38.2

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Bonjouuur ! Voilà les 2 épisodes du dimanche ! (en plus, j'ai calculé qu'à ce rythme-là l'histoire serait finie début novembre, c'est pas le moment de me ramollir :D)

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Au premier étage régnait l’anarchie.

Ici, pas d’Ours rebelles – pas encore – mais on entendait les cris, les hurlements de douleur, les claquements de fouet et les explosions qui faisaient rage au rez-de-chaussée. Les parois de bois vibraient ; les lampes se balançaient sous le plafond, projetant des faisceaux mouvants dans les couloirs. Partout couraient des groupes de Grandes Dames escortées d’esclaves et d’intendants. Dans le brouhaha général, j’entendais des phrases trancher l’air, des ordres contradictoires jetés à la va-vite et aussitôt démentis.

– Laissez-nous ! Nous pouvons rester seules. Nous prenez-vous pour des enfants ? Allez leur prêter main-forte au rez-de-chaussée !

– Ne bougez pas ! Ne quittez votre poste sous aucun prétexte !

– Retournez aux jardins ! Il doit rester des bêches, des fourches ou des marteaux dans les ateliers…

– Mes Dames, vous ne pouvez pas rester ici… S’il vous plaît, soyez raisonnables…

– La menuiserie ! Vérifiez s'il reste des outils, récupérez tous ceux que vous pouvez !

– Il n’y a plus de place ici… Filez au grand escalier côté Est ! Dépêchez-vous, dépêchez-vous ! Bon sang, enlevez vos getas, jeune imbécile ! Pensez-vous que l’heure soit à la coquetterie ?

Le désordre était tel que je passais complètement inaperçu – un serviteur perdu au milieu des autres. Des couloirs entiers étaient débordés, emplis de Grandes Dames qui attendaient de prendre un escalier ; l’odeur de la peur et de la sueur se mêlait aux scintillements des bijoux. Je traversai les foules à contre-courant, la terreur nichée au fond du ventre, cherchant et cherchant encore parmi toutes les silhouettes drapées de kimono luxueux. C’était comme chercher une braise dans un entresol.

Picta… Où es-tu ?

En suivant le flot d’une cohorte de Dames, je débouchai dans une salle immense, pavée de larges panneaux de bois, aux lustres d’argent chatoyant. Un escalier en colimaçon traversait toute sa hauteur et montait à l’étage supérieur. Un troupeau de Renardes encadré d’Ours en gravissait les marches, et toute une file impatiente attendait son tour près de moi. Je fendis le ressac de la foule pour m’approcher un peu de l’escalier. Il grinçait plaintivement sous les dizaines de pas qui martelaient ses marches.

Et je la trouvai enfin. Là. Tout en haut de l’escalier.

Cette fois, c’était elle ; j’en étais certain, même si je n’avais qu’entraperçu ses traits. À sa vue, quelque chose avait fait écho en moi. Je ne pouvais me tromper.

Aussitôt vue, aussitôt perdue ; elle disparut parmi toutes les autres silhouettes, avalée par la foule, et mon regard ne la trouva plus. Furieux, je bousculai les Dames qui faisaient la queue devant la première marche et me mis à grimper. Un fouet claqua tout près de mon dos.

– Recule, insolent ! Laisse passer les Dames ! Va te rendre utile au rez-de-chaussée, on a besoin de monde pour les barrages ! Tu m’entends ?

Je montai plus vite, épaules contractées pour paraître moins large, poussant les Renardes contre la rambarde en me frayant un passage. Des cris outrés et des ordres secs s’élevaient dans mon sillage.

– Arrête-toi ! m’invectiva l’Ours dans mon dos. Espèce de lâche ! Reviens ici immédiatement !

Mais il ne me suivit pas. Il avait un rôle à tenir en bas et les Renardes furieuses n’auraient pas laissé passer un deuxième Ours. Les plus âgées étaient clairement les pires ; je dus batailler contre une meute de vieillardes outrées.

Soudain, une explosion eut lieu juste en-dessous de la salle et tous les murs tremblèrent en une vibration sourde. Le bois grinça et gémit ; les lustres brinquebalèrent violemment, faisant danser toutes les ombres dans un ballet diabolique. Les Renardes s’agrippèrent à la rampe cirée, effrayées. J’en profitai pour foncer de plus belle. Cet escalier n’avait donc pas de fin ? Ses spirales étroites me donnaient la nausée et le plafond ne semblait pas se rapprocher. Je fus vite complètement essouflé et dus ralentir quand des points blancs papillonnèrent devant mes yeux. Je n’avais plus assez de forces. Courir ne servirait qu’à me vider de mon énergie.

– Picta ! hurlai-je, au désespoir. Picta, je suis là !

Je franchis une nouvelle spirale, les poumons déchirés par mon propre souffle, et soudain je l’aperçus. Encadrée de deux intendants, elle me tournait le dos.

– Picta !

Elle ne m’entendait pas. Prise dans le flot de la foule, elle grimpait aussi vite qu’elle le pouvait, pieds nus, appuyée au bras d’un intendant pour ne pas trébucher. Elle ne cessait de se retourner, de scruter la foule avec nervosité, comme un reflet inversé de moi. Qui cherchait-elle si fébrilement ?

Quand je la vis sortir de l'escalier, je fonçai aveuglément, bousculant les Grandes Dames de plus belle. Je devais la mener à sa famille, l’escorter, la protéger – je ne pouvais pas la laisser disparaître ainsi, c’était sur moi qu’elle devait s’appuyer, sur moi, pas sur un intendant !

À bout de forces, je finis par l’atteindre enfin. Je lui attrapai le bras. Quand elle se retourna vers moi, ses yeux s'écarquillèrent. Je plongeai dans son regard pourpre.

– Lâche-la, inconscient ! jeta la voix de l’Ours. Ne touche pas les Dames avec tes sales pattes !

Son fouet claqua tout près de mon œil et une douleur fulgurante me traversa la joue. Une belle estafilade en perspective, mais je m'en moquais bien. Le fouet siffla de nouveau, mais avant qu’il ne me frappe, Picta le dévia de son bras. La lanière lui gifla le poignet en une mince ligne rouge, puis s’enroula autour. Un bruit sourd se fit entendre : l’intendant venait de se jeter à genoux, au beau milieu de la cohue.

– Ma Dame… Je mérite la mort pour cet outrage… Permettez-moi d’expier ma…

– Assez ! trancha Picta. Cet Ours est à moi, entends-tu ? Je le punirai de mes mains pour ses torts. Laisse ton fouet et va aider mes collègues les plus âgées ! Ne vois-tu pas qu’elles peinent à monter l’escalier ?

Je prêtai à peine attention à ses dires, je ne vis pas l’intendant obéir. J’attrapai Picta et la serrai très fort contre moi, sans aucun respect du protocole ni de la bienséance.

– Tu es en vie, chuchotai-je. Tu es en vie…

Elle ne se débattit pas, ni ne me rendit mon étreinte. Elle resta dans mes bras, aussi inerte qu’un morceau de bois, et lorsqu’elle se pencha à mon oreille, ses mots me glacèrent.

– Comment oses-tu me toucher ainsi ?

Je la lâchai. Elle me contempla longuement, durement. Nous formions un îlot de silence au centre du fleuve furieux qui nous bousculait. Picta finit par dire, d’un ton clair et froid :

– La moitié de nos intendants fouillent les montagnes à cet instant même. La moitié de nos forces de défense… Il n’y a rien là-bas. Il n’y a jamais rien eu. Ce sont tes congénères qui violent les miennes, qui pillent notre Maison !

– Ils ont avancé… Ils ont avancé l’attaque… articulai-je misérablement. Ça ne devait pas se produire si tôt. Je voulais te mettre à l’abri…

– Tais-toi ! Comment as-tu pu... me mentir, me berner ainsi...

Sa voix baissa jusqu’à devenir à peine un murmure, feutré et effrayant de douceur, comme le faisait sa mère à l’époque.

– Va-t-en. Ne me touche plus jamais. Plus jamais.

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