Hellooo ! Aujourd'hui, c'est mon anniversaire, je suis officiellement vieille (comme chaque année) 8D

Le timing est parfait, puisque j'ai ici 2 épisodes assez courts et je culpabilisais un peu de les séparer en deux... donc je vais fêter ça en les postant ensemble xD

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Picta revint très tard, bien après la tombée de la nuit, quand les voix des Dames eurent décru petit à petit et que toutes eurent rejoint leurs hamacs. Je me tenais recroquevillé sous le neuvième étage, caché dans l'entrelacement des arcs et des étais, frissonnant de froid. Pourtant, l’air estival était très doux à cette heure, mais la faim et l’épuisement avaient raison de moi. J'avais craint que les Dames du huitième étage ne m'aperçoivent pendant la journée, mais pas une seule n'avait levé la tête vers moi ; j'étais loin au-dessus d'elles, fondu dans les ombres noires sous la terrasse. J’avais dormi un peu, blotti dans un coin renfoncé entre deux poutres, la nuque coincée sous le plancher qui sentait la terre et le vieux bois. Quelques heures tout au plus.

– Auroq ! Je suis là, chuchota la voix de Picta.

À bout de forces, je faillis ne pas réussir à me hisser à travers le trou. Picta me retint, arc-boutée à genoux, quand je manquai de chuter quinze mètres plus bas.

– Quelle force, la complimentai-je quand je me retrouvai à plat ventre sur l’herbe. Tu pourrais presque te mesurer aux gars de la mine !

Elle se contenta d’un sourire discret – un sourire de Dame. Je me rendis compte trop tard de mon erreur : je venais de trahir ma localisation. J'espérais ne pas le regretter.

Picta avait apporté deux paniers débordants de fruits, de miel et même un peu de viande qu’elle avait dû chiper à l’entresol ou ailleurs. J’engloutis tout cela en un temps record. Dire que la nuit précédente, lors de l’assemblée, j’avais hurlé aux Ours que nous ne voulions plus des miettes de la Maison… Quel mensonge. Je n’avais rien mangé de si délicieux depuis des années ; la saveur inimitable des kiwis et des ananas fit naître une vague de nostalgie en moi. À la mine, nous avions peu de fruits luxueux de ce genre et ils arrivaient déjà gâtés. Agenouillée près de moi, Picta m’observait intensément tandis que je m’empiffrais. Ma balourdise me gêna soudain. Je me conduisais comme un enfant ou un rustre. Je cessai de manger et m’essuyai la bouche.

L’instant d’après, elle m’enlaça et je me figeai, pris de court par cette promiscuité.

– Fais bien attention en redescendant, murmura-t-elle à mon oreille. Je ne veux pas que tu te rompes les os. Tu es fou d’être monté par là… J’aurais voulu te faire sortir au rez-de-chaussée, mais les généalogistes n’ont pas leur place là-bas. Si j’avais été gouvernante… peut-être que j’aurais pu.

Elle appuya son front contre le mien, puis ferma les paupières. Je contemplai son visage sans répondre. Il fallait que je grave le moindre de ses traits dans ma mémoire, que je les conserve au moins quinze ans de plus. Je ne voulais plus de rêves sans visages, plus de souvenirs usés. Légères et tendres, ses mains caressèrent les muscles de ma nuque, puis suivirent la cordelette de mon collier pour descendre sur mon torse.

– Merci d’être venu, chuchota-t-elle. Tu n’as pas à me dire pourquoi. Finalement, je préfère… je préfère croire que c’était pour me voir.

– C’est le cas, dis-je d’une voix rauque. Je te le jure. Picta, tu es… Tu es ce que j’ai de plus précieux.

J’avais réussi à le lui dire. Quinze ans après, j’avais enfin réparé mon erreur. Quand elle se releva, d’un geste délicat pour ne pas abîmer son kimono, je distinguai deux sillons scintillants sur ses joues. Des larmes.

– Il faut que je parte, souffla-t-elle.

Sans réfléchir, je la retins par un pan de son obi. Un réflexe. Un simple réflexe pour ne pas qu’elle me quitte. Le temps se figea ; nous nous dévisageâmes pendant de longues secondes, moi à genoux, elle sur le point de s’enfuir.

Je ne la lâchai pas. Lâcher cette soierie, c’était la voir disparaître. Picta ne bougeait pas, immobile comme une biche ou un oiseau farouche. Je ne la quittais pas du regard, attendant un mot, un geste, un mouvement de recul qui m’aurait intimé de la lâcher... Je tenais à peine le bout de l’obi, un frémissement lui aurait suffi pour s’arracher à moi. Je l’aurais laissée partir.

Mais elle resta là, les yeux dans les miens. Et ce que je lus dans ses prunelles me bouleversa.

– Sais-tu toujours dénouer un obi ? dit-elle très bas.

Sa voix me fit frissonner de désir. Je la contemplai sans un mot. Les bijoux d’or, la soie luxueuse, les fleurs et les oiseaux brodés cherchaient à attirer mon regard sur eux, à la camoufler. Ils n’y parvenaient pas. Je ne voyais qu’elle. Mon esprit fébrile ne cessait d’imaginer ce que l’habit cachait encore.

Picta guida mes mains vers sa taille. Sans y croire, sans réaliser ce que je faisais, je commençai à tirer sur le nœud. En quelques gestes vifs, aussi précis qu'autrefois, mes mains retrouvèrent ce qui avait été leur raison d’être pendant des années. Elles la libérèrent de son carcan d’étoffes. La soie damassée glissa de ses épaules et chuta dans l’herbe, la laissant nue. Toute entière exposée.

Je n’avais pas vu de corps féminin depuis quinze ans. J’eus l’impression de perdre l’esprit en retrouvant ses courbes – il n’y avait que cela sur son corps blanc, des courbes, des cambrures et des rondeurs duveteuses qui n’attendaient que la caresse de ma paume. Imagine ce que cela ferait de te noyer en elle, me chuchota une petite voix. Les muscles de mon dos se contractèrent à cette idée. Mes derniers verrous sautèrent. Je perdis toute ma sagesse d’adulte, tous mes doutes, oubliai toutes les années passées loin d’elle ; je redevins cet adolescent impétueux, sans concession, cette tête brûlée qui faisait chanter le fouet. Picta m'observait elle aussi, le visage confiant. Mais une lueur timide brillait dans ses yeux.

L’espace d’un instant, je rêvai de la prendre à la manière bestiale des Ours, de la plaquer contre le tronc de l’albizia en lui mordant le cou pour l’empêcher de bouger. Mais Picta n’était pas un Ours. Elle méritait mieux qu’un animal brutal. Alors, toujours agenouillé, je tendis une main vers elle. Elle la prit doucement, pensant m’aider à me relever. Mais ce fut l’inverse qui eut lieu. Je l’attirai lentement à moi et elle se laissa faire. Bientôt, elle se trouva assise sur mes genoux, dans les grincements de l’engin de torture qui lui servait d’attelle. Ce son me mit en colère. Je me penchai sur l’objet et dévissai tous les anneaux de bois, les uns après les autres.