Chapitre 46

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Et le deuxième épisode du mercredi xD

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– Oh, les rebelles se sont calmés, depuis, renifla Maya avec mépris. Il y en a même qui regrettent, il paraît ! Pfff.

Calmer. Regretter. Ces mots me firent grincer des dents, trop éloignés de ce que j'avais vu. Maya désigna le couloir.

– On se mélange le moins possible. Ils vivent surtout sur les terrasses de l’Est, là où ils ont leurs échelles… Ils sortent souvent de la Maison et vont chasser dehors. Mais dans les quartiers Sud et Ouest, il y a énormément de familles comme nous. D’anciens domestiques qui vivent avec leur Dame. Tant qu’on fait profil bas, ces vauriens nous laissent tranquilles.

Elle se brûla sur la théière, lâcha un juron.

– Mais tu sais ce qu'ils font aux nôtres ? intervins-je d'une voix enrouée. Tu sais ce qu'il se passe là-bas ?

Elle crispa les lèvres.

– Bien sûr. On est obligés d'y aller régulièrement, pour avoir du combustible. Et il suffit d’un rien pour provoquer un esclandre. Demande à Dagnor ! Il a failli en fracasser un il y a trois jours encore.

– Il t’avait traitée de femelle, grogna l’interpellé.

– Tu te rends compte, Picta ? De femelle. Notre pauvre Maison. Dire que c’est cette racaille qui fait la loi, aujourd’hui… Auroq ! Sers donc le thé, ne me laisse pas travailler ainsi. On se demande où est passée ton éducation !

Mon Ours s’exécuta de bonne grâce et bientôt, nous eûmes tous une tasse fumante entre les mains – sauf Dagnor, qui jouait toujours le rôle de berceau. Auroq fit mine de poser sa tasse sur son front massif.

– Arrête de l’embêter, soupira Maya. Il n’en boit pas, de toute façon. Tu as oublié ?

Nerveuse, elle ne cessait de s’agiter et de tournicoter dans tout le salon pour rectifier la place de chaque objet, incapable de se poser tranquillement avec nous. Quand elle passa près de moi, je lui attrapai la main et la serrai entre les miennes. Elle s’immobilisa enfin. Son regard hésitant remonta vers mon visage.

– Je suis heureuse que tu sois en vie, Maya. Je suis si heureuse de te voir…

Ses traits se brouillèrent, comme lorsqu’elle m’avait découverte à l’entrée de chez elle. Elle lutta pour maintenir un sourire sur ses traits.

– Moi aussi, chuchota-t-elle. Moi aussi. J’ai cru que tu étais morte dans le grand massacre...

Elle se reprit aussitôt et désigna mon corps d’un geste désinvolte.

– Regarde-toi, ma pauvre ! Aussi maigre que moi. Tu étais plus jolie avant. (Elle me détailla d’un œil critique.) Toi aussi, tu as les seins qui pendent, hein ? À nos âges, on ne rajeunit pas.

– La voix de la sagesse, commenta Auroq. Quand je viens chez toi, j’apprends toujours des choses incroyables, Maya.

– Oh, toi, ferme-la, malotru !

– Et ne critique pas Picta. Ses seins sont parfaits. Pas comme les tiens !

– Comme si tu avais déjà vu les miens, espèce de vieux garçon ! En tout cas, elle ne peut pas rester nue comme ça. Surtout pas avec tous les voyous qui traînent côté Est ! Je vais te chercher un kimono, ne bouge pas. J’en ai trouvé tellement dans cette tanière… mais je n’ose pas mettre les plus beaux, sinon ces imbéciles me sifflent quand je passe. (Elle disparut dans la chambre et se lamenta d’une voix forte pour être certaine que je l’entende bien.) Ils sifflent ! Non mais est-ce que tu te rends compte, Picta ? Quelle honte ! Ils mériteraient tous le fouet et les travaux de force.

Elle revint très vite, en se déplaçant comme une tempête dans le salon encombré. Elle me semblait si vive, si forte… si vivante. Je ne me lassais pas de la regarder bouger, parler, respirer… Elle n’avait jamais été très jolie et ses quarante-huit ans l’avaient bien marquée – comme les miens, du reste – mais tout en elle me paraissait chaleureux et familier. Elle jeta un paquet de soie au nez d’Auroq, qui le rattrapa in extremis en jonglant avec sa tasse.

– Maya !

– Habille ta Dame, au lieu de te reposer ! Tu ne crois tout de même pas qu’elle va l’enfiler seule ? Incapable, va !

Sa verve m'arracha un sourire. Le premier. Il était timide, et me sembla curieusement douloureux sur mon visage figé.

– Je suis capable de le faire seule.

Trop tard. Auroq m’aida à me relever, puis passa le kimono froissé sur mes épaules, croisa soigneusement le col et s’agenouilla devant moi.

– On ne met pas l’obi, hein, marmonna-t-il. Ça ne sert à rien, ce truc.

Je le regardai boucler la petite ceinture d’une main sûre, puis lisser les pans du kimono. L’habit était tout de satin bleu, relevé de broderies scintillantes. Cette couleur rare et belle me fit penser à Pali. Une bouffée de chagrin me monta dans la gorge, si forte que pendant un instant je ne parvins pas à respirer. Les mains d’Auroq ralentirent sur le tissu. Il leva les yeux vers moi. Ça va ? semblaient-ils demander. Sans réfléchir, je lui touchai la joue en réponse. Il captura mes doigts dans les siens et déposa un baiser sur mon poignet. Trop d’émotions contradictoires montèrent en moi, inextricablement emmêlées. Un peu trop tard, je me souvins de ses mensonges, de ce qu'il avait fait. Comment pouvais-je oublier cela et lui donner de la douceur ? Il ne la méritait pas. Il ne méritait rien.

– Trouvez-vous une chambre, bande d’adolescents ! glapit la voix de Maya qui sirotait son thé. On en a une en trop, si ça vous intéresse.

Auroq leva les yeux au ciel, puis lissa mon col une dernière fois et m’aida à me rasseoir.

– Maya, soufflai-je d’une voix nouée. Comment… Comment as-tu… survécu ? Comment as-tu fait depuis le massacre ? Vivez-vous ici depuis longtemps ?

As-tu été violée ? Malmenée ? Comment Dagnor t'a-t-il retrouvée ? Tant de questions affreuses me tourmentaient. Comment s'était-elle mise à vivre là, dans une paix relative, malgré tout ce qui nous entourait ?

Mon amie soupira :

– Quand tu as fui il y a quinze ans, tu es montée par les montes-charges, j’imagine ?

– Oui. Nous étions nombreuses. Nous avions trouvé refuge dans un entresol, avec quelques domestiques… Ce sont eux qui nous ont fait monter.

– J’ai vécu un peu la même chose. L’alerte a été donnée trop tard, les rebelles étaient déjà là… Tu te souviens ? On les croyait au rez-de-chaussée, mais ils sont entrés par des échelles, ces fourbes ! Elles y sont encore aujourd’hui, tu sais ? Elles n’ont pas bougé. Hélas, ils surveillent soigneusement : c’est impossible pour une Dame de réussir à sortir. Bref ! (Elle s’arrêta, chercha un instant le fil de son récit.) Dès que les choses ont commencé à dégénérer, je me suis enfuie avec mes filles. Elles avaient quatorze ans, bon sang ! J’étais terrifiée. Qu’est-ce qu’il leur arriverait s’ils les attrapaient ?

Je me crispai. Je me souvenais bien des deux filles de Maya ; je les avais vues grandir, entrer dans l’adolescence. Je redoutais ce qu’elle allait dire ensuite.

– Un groupe d’Ours a failli nous avoir, mais nous leur avons échappé de justesse. Nous avons pris le premier escalier et l’avons monté en courant.

Ses yeux bougeaient dans le vague, plongés dans ses souvenirs.

– Lilas s’est tordu la cheville avant même d’atteindre le dixième étage. Tu la connais ! Elle est aussi maladroite que moi. J’avais tellement peur… Je n’ai jamais eu aussi peur de ma vie. Je crois que je l’ai portée à moitié. Je me sentais aussi forte qu’un Ours, je te jure ! J’étais prête à tout pour qu’on s’en sorte toutes les trois.

Sa voix se raffermit.

– On a réussi à atteindre le onzième. Là, de jeunes Ours faisaient monter des Dames dans un monte-charge. Grâce à eux, on est allées au quinzième et on s’est cachées dans l’entresol. Pas plus haut, car on se disait qu’on pourrait redescendre rapidement quand les choses se seraient calmées, quand ces maudits rebelles auraient été repoussés.

– Mais ils n’ont pas été repoussés, dis-je doucement.

– Exact. La Maison était si mal préparée… On aurait dû faire des tournois de stratégie militaire, en neuf siècles, pas des tournois d’improvisation poétique ! En envoyant presque tous nos domestiques en bas, on leur a bien facilité les choses… (Une moue furieuse lui tordit les lèvres.) Ils en ont tué un bon tiers et ont piégé les autres ! Et avec la moitié des intendants partis dans les montagnes, qu’est-ce qu’on aurait pu faire ? Bon sang, quelle débâcle...

– Mais quand ces intendants sont revenus ? questionnai-je. N'ont-ils pas contre-attaqué ?

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