26.4
2e épisode du dimanche :D
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– Tu as… Euh…
D’un regard noir, il stoppa mes bredouillements et me tourna ostensiblement le dos. Plus j’essayais d’oublier ce que j’avais vu, de retourner vers mon enfance naïve, plus mon cerveau m’agitait cette vision devant les yeux. Alors c'était à cela que l'organe mâle ressemblait ! Ce n'était pas du tout un serpent comme les grands-mères le racontaient.
– Bon sang, grogna-t-il, si les gars voient ça, ils vont se foutre de moi pour dix ans au moins.
Je tentai de dire quelque chose de constructif.
– Ne peux-tu pas le faire… rentrer… à l’intérieur ? Comme d’habitude ?
– Ce n'est pas si facile, marmonna-t-il. Il faut attendre. C’est... mécanique.
Cette conversation m'emplissait de gêne.
– Voilà pourquoi je voulais dormir à part, gronda-t-il. Maintenant que la poudre ne fait plus effet du tout, je ne monterai plus dans ton hamac.
Donc cela était dû à ma présence. Mon contact. Malgré moi, cette idée fit courir une onde de plaisir sous ma peau. Pouvais-je vraiment attiser le désir d’Auroq ? Je baissai les yeux sur mon corps et tous mes défauts me sautèrent aux yeux avec violence. Non, cela n’avait aucun sens. Il m'avait repoussée lors de ma nuit d'union. À moins que... cela n'ait été qu'une question d'antiaphrodisiaque, comme l'avait suggéré Maya ? D'un coup, je l'espérai très fort.
Mais avant que je n'ai rassemblé assez de courage pour oser le questionner, Auroq s'éloigna dans les brumes grises et rougeoyantes de l'entresol, les poings serrés. Je regardai son dos disparaître au loin, plus frustrée et impuissante que jamais.
C’est à ce moment-là que la voix railleuse de Maya s'éleva derrière moi.
– Eh bien, en voilà un beau mâle ! J'en connais deux qui vont pouvoir se faire plaisir très bientôt !
Je me retournai d'un bond, brûlante de honte, avant de me recroqueviller. Toutes les filles me fixaient sans aucune discrétion. Un vif intérêt luisait dans les yeux dorés d'Enejia, une gêne au moins équivalente à la mienne occupait ceux de Grenat ; quant à Agapi, elle arborait un sourire étrange, partagé entre amusement et mélancolie. Seule Ingenua parvenait à garder un air neutre et tout à fait imperméable, comme se devait de l'être une vraie Dame en de semblables circonstances.
– Maya, ne... ne me dis pas que vous avez tout entendu. Par pitié.
Mon amie éclata de rire.
– Il n'y avait pas grand-chose d'intéressant à entendre. Nous avons plutôt vu, si tu vois ce que je veux dire.
Horrifiée, j'éprouvai l'envie soudaine de me noyer pour emporter mon déshonneur avec moi.
– Il a des manières bien cavalières, toussota Enejia. Pardonne-moi ma franchise, mais tu me parais très permissive avec ton Ours, Picta. Il ne faut pas les laisser montrer leur désir ainsi, pas s'il n'y ont pas été invités.
– Quel Ours libidineux ! renchérit Maya de son ton le plus malicieux. Ma vieille tante Hatsuka t'aurait demandé de le lui prêter, histoire de l'occuper de façon utile.
– Ne les écoute pas. Nous n'avons rien vu, répliqua Ingenua d'un ton ferme. Ne t'inquiète pas, Picta. Il ne s'est rien passé. (Elle baissa d'un ton.) Les Ours éprouvent le plus grand mal à se tenir convenablement, c'est une chose bien connue. Ce n'est pas pour rien que nous leur faisons porter le kuma no kimono !
Grenat faisait la même tête atterrée que si elle avait vu notre mère forniquer dans un couloir. Pourvu qu'aucune d'elles ne parlent jamais de cela !
– D'ailleurs, fit Maya d'un air radieux, regarde ça !
Elle tapota son cou, où se trouvait une petite marque. Infiniment soulagée qu'elle détourne ainsi l'attention sur elle, je me prêtai au jeu.
– Qu'est-ce que c'est ? On dirait une morsure.
– C'est Dagnor ! clama-t-elle fièrement.
– Dagnor t'a mordue ? sursautai-je. Mais pourquoi a-t-il fait une telle chose ? Penses-tu... (Je me mis à chuchoter.) Crois-tu qu'il ait la rage ?
Au quatrième siècle, la rage avait fait des ravages dans la Maison. Les Ours, qui avaient une réputation de vecteurs de la maladie, davantage que les Dames (était-ce vrai ou non, je n'en savais rien) avaient été sacrifiés par milliers.
– Picta ! se fâcha Maya. La rage ? T'es sérieuse ? Nous nous sommes accouplés hier, voilà ce qu'il s'est passé !
Les autres filles ouvrirent de grands yeux, choquées de voir le sujet abordé de façon si frontale.
– Vraiment ? m'étonnai-je. Mais... une morsure ? Euh... Eh bien... Félicitations... Tu vois bien qu'il ne fallait pas t'inquiéter de son refus. Ta mère avait raison pour l'antiaphrodisiaque !
« Si seulement cela pouvait être aussi le cas d'Auroq », pensai-je pour moi-même. Grenat s'était éloignée, mal à l'aise devant cette discussion, mais Ingenua et Enejia s'étaient rapprochées au contraire, les oreilles grandes ouvertes.
– Maya, comment cela s'est-il passé ? la questionna Enejia, les yeux brillants. Veux-tu bien nous le dire ?
– Enejia ! la tança Ingenua. Pourquoi poses-tu pareilles questions ? C'est indigne de...
– Oh, suffit ! J'en ai assez de me limiter aux leçons de médecine et aux métaphores de ma grand-mère. J'y songe depuis mes quatorze ans, je n'en peux plus d'attendre ! (Dans un chatoiement doré, elle lui fit un clin d'œil.) Allons, Ingenua, avoue que le sujet t'intrigue toi aussi. Ce qui se dit à l'entresol ne sort pas de l'entresol, n'est-ce pas ? (Elle se tourna vers moi.) Et toi, Picta ? Accepterais-tu de nous raconter ?
– Euh, je... bafouillai-je. Non, je... je laisse Maya satisfaire ta curiosité... Elle a l'air ravie de le faire.
Celle-ci se rengorgea fièrement, puis posa son savon d'un geste théâtral.
– Voyez-vous, c'était une soirée comme les autres... Ou presque. Car à l'heure du coucher, voilà que Dagnor, en me retirant mon nemaki, se met à...
Ainsi, nous eûmes droit au récit exaustif des ébats de Maya et Dagnor, ce qui, pour être honnête, ne m'intéressait pas tant, mais éclaira ma lanterne de façon appréciable.
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