2e épisode du jour !

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– Tu peux pas blâmer Paz ! Il est resté loyal, lui, du début à la fin ! Pas comme toi qui a vendu la révolte pour les beaux yeux d’une blanche !

Son attaque fit mouche. Auroq se crispa.

– Et tu peux pas non plus me blâmer moi, ni Erko, ni personne ! jeta le jeune Ours. Mon père peut pas avoir honte de moi. Il m’a élevé comme ça. Tu nous as élevés comme ça ! Vous nous avez appris à détester les Renardes, à jeter des explosifs ! Nous avons fait ce que vous vouliez. Seulement ce que vous vouliez ! Et maintenant, vous partez ? Vous nous abandonnez ?

– C’est vrai, dit Auroq d’une voix sans timbre. Tout est de notre faute. Nous vous avons menti, nous avons fait de vous des soldats… Et vous êtes devenus des tueurs.

Il se pencha lentement et traça deux idéogrammes dans la terre battue.

– Mais souviens-toi, Raffe, quand je ne serai plus là… Souviens-toi que nous vous avons appris la haine, pas la cruauté. Et que mêler les deux mène toujours à la tragédie… J’en sais quelque chose.

Puis il recula. Il contempla la clef qu’il tenait encore à la main, puis me regarda moi. Je me retins de la lui arracher. Cette clef pouvait sauver les nôtres, elle était plus précieuse que tout l’or que j’avais porté dans ma vie. Mais elle n’ouvrait que de l’intérieur…

Puis je regardai Raffe qui pleurait. Un grand calme descendit en moi, et je sus ce qu’il fallait faire. Tout ce qui nous entourait, tout ce gâchis devait prendre fin.

Quand je tendis la main, Auroq me donna la clef sans rien dire. Je la jetai à son neveu. Elle atterrit dans la poussière, près de ses genoux, mais le jeune ne fit pas un geste pour s’en saisir.

– Prends-la, dis-je d’une voix pâle et dure comme le diamant. Elle est à toi. Jadis, nous étions les maîtresses de la Maison, aujourd’hui c’est votre tour. Réfléchis à ce qui est juste. À ce que nous vous avons fait pendant des siècles, à ce que vous nous faites aujourd’hui. Tu ne vois pas que vous devenez les nouvelles Dames, que vous reproduisez les mêmes atrocités ?

Il restait silencieux. J’étais incapable de savoir s’il m’écoutait ou si les mots ne l’atteignaient plus. Alors je me détournai, le cœur froid comme le marbre, tassée sur ma canne.

– Ouvre les portes. Laisse-les sortir de la Maison, si elles le veulent. Ne leur fais pas vivre ce qu’a vécu ton oncle… ce que tu aurais pu vivre toi aussi.

Ma voix s’étiolait. Je me sentais triste et lasse.

– Partons, Auroq. C’est terminé…

Il me donna son bras et, sur un dernier regard à Raffe, m’emmena doucement vers la porte. Mais avant de traverser cette zone étroite qui séparait la lumière de l’obscurité, je lus ce qu’il avait écrit dans la terre. Deux petits mots, adressés à son neveu ou peut-être à la Maison entière.

– Est-ce qu’il sait lire, Auroq ? murmurai-je.

Il ne répondit pas tout de suite. Quand nous sortîmes dans le vent d’automne, l’aube nous accueillit de tous ses feux. Les nôtres nous attendaient. Dames et Ours mêlés, semblables et inconnus, pelages blancs et noirs, les seuls rescapés de cet immense gâchis. Et cette étrange créature qui nous accompagnait. J’inspirai l’air pur et froid ; il tintait comme du cristal dans mes poumons.

Je me retournai vers la Maison. Elle me parut sinistre et muette, une ombre redoutable qui pesait sur nous. Elle qui avait été mon foyer si longtemps, elle ne m’inspirait plus que des larmes. Des larmes coincées en moi, givrées à jamais.

– Adieu, lui dis-je dans un souffle.

Derrière nous, la Maison pourrissante. Devant nous… la liberté.

– Non, dit enfin Auroq. Non, il ne sait pas lire.

Dans les rayons de l’aurore, je vis briller une larme unique sur sa joue.

Pardonne-moi