue.

Nous poursuivons notre découverte du site à petits pas pour moi, à grandes foulées pour Gipsy. Pendant une bonne demi-lieue, nous parcourons la route déserte. Comme elle, je pisse dans l'herbe blanche. Nous retournons sur nos traces de pas qu'aucune voiture n'aura effacées.

Sur ta dernière lettre, tu me priais de venir passer le réveillon à Saint-Sauvant. J'adorais l'idée.