À croire que Josette cultive la gaîté dans son jardin secret. Elle nous dévoile tout, de la naissance jusqu'à la mort d'un tel et d'un autre tel. Josette me soûle avec ses souvenirs qui se déversent sur le chemin de table comme autant de tombereaux de betteraves à distribuer dans les crèches des animaux. Ça devenait lourd à porter pour elle toute seule. À ce stade, la notion de partage passe par la phase gavage. Je vous donne tout en vrac, prenez ce qui vous intéresse. Tout le reste partira à la poubelle. C'est pénible, les vieux.

Et dire qu'à son âge, je serai vieux croûton tout pareil.

Chacune de ses escapades historiques est arrosée de vins. Blanc, rosé, rouge ou pétillant, je ne sais plus trop, j'ai la tête ailleurs. Celle de Patricia reste appuyée contre mon épaule. Elle a réussi à s'échapper de cette pièce.

Adorable Josette. Sur la nappe brodée main – cadeau de mariage qu'elle sort uniquement pour les grandes occasions – trônent les reliefs du repas. Des petits ramequins émergent les restes de gelée des aspics. Les coquilles des cagouilles baignent dans le beurre persillé. À peine entamés, nos filets de canards sur lit de gratin de pomme de terre à la crème attendront le repas du lendemain. L'euphorie gagne la maîtresse de maison lorsqu'elle nous apporte son omelette norvégienne. C'est peut-être un vacherin. Quoi qu'il en soit, je ne capte plus rien. Tout ce dont je me souviens, c'est l'alcool versé qui flambe sur la glace. C'est beau.

— Tu nous soûles Josette, mais je t'aime bien. De toute ma vie, je n'ai jamais mangé aussi bien pour un réveillon. S'il m'était donné le pouvoir de t'attribuer une quelconque note pour cette soirée, tu n'en recevrais pas de ma part, Josette. Non, pas de note. Tu es hors concours.

Elle balaye d'un revers de manche un peu des miettes de son émotion qui tentent de souiller son chemisier.

Patricia respire fort. Le pousse dans le café me déclenche une redescente sur Terre.

— Garde-la, me dit-elle en chuchotant. Garde-la bien auprès de toi c'est une perle cette fille-là je ne te connais pas mais elle m'a dit que du bien de toi vous allez bien ensemble je suis heureuse de vous avoir sous mon toit.

— Je suis content de te connaître Josette.

Le carillon oublié se met à manifester la ponctualité pour laquelle il est conçu. Douze coups sont égrenés recouvrant la pièce d'un silence désordonné, voire absurde.

Comme je commence à empiler la vaisselle sur le bord de la table, elle m'invective.

— Pas question laisse-moi tout ça en paix allez vous coucher regarde-la elle est cuite la petite aide-moi on va la porter jusque dans sa chambre.

Et c'est ainsi équipé d'une mamie joyeuse et d'une chevrière titubante que j'atteins la chambre à l'étage. Josette s'empresse de me montrer le seau d'aisance rangé dans le petit coin sombre du couloir.

— On partage le même j'en ai pas deux.

Avant de refermer la porte, j'écoute une dernière recommandation.

— Je te remplis le broc d'eau chaude tu ferais bien de la nettoyer elle sent le fauve.

À peine ai-je le temps de déposer mon colis endormi sur le lit que Josette frappe déjà contre l'huisserie dépose son broc fumant sur la commode à côté de la bassine en fer émaillé de la même couleur blanche ponctuée de fleurettes bleues lavande provenant de sa grand-mère reçue en dot et que même si elle est ébréchée juste un petit peu là sur le dessus elle ne fuit pas tu vas voir c'est mieux que l'eau courante qu'on installe à présent dans les maisons neuves... Ouf. Elle est essoufflée.

— Je vais installer le petit Jésus dans la crèche c'est la bonne heure.

Elle me lance un clin d’œil que j'attrape au passage sans comprendre tout de suite le sous-entendu.