Au mauvais endroit
Je me réveille, nu et attaché à un poteau dans une grange insalubre, les mains dans le dos, par une corde qui me brûle les poignets. Les échardes entre mes omoplates me font presque oublier la douleur que j'ai au visage. Du moins, avant que je ne décide d'ouvrir les yeux. Ma paupière gauche doit être sacrément enflée, je décide donc d'appréhender ce qui m'entoure de mon seul oeil droit.
J'aperçois les lueurs du jour sillonnées sous la grande porte à double battant de la grange. Des bottes de foin jonchent tout un pan du mur. Je remarque une brouette avec des outils de jardinage qui n'était pas là hier, j'ai sûrement dû sombrer suite aux coups reçus pour ne pas m'en être rendu compte avant. J'espère vraiment que c'est pour jardiner et qu'ils ne vont pas prendre mon cul pour un soliflore.
Des voix et des ombres me parviennent de l'extérieur, deux hommes semblent discuter en fumant une cigarette. D'après ce que je comprends de leurs échanges, ils en ont marre que je ne cède pas à leur torture et n'ont pas envie d'augmenter les sévices de façon exponentielle. Ça me rassure qu'ils aient un brin d'humanité et ça me conforte dans mon mutisme, pour le moment.
Ce gang de fermiers du village voisin m'avaient enlevé depuis une semaine parce qu'ils pensaient que je venais les espionner. Ce n'était absolument pas mon but initial car j'avais suivi un cerf lors d'une chasse et avais atterri sur leurs terres de façon fortuite. Je n'avais donc rien à avouer sur mon potentiel dessein mais j'en apprenais quand même beaucoup sur eux au fil des jours.
Pendant cette captivité, je m'étais d'ailleurs lié d'amitié avec la petite-fille de leur chef qui venait régulièrement en douce me donner du pain ou des fruits. Elle se baladait toujours avec sa poupée sous le bras en chantonnant et ne comprenait pas pourquoi j'étais attaché. J'imagine que sa famille la préservait de leurs manigances mais elle en savait plus qu'ils ne le pensaient. Je suis persuadé que les enfants ont une ouïe surdeveloppée et qu'ils sont beaucoup moins cons qu'on ne le pense.
Elle venait me voir à la nuit tombée, me déposait une couverture pour couvrir ma nudité, non pas parce que ça la gênait mais parce qu'elle ne voulait pas que j'ai froid. Puis se posait a côté de moi, un plaid sur les genoux, et me demandait de lui raconter des histoires, ce que je faisais volontiers. J'adorais d'ailleurs en raconter le soir, avant le coucher, à mes enfants qui devaient s'inquiéter probablement de mon absence en ce moment. Au fur et à mesure de mes récits, plus ou moins inventés, je voyais s'élargir son sourire jusqu'à devenir extatique quand la chute arrivait.
En repensant à elle, je venais de me rappeler qu'elle m'avait laissé son couteau avec lequel elle me coupait des morceaux de pomme. J'avais tant bien que mal tenté de le cacher dans la terre avec mes mains attachées. J'avais d'ailleurs faillit me déboiter l'épaule en creusant dans cette position inconfortable.
Ce soir, je tenterai l'évasion. Cette petite me manquera, c'est sûr ! Elle se serait sûrement bien entendu avec mes deux garçons. Quant à ce que j'avais découvert de leurs activités ici, je me demande si je vais ou non les dévoiler au chef de mon village. Je n'ai jamais aimé les embrouilles, chaque chose en son temps, j'aurais le temps de penser à ça lors de mon périple de retour.
Le bruit grinçant de la porte et la lumière du soleil me sort soudain de mes pensées, c'est l'heure de ma première raclée de la journée. Je respire et me prépare mentalement aux futurs coups à venir. Mon coeur se met cependant à palpiter quand je vois les deux hommes entrer, l'un muni d'une barre à mine, et l'autre d'une pelle qui semble avoir été utilisé récemment.
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