Tu dors ?
« Tu as entendu ? »
« Josh, tu dors ? »
Lorsque Joshua s’extirpa du sommeil et ouvrit les yeux, un long frisson glacé lui remonta le long des bras. La fenêtre de la chambre était grande ouverte.
Cette vision fit chuter une pierre tout au fond de son estomac mais Joshua se redressa tout de même et se tourna vers sa femme. Emilie s’était assise sur le lit, l’ombre de sa silhouette se découpant nettement sur les draps. Ses cheveux en bataille lui moussaient tout autour de la tête et elle se tenait très droite sur le sommier.
« Emilie ? »
Elle porta l’index à ses lèvres –chut– puis, de la bouche formant un O parfait, elle se mit à hululer. Joshua se figea au bruit animal que sa femme venait d’émettre. Le son lui retourna les entrailles et il fixa la fenêtre grande ouverte de leur chambre avec un haut le cœur. Mais il n’entendit que le vent dans les arbres, rien de plus, alors il revint à son épouse.
Emilie lui sourit.
Joshua s’empressa de se rallonger et ferma les yeux :
« Tu devrais te recoucher. »
Sa bouche était très sèche. Il fourra la tête dans l’oreiller. Ils n’auraient jamais dû passer une nouvelle nuit chez les parents d’Emilie. Il le savait pourtant. Durant tout le chemin en voiture vers ce trou perdu, son petit doigt le lui avait seriné : Joshua ne dort pas dans cette fichue baraque.
Car ça l’avait déjà prise la dernière fois, non ? Il avait taché de l’oublier, ça n’avait jamais recommencé chez eux malgré les années, mais ça l’avait prise la dernière fois.
« Tu dors ? »
Et elle gloussa.
Joshua s’appliqua à respirer lentement, calmement, en longues bouffées. Il avait terriblement conscience du creux dans le matelas que faisait près de lui le poids d’Emilie. Et elle ne se rallongeait toujours pas ! Il ne percevait en vérité plus aucun mouvement venant d’elle, pas même le bruit de sa respiration. Au bout de quelques secondes ainsi il n’y tint plus et rouvrit les yeux.
Emilie était toujours assise en tailleur sur le matelas et regardait vers le jardin. Ainsi au-dessus de lui, ses yeux paraissaient immenses et captaient la lumière qui provenait de la fenêtre. Elle s’était penchée vers elle, toute portée vers l’avant en un élan figé, et ses lèvres formaient un rond frémissant.
« Arrête », suffoqua-t-il, « Arrête ça tout de suite »
Emilie redressa la tête en tendant le cou, cambrant les épaules en un mouvement qui se répandit souplement jusqu’au creux de ses reins. Puis elle ondula vers lui et l’éclat dans ses yeux ripa comme s’il avait rencontré un miroir :
« Tu as peur mon amour ? »
« Je n’ai pas peur ! », cracha-t-il, « J’en ai simplement marre de tes conneries ! »
Et il roula vivement pour lui tourner le dos, remontant rageusement le drap jusque sous son menton. Mais il restait les yeux grands ouverts, à l’affut, le cœur tambourinant comme une grosse caisse, et son corps raidi sous le drap lui faisait l’effet d’une bûche. Il se concentra de nouveau sur ses inspirations et expirations mais, s’il parvenait à les faire profondes, elles lui paraissaient trop fortes et sifflantes.
Emilie hulula de nouveau. Et ça lui répondit.
Joshua ferma les paupières aussi fort qu’il le put. Il dut se faire violence pour ne pas se boucher les oreilles des deux mains et demeurer immobile.
« Tu as entendu ? »
Non, non, rien entendu ! C’est juste un grincement du bois de cette fichue maison. Ferme la fenêtre. Ferme cette putain de fenêtre !
« Josh, tu dors ? »
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