Prologue

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Bienvenue, bienvenue, bienvenue.

Voilà donc mon nouveau truc, c'est une histoire qui me tient vraiment à coeur donc je suis eeeextrêmement anxieuse à l'idée de la faire lire (peur que vous trouviez ça nul, que ça ne plaise pas, etc etc). Mais quand faut y aller, faut y aller (puis Asa va me faire un caca nerveux si je repousse encore le moment. xD)

N'hésitez pas à annoter, comme d'hab' !

Et merci de me relire et me soutenir, comme toujours !!

- P r o l o g u e -

Je me souviens du jour où j’ai été vendu comme esclave.

Selon le calendrier des Renardes, nous étions le 55ème jour de l’hiver. Ou peut-être bien le 56ème. Cela fait si longtemps... Je pensais retenir cette date jusqu'à ma mort, je croyais la garder gravée en moi à jamais, comme les cicatrices de mon dos. Des décennies plus tard, je réalise qu’il n’en est rien.

La tempête faisait rage au-dehors. Nous étions trempés, frigorifiés, et n’avions vraiment pas fière allure. Nous avions marché dans la neige et le vent sur des centaines de mètres pour arriver là, au marché aux Ours.

À la Maison.

Je pensais ne jamais la voir. Pas de si près. Je connaissais les histoires, bien sûr. Comment aurait-il pu en être autrement ? Notre monde tout entier tournait autour de la Maison, elle était le centre de notre univers, même si l’écrasante majorité des miens n’y était jamais entrée. Tout ce que je savais, je le tenais des rumeurs ou des racontars d’ivrognes.

La raison en était simple : les miens revenaient rarement de la Maison. Le sujet était tabou. Les langues n'aimaient pas se délier à son propos.

Je me souviens que j’avais peur. Si la date exacte est floue dans ma mémoire, cette peur, elle, était si forte que je la ressens encore.

Pour les miens, servir la Maison réprésentait le plus grand des honneurs. Nous étions élevés dans cette idée ; chaque père rêvait de vendre l'un de ses garçons à la Maison, peut-être même deux si le destin se montrait favorable. La plupart des chefs de famille éduquaient l'un de leurs fils dans cet unique but.

Mon petit frère Timor était de ceux-là.

Quand le reste de la fratrie se battait dans la boue, il lui était interdit de seulement y tremper une griffe. Il ne fallait pas qu’il y prenne goût, qu’il apprenne à jouer dans la crasse. Quand nous nous disputions un morceau de viande dans des bordées de jurons, lui apprenait à se tenir bien droit et à parler poliment. Dans les limites du vocabulaire de mon père, bien sûr, qui n’était qu'un ouvrier rustre comme tant d'autres. Mon cadet ne devait jamais montrer les crocs, ni mordre ; la moindre insulte, le moindre mot grossier le privait de repas. Bien qu’il fût le plus jeune d’entre nous, mon père l’avait promu au rôle de médiateur : il devait pouvoir nous apaiser, nous séparer quand la situation s’envenimait, et cela sans jamais hausser la voix ni laisser voir sa colère.

Mon frère ressemblait à un agneau aux yeux doux, alors que nous autres étions des Ours. Jour après jour, année après année, notre père avait gravé en lui le contraire exact de ce que nous dictait notre nature.

Malgré l'affection qui me liait à lui, je me souviens l’avoir jalousé à de nombreuses reprises. Mon père faisait de son mieux pour lui épargner les tunnels et le puits de forage, afin de ne pas l'abîmer, de ne pas user son corps délicat. Quand le soir venait, alors que nous rentrions de la mine, fourbus et affamés, nous le trouvions propre et reposé, en train de répéter ses exercices de diction. Nous vivions avec les muscles sciés d’épuisement, alors que lui mangeait à sa faim et connaissait peu cet enfer souterrain qui nous maculait de terre et de naphte.

Je garde de sinistres souvenirs du puits de forage. J’étouffais dans ces boyaux étroits ; parfois, je pleurais et sanglotais la nuit, sachant que je devrais y retourner le matin suivant… ainsi que tous les autres matins, jusqu’à ma mort. C’était le lot des Ours de la mine. Aujourd’hui encore, je ne supporte pas le moindre espace clos. Piégé dans une salle trop petite, il m’arrive de sentir la puanteur des tunnels et la poussière dans mes narines, comme une réminiscence de mon enfance.

Mon frère Timor avait échappé à cela, mais en se préparant à servir la Maison, il se destinait à pire, j’en étais persuadé. Plus je grandissais, moins je le jalousais. Plus je devenais fort et le voyais rester faible, plus je craignais le sort que lui réservait la Maison. J’aurais donné tout le naphte du monde pour fuir ma vie à la mine, mais je ne voulais pas pour autant de son futur à lui. Les miens présentaient cela comme un immense honneur… mais tout petit déjà, je devinais qu’il y avait anguille sous roche. Que quelque chose de sombre se terrait là-dessous.

Un soir, mon père dit à Timor qu’il était prêt, qu’il avait l’âge requis pour être vendu. Le lendemain, au lieu d’aller forer, il l’accompagnerait au marché. À la Maison.

Ce jour-là, je pris ma décision.

Mon frère n’avait que douze ans. Il n’avait jamais appris à se battre ; il était frêle et répondait aux insultes par la plus exquise douceur. C’était une proie facile et où qu’il aille, il le resterait. Dans la Maison, il serait le serviteur des Renardes ; je ne savais presque rien de ces créatures et n’avais nulle confiance en elles. En tant qu'aîné, je ne pouvais laisser Timor partir seul. D'aussi loin que remonte ma mémoire, j'ai toujours eu cet instinct de protection très fort, qui me rendait brutal. Personne ne touchait à mes petits frères. Tous les gosses des tunnels le savaient : ils l'avaient appris à coups de poings.

Mon père ne s’y opposa pas. Pour lui, vendre deux fils à la Maison aurait représenté un honneur immense et un apport de ressources non négligeable. Mais il ne s'attendait pas réellement à ce que je sois acheté. J’étais rustre, sale, mal éduqué, déjà trop âgé. Quelle Renarde allait vouloir de moi ?

Je ne l’écoutais pas. Pour moi, tout était simple. Là où mon frère irait, j’irais aussi.

Ce jour-là, ma vie changea à jamais.

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