Douce France

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Mars 2018

Assis dans l’avion, Caleb fermait les yeux. Il redoutait toujours ces heures passées dans le ciel, au-dessus du vide, dans l'étroitesse d'une cabine pleine à craquer. Les nausées du décollage et les oreilles bouchées n’étaient pas des sensations qui lui manquaient sur la terre ferme. Il valait mieux pour lui tomber dans les bras de Morphée.

  • Mesdames et messieurs, nous sommes arrivés à Paris, aéroport Charles de Gaulle. Il est midi et demie, heure locale, et la température extérieure est de 19°C. Nous vous prions de rester assis jusqu’à….

La voix suave du chef de cabine sorti Caleb de sa torpeur. Il n’avait dormi que d’un œil, écrasé entre le hublot et son voisin qui débordait exagérément de son siège. Il avait l’habitude de ce piètre sommeil qui le laissait veule et vaseux, depuis qu’elle était partie de l’appartement ; sans un mot, sans un bruit, sans laisser d’adresse. Il savait que, d’une certaine façon, c’était sa faute. Il lui avait d’abord laissé le temps de se calmer, de digérer l’affaire. Les unes après les autres, les semaines se succédaient, et elle ne revenait pas. Et puis on lui avait offert un poste, chez lui, aux Etats-Unis et il avait dû quitter l’Ecosse.

La vie avait suivi son cours, il ne concevait pas d’être de ces personnes que l’amour ronge. Après quelques mois, il réalisait qu’il était bel et bien de ces gens-là et que chaque jour qui passait était taché par son absence. Fatigué d’un quotidien empreint de la morosité d’une vie sans Ella, il avait décidé d’aller la retrouver, chez sa mère, dont il ne disposait que de l’adresse. Il l’avait retrouvée dans un petit carton qu’il avait rempli des affaires oubliées d'Ella. Dans l’un des livres qui trainait au fond de cette boite, une petite enveloppe glissée entre deux feuillets faisait office de marque page de fortune. Sa mère, l’expéditrice, avait pris soin de noter son adresse au dos. C’est là qu’il se rendait aujourd’hui. Il avait quitté son travail et laissé derrière lui sa carrière d’architecte naissante, pour lui demander pardon. De Paris, il prendrait le train jusqu’à Rennes, et enfin il la retrouverait.

Un concert de klaxons retentissait devant le terminal de l’aéroport, la panique régnait au dépose-minute et des employés engoncés dans leurs vestons officiels tentaient de faire revenir l’ordre tant bien que mal. Au pied de la navette pour Montparnasse les gens se bousculaient, trop pressés de rejoindre le centre de la capitale pour se montrer encore courtois. Caleb céda sa place dans la cohue pour attendre la prochaine navette, qu’il espérait moins chaotique. Il alluma une première cigarette, adossé contre les grandes vitres du bâtiment. De l’autre côté résonnait le bourdonnement des voix et des chariots qui s’entrechoquaient contre le sol carrelé.

A l’image de l’aéroport, la gare était elle aussi une véritable fourmilière, noire de monde. Les gens allaient et venaient, par vagues déferlantes à l’ouverture d’une porte de métro. Le hall engloutissait plus qu’il ne recrachait, gourmand de provinciaux impatients et de touristes négociant avec les dames pipi. Derrière leurs kioskes, les commerçants épiaient le ballet désordonné des techniciens de surfaces et la marche saccadée des contrôleurs jusqu’à leurs trains.

Caleb étudiait cet écosystème sur mesure, à l’échelle de la gare, et réglé comme une horloge. Occasionnellement, pour ne pas dire assez souvent, les rouages s’emmêlaient et l’équilibre fragile s’étiolait sur les rails. Mais aujourd’hui, c’était sans accrocs que les engrenages s’épousaient avec fluidité. Sans trop s’attarder, Caleb acheta son billet au guichetier, petit homme heureux de cet échange humain, rare à l’ère numérique. Puis il chercha son train sur le tableau d’affichage et joua des coudes jusqu’au quai.

A bord du TGV, Caleb rêvassait de ses retrouvailles avec elle. Il était prêt à se mettre à ses pieds, à s’excuser pour tout et même pour rien. Sa seule hâte était de la prendre dans ses bras de nouveau et que tout s’apaise. Par la fenêtre les paysages ruraux s’évaporaient sans qu’il y prête la moindre attention. Le seul aspect de la France qui l’intéressait, c’était Ella. Peut-être que lorsqu’il l’aurait retrouvé, il aurait goût à regarder autour de lui, parce qu’elle serait là pour lui montrer ces merveilles à travers son regard. En attendant, il aurait pu traverser l’enfer que ça lui aurait été égal de jeter un coup d’œil par la fenêtre.

Le train le déposa finalement au cœur de la capitale Bretonne. La nuit tombait alors qu’il se perdait dans les rues de la cité. À nouveau, son esprit était bien trop occupé pour se soucier des magnifiques maisons à colombage qui se dressaient le long des rues, ou pour prendre le temps de flâner le long des canaux. Serrée dans son poing, l’adresse qu’il avait gribouillé sur une feuille de papier et quelques directions.

C’est sur les coups de huit heures qu’il parvint au seuil du domicile familial. Equilibrée sur trois étages, la petite maison blanche tirait insouciamment sur le gris. Sous les fenêtres, des jardinières vomissaient de lourdes gerbes de fleurs multicolores. L’herbe sauvage s’était frayé un chemin dans les imperfections du dallage qui menait à la porte d’entrée. Un cadre bien fantasque en désaccord avec le voisinage si soigné.

Il fit les cent pas sur le pas de la porte. Les mots s’étaient mélangés dans sa tête, et toutes les belles phrases qu’il avait préparées s’étaient évaporées. Il tenta tant bien que mal de recomposer quelques tirades cohérentes avant de laisser son index caresser la sonnette. Une silhouette effacée émergea dans l’entrebâillement de la porte.

  • Bonjour, madame. J’aimerais parler à Ella, s’il vous plait.

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