Chapitre 48
Bonsoiiir ! Je sais pas si vous avez remarqué, mais en ce moment, c'est n'importe quoi niveau fréquence de post xD J'ai beaucoup de réécriture à faire sur la suite et ça me prend un temps fou ! Je vais poster 3 épisodes aujourd'hui, pour compenser un peu x)
Nos adieux à Maya et Dagnor furent brefs. Ni Maya, ni moi n’avions envie de laisser échapper des pleurs. Après nous avoir confié un nombre impressionnant de kimonos, elle nous chassa d’un geste précipité. L’aube se lèverait bientôt : nous n’avions pas de temps à perdre. Pourtant, qu’il était dur de m’en aller ainsi ! De les laisser dans notre Maison moribonde, elle et sa famille, parce qu’elle ne voulait pas partir, parce qu’elle préférait vivre dans la crainte plutôt que de chercher un autre avenir au loin…
– Veillez sur mon clan, au soixante-cinquième, chuchotai-je au moment de la quitter. Je t’en prie, Maya, envoie Dagnor et d’autres serviteurs les chercher… Elles sont seules là-haut, sans Ours, sans véritables ressources, et l’hiver arrive. Je t’en supplie, prenez soin d’elles…
– Oh, ne t’inquiète pas pour ça, répliqua mon amie d’un ton faussement revêche. Dagnor ira là-bas. C’est un vrai sauveur, lui, pas comme Auroq qui provoque des catastrophes chaque fois qu’il veut bien faire. On trouvera comment les faire descendre ici, sans passer par les rebelles… Les autres domestiques nous aideront, Dagnor en trouvera peut-être pour les revendiquer... On les mettra en sécurité.
– Je reviendrai si je peux, grogna Auroq. Si elles veulent partir… Je reviendrai les chercher. Erko viendra peut-être vous voir en mon nom : ayez confiance en lui.
Et ainsi, sans embrassades, sans pleurs, nous nous séparâmes. Le rideau de perles se referma derrière nous, me laissant l’image de Maya, l’œil triste, qui serrait les pans de son nemaki autour de son buste maigre. J’avais l’étrange certitude que nous nous reverrions bientôt, que nous ne pouvions pas nous perdre à nouveau après avoir été si longtemps séparées.
Mais cette impression était fausse. Jamais je ne revis Maya.
Ce jour-là, elle disparut tout simplement de ma vie.
***
Auroq et moi redescendîmes au cinquième étage, dans le silence très pur qui précédait l’aube. C’était ce que l’on nommait autrefois l’heure blanche. Celle où le ciel s’éclaircit à peine, où chacun dort dans la Maison. L’épuisement me faisait marcher à petits pas vacillants. Auroq m’attendait, patient, en se forçant à ralentir pour moi. J’évitais son regard, son contact. Quand nos bras se frôlaient, je ne pouvais retenir un mouvement de recul. Je regrettais notre étreinte, cet acte désespéré qui n’aurait jamais dû voir le jour. Je m’étais montrée faible et sans honneur. Après avoir été Grande Dame si longtemps, j’avais renié mon rang, mes valeurs, ma dignité auprès d’un traître… Tout cela pour quelques misérables instants de chaleur ! Ils me répugnaient à présent.
Quand Auroq me proposa son bras, je l’ignorai. Il me dévisagea et je détournai les yeux.
– Ne me touche pas… s'il te plaît.
Une expression fugace passa sur son visage, mais je ne parvins pas à la décrypter.
– C'était une erreur, chuchotai-je. Cela n'aurait jamais dû se produire.
Il passa devant en silence. Je ne pouvais me défaire de la sensation de ses bras autour de moi, des mots fiévreux qu’il m’avait chuchotés, de son odeur incrustée partout sur ma peau. Du désir désespéré qu’il avait eu de moi. Ses gestes ne laissaient pas voir sa fatigue, mais je la savais bien présente. Après deux insomnies consécutives, où trouvait-il autant de force ? Sans ma canne, j’aurais été bien en peine de tenir sur mes jambes.
Quand nous parvînmes enfin près de la grande salle où se trouvaient Grenat et les autres, des éclats de voix me firent sursauter. Des voix femelles… mais aussi des voix mâles, qui résonnaient jusque dans le couloir. L’angoisse grimpa comme une flèche dans mon ventre ; je me mis à marcher plus vite malgré la douleur. Lorsque j’étais partie avec Auroq, seul son neveu se trouvait là, avec les nôtres… D’autres Ours avaient dû s’introduire depuis. Que se passait-il là-dedans ? Des images effroyables traversèrent mon esprit, des souvenirs issus de cette nuit-là, celle du grand massacre…
– Picta, calme-toi, me lança Auroq quand je le dépassai.
Il eut un geste d’apaisement que je repoussai. Je m’arc-boutai contre les hautes portes en bois couvertes de bas-reliefs, mais ce furent ses bras, plus que les miens, qui parvirent à les ouvrir. Dans un grincement fatigué, elles me dévoilèrent la scène.
– Tout va bien, tenta-t-il de dire. Ce n’est que…
Ma canne heurta le sol dans un bruit qui me parut assourdissant. Je vacillai, emplie de terreur, en prenant la mesure de ce qui se déroulait là. Mon clan – ma moitié de clan – était rassemblée dans un coin, en troupeau compact. Et face à elles…
Plus de quinze Ours les encerclaient.
Les bras serrés autour de moi, je retins un glapissement de peur. Mes pires cauchemars prenaient vie. Les souvenirs de ce jour-là revenaient au centuple, plus forts, plus sinistres encore. Je reculai d’un pas, en appui instable sur ma jambe ; je tournai la tête, cherchant désespérément une issue, un moyen de survivre. Des cadavres jonchaient le sol somptueux de la salle. Des traînées de sang pleuraient le long de certaines boiseries, là où les rebelles avaient planté leurs pieux dans les corps des nôtres…
– Picta ! Picta, tout va bien.
La voix d’Auroq me fit bondir de frayeur. Je pris conscience de mon souffle haletant, de ma cheville tordue à angle droit, aussi lourde et insensible qu’une cale sur laquelle je me serais appuyée. Auroq me prit les mains. La vue de ses griffes noires, serrées sur mes poignets blancs, augmenta encore ma panique.
– Calme-toi, chuchota-t-il. Ils ne vous veulent pas de mal. Picta… Regarde-moi. Regarde-moi dans les yeux…
J’obtempérai malgré moi. La franchise et le calme de ses prunelles me ramenèrent à lui – Auroq, mon Ours. Pas un violeur, pas un insurgé sanguinaire.
– Respire. Comme quand tu étais petite… Inspire à fond… Expire.
Je fermai les yeux. Quand je les rouvris, les corps inertes avaient disparu. Les coulées de sang brunâtre s’étaient effacées. La salle n’était plus que terne, poussiéreuse et triste, comme nous l’avions quittée. Et la meute d’Ours rassemblée devant les nôtres n’avait rien d’agressif. L’un d’eux ébauchait un geste d’apaisement en direction de mes congénères… C’était le jeune Muto.
– Ils ne sont pas dangereux, m’expliqua Auroq sans me quitter des yeux. C’est Asteior qui a dû les ramener. Il a tenu son rôle. Il a fait ce que nous avions prévu… ce que nécessite le plan.
Il lâcha mes mains, puis s’avança vers les Ours.
– Merci d’être venus, mes amis.
Les mâles se tournèrent vers lui. La plupart avaient l’oreille coupée. Ils avaient tous plus de trente ans, et nombreux étaient âgés. En vérité, ils n’avaient absolument rien de menaçant.
– Te revoilà, le noiraud ! l’apostropha Sachi.
Les nôtres restaient sur leurs gardes, les yeux brillants de défi. Sachi avait en main une longue esquille de bois fendu, probablement arrachée aux fresques fracassées derrière elle, et semblait les mettre au défi d’attaquer.
– Calmez-vous, lança Auroq dans leur direction. Ce sont des alliés. Ils viennent avec nous… Nous allons vous faire sortir de la Maison. Vous aider à vous enfuir. Vous n’avez rien à craindre d’eux… ni de moi.
Les nôtres reculèrent. Leur méfiance se fendilla un peu, se teinta de surprise. Sachi se tourna brusquement vers lui.
– Et nous devrions croire à tes paroles, toi qui nous as menti de la pire des façons ? Toi qui as menti à ta Dame ! Qu’as-tu fait d’elle ? Ramène-la parmi nous, ou je te jure…
– Je suis là, lançai-je en m’avançant à mon tour. Il n’a rien fait.
Toutes tournèrent la tête vers moi ; leurs yeux s’arrondirent en me voyant sortir de l’ombre.
– Picta ! s’exclama Grenat d’une voix fragile.
L’arme improvisée de Sachi tinta sur le sol quand elle se précipita dans ma direction. Un instant, je crus qu’elle allait me prendre par les épaules ou me saisir les mains, mais elle n’avait pas renié son éducation à ce point. Nous n’étions pas assez proches pour de telles démonstrations.
– Cela fait des heures que tu as disparu ! Nous craignions… Nous pensions que ce maudit noiraud t’avait… Par la grâce de la Maison, je suis soulagée !
– Tout va bien, Sachi, la rassurai-je dans un sourire forcé. Nous avons… Auroq a ramené des habits pour vous.
Je tentai de trier mes pensées, de remettre de l'ordre en mon esprit. Je devais leur parler de Maya et Dagnor, de leurs petits-enfants enlacés, des familles de Dames qui vivaient encore dans le quartier Sud... de cette autre vie qui, peut-être, leur donnerait envie de s'y installer aussi. Je ne voulais pas l'envisager, je ne voulais pas les imaginer là-bas... Mais je ne pouvais leur cacher la vérité. Elles méritaient de faire leur propre choix.
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