Untitled 2
Caleb claqua la porte de la caravane derrière lui et glissa les clés sous la porte du diner comme indiqué par Rosa. La jeune femme n’était pas de service ce matin-là. Le parking était encore désert tandis que la montre de Caleb indiquait déjà sept heures. Bientôt, les premiers clients arriveraient prendre leur petit déjeuner dans la convivialité du petit restaurant.
La pluie avait cessé dans la nuit et la terre saturée séchait au soleil ; soleil qui doucement revenait dans le cadre. La singularité de ce genre de climat ne l’en rendait que plus délectable et les rayons courtisant le paysage lui firent la promesse d’une journée sans surprise.
Caleb reprit la route, laissant derrière lui cet endroit singulièrement chaleureux. Il était tôt et les voitures se faisaient encore rare. Il avait pour seuls compagnons de routes les grands pins qui bordaient la route et dont la cime effleurait la voute du ciel. Ces grands espaces lui avaient manqué lorsqu’il était au Royaume-Uni. Les rues, les trottoirs, les magasins, tout y était si petit. Pendant un temps, ça avait fait son charme, il avait apprécié ce souci du détail et de la minutie qu’on ne retrouvait que trop peu par chez lui. Mais ces grands espaces qui laissent le champ libre aux rêves et à l’ambition avaient fini par le rappeler.
La matinée fut difficile. Caleb avait trompé l’ennui à coup de brioche et de gorgées d’eau. Il n’en avait tiré que des aller-retours dans la forêt pour se soulager ainsi l’épuisement de ses ressources sur les coups de midi. Dans sa poche arrière, son paquet de tabac fondait comme neige au soleil, chaque kilomètre dévorant sa part de nicotine. Il avait cessé de prêter attention à l’indifférence des automobilistes et se contentait d’avancer, simplement sur ses deux pieds.
Caleb renoua avec la civilisation en fin d’après-midi. Il flâna un moment dans les rues de la petite ville de campagne, léchant les rares vitrines pour se divertir. Ses pas le conduisirent vers un hôtel à la devanture étincelante. Le fronton de l’établissement chatoyait la peinture fraiche ; la typographie moderne et aguicheuse appâtait la clientèle. Cependant, en passant le pas de la porte, le client ne pouvait s’empêcher de se sentir escroqué. La façade trompeuse déguisait un hall terne et éculé. Quelques fauteuils fatigués accueillaient les visiteurs qui n’osaient plus s’asseoir sur le cuir élimé. Sur les murs, de tristes tableaux maussades tentaient de voler la vedette aux fleurs fanées siégeant sur le comptoir.
Il prit une chambre pour la nuit. La réceptionniste, petite dame affublée d’un uniforme dépareillé, examina Caleb de la tête aux pieds. Bien qu’il eût changé ses vêtements, il était toujours vêtu de poussière. Elle fronça un sourcil qu’elle défroissa aussitôt par soucis de professionnalisme.
- Si vous voulez, il y a une machine à laver en libre-service là-bas, dit-elle en pointant une petite porte bleue. Elle marche au liquide, vous avez de la monnaie ?
- Oui, j’ai ce qu’il faut, merci. Je vous dois combien pour la nuit ?
- Vous paierez demain matin, monsieur. Prendrez-vous le petit-déjeuner ?
- Pourquoi pas.
L’hôtesse d’accueil lui tendit une petite clé dorée hameçonnant, par le biais d’une chainette, un poisson en caoutchouc. Caleb la remercia et pris congé vers sa chambre. Il trébucha sur la moquette mal posée des escaliers et manqua de se rouvrir le crâne. Il se rattrapa à la rambarde, moite, qu’il lâcha immédiatement. Faiblement éclairées, les marches le conduisirent devant un éventail de portes. Il déchiffra l’inscription usée sur le porte-clé : Room 2.
La chambre était étonnamment plus chaleureuse que le reste du bâtiment. Au milieu trônait un grand lit double, soigneusement bordé par un employé méticuleux. Un large miroir suspendu au-dessus de la couche reflétait le soleil et baignait la chambre de lumière. Le reste de la pièce demeurait simple mais efficace : un secrétaire en noyer, une table de chevet, ainsi qu’un fauteuil rembourré. Caleb jeta son sac à dos sur le lit. Il s’assit et prit le temps de contempler les élégantes moulures lézardant le plafond. Il avait envie d’une cigarette.
Les bras chargés de linge sale, Caleb descendit à la buanderie. Il enfourna ses frusques terreuses dans le tambour de la machine. Le large cylindre avala également les chaussures du jeune homme, délicieusement boueuses. Puis l’engin réclama son dû, quelques dollars seulement. Caleb s’acquitta de sa dette et dans un grommellement, l’appareil se mit en marche. Pendant un instant, il regarda ses vêtements tournoyer bruyamment dans le ventre de la bête.
Le soleil partait caresser un autre coin du monde tandis que Caleb sortait griller sa cigarette sur le trottoir. La fumée qui s’échappait de sa tige virevoltait dans les airs pour s’éparpiller dans l’oubli. La ville était plutôt calme à cette heure et les rues n’étaient plus côtoyées que par quelques couples, bras dessus bras dessous, riant aux éclats.
Ce fut un autre genre de couple qui s’approcha de Caleb.
- Excuse-moi, t’aurais pas une clope à dépanner, frangin ? s’enquit l’un des deux.
- Oui, bien sûr.
L’opportuniste roula sa cigarette avant de rendre son paquet à Caleb. Il tourna les talons pour rejoindre son compère puis renonça et revint sur ses pas. Ses yeux accrochèrent les chaussettes souillées emmaillotant les pieds de Caleb.
- Où est-ce qu’elles sont, tes godasses ?
- A la machine.
L’inconnu se retourna et regarda son acolyte, amusé par ce va-nu-pieds proprement pieds-nus. Assortis, les deux hommes faisaient la paire. Les nattes tressées dans leurs cheveux étaient retenues en arrière par des bandeaux tissés aux couleurs fanées de l’arc en ciel.
- Moi c’est Marcel, se présenta le plus grand. Et lui, là, c’est Estéban.
Estéban, le plus petit mais aussi le plus trapu des deux, s’avança. De lourds sacs en plastiques lui lacéraient les phalanges.
- Toi aussi tu restes dans ce trou ce soir ? demanda Estéban, pointant l’hôtel du menton.
Caleb acquiesça, tirant sur la cigarette qui, lentement, se consumait prisonnière de ses lèvres sèches.
- Mange avec nous, proposa Marcel. On a pris Thaï, ça te tente ?
Annotations