Le Murmure de Soi 

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Emprunt d’une excitation peu contenue, Cédric se tient assis face à son ordinateur posé sur la table du salon. Il bout d’impatience en regardant l’écran qui lui annonce une interminable mise à jour de Windows.

— Pourquoi c’est toujours quand on a besoin d'utiliser l’ordinateur que celui-ci est indisponible, se dit-il d’un air agacé.

De longues minutes plus tard, qui semble durer une éternité, Cédric peut enfin lancer Word. Il se tient assis, le dos rectiligne, le visage concentré, le regard sérieux et les mains légèrement suspendues au-dessus du clavier. Il est emprunt d’une excitation peu contenue car il sait que c’est un moment unique, particulier, qu’il a longuement attendu : il s’apprête à commencer son roman ! Un grand sourire illumine son visage, car au moment où il s’apprête à taper les premières lettres sur le clavier, le visage de Zorba lui revient à l’esprit, ce qui le stop net dans son élan.

— C’est grâce à cette rencontre inopinée que me voilà en train de réaliser ce rêve, se dit-il à voix basse.

Lui reviennent à l’esprit un tourbillon d’images qui ont ponctué sa vie durant ces derniers mois : les longues balades dans les rues étroites de Paris, la place centrale du square Cain, les conversations passionnées avec Zorba durant les longues journées froides de cet hiver ou encore cette après-midi passée Chez Camille où il s'est livré de manière intime au sujet de son enfance.

Cédric ressent progressivement monter en lui un sentiment qu’il a du mal à identifier et qu’il n’avait pas éprouvé depuis fort longtemps. Il est fier de ce qu’il a accompli durant ces derniers mois : il a eu la force de s’ouvrir et de partager beaucoup de choses intimes à un inconnu qui est devenu un confident proche. Il est parvenu à connecter son corps et son esprit ainsi qu’à mieux comprendre et identifier ses émotions. Mais surtout, il à l’impression de s’être retrouvé, de commencer à s’accepter et de mieux se comprendre. Il sait que le chemin vers son véritable 'moi' est encore long, mais il savoure avec une douce satisfaction ces nouveaux pas, légers et prometteurs.

Il veut partager cet instant avec celui qui l’a guidé vers cette libération. Sans réfléchir, il attrape son téléphone sur la table. L’heure encore matinale le pousse à opter pour un simple message. Ses doigts glissent naturellement vers l’historique des conversations, à la recherche du dernier échange avec Zorba. Mais après plusieurs minutes de navigation fébrile, aucun message, aucun appel ne renvoie à son ami.

Une pointe d’inquiétude s’installe. Il fouille alors dans son répertoire, le cœur battant, et pousse un soupir de soulagement en retrouvant le numéro. Ce répit est de courte durée. À la première tentative, une voix automatique lui annonce froidement : "Le numéro que vous avez composé n’est pas attribué.

Une vague de frustration l’envahit. Ses doigts serrent le téléphone tandis qu’il ferme les yeux pour retrouver son calme. Une minute, deux… Il respire profondément, puis compose de nouveau le numéro. Le même message retentit, implacable.

Pourquoi Zorba aurait-il changé de numéro ? Sans prévenir, qui plus est. Une pensée plus sombre s’insinue : lui serait-il arrivé quelque chose ?

Le roman peut attendre. Il prend une douche rapide, enfile les premiers vêtements à portée de main et quitte précipitamment l’appartement, oubliant même de verrouiller la porte. Une seule idée l’obsède : retrouver Zorba au square Cain, leur lieu de rencontre.

Il arrive presque essoufflé devant le square, le cœur lourd. Les nuages gris et menaçant se regroupent au-dessus de lui, comme un écho à ses propres tourments. À l'intérieur du parc, un groupe de touristes bruyants s’éparpille, leurs éclats de rire et de conversations légères contrastant avec son état d’introspection. C’est l’heure de la pause déjeuner car ils sont tous affairés à manger un sandwich, probablement entre deux visites de monuments parisiens.

Cédric essaye de se faufiler à-travers la masse compacte de touristes, en quête d’une silhouette familière. Au bout de plusieurs minutes à faire le tour du parc, cherchant en vain son ami, il se résigne et s'assoit sur un des bancs, avec un air perdu et esseulé. Il est pourtant entouré de nombreuses personnes, mais Cédric ne s’est jamais senti aussi désoeuvré qu’en ce moment. Une question revient sans cesse, oppressante : Pourquoi est-il parti sans prévenir ?

Sa respiration est saccadée et son esprit a du mal à se poser sur le moment présent. Il rumine en se disant que Zorba l’a abandonné et que c’est sûrement de sa faute. Alors il réfléchit à ce qu’il a fait de mal. Puis, progressivement, cette image de proche confident se détériore en quelque chose de moins glorieux.

Une fine pluie commence à tomber, perçant ses pensées comme des aiguilles. Alors que les touristes s’éclipsent, une silhouette élégante, qu’il a déjà remarquée à plusieurs reprises, attire son attention.

La dame, coiffée d’un chapeau légèrement démodé, nourrit tranquillement les pigeons.

Pris entre sa timidité et son envie de parler à quelqu’un, il s’approche maladroitement.

— Bonjour, excusez-moi… je crois vous avoir déjà vue ici, murmure-t-il, cherchant ses mots comme on cherche un appui dans le vide.

La dame, visiblement surprise, lève les yeux vers lui.

— Bonjour, dit-elle avec une hésitation polie. Oui, je vous ai remarqué, assis là-bas… toujours au même endroit, en désignant un des bancs de la place centrale.

Cédric ressent une hésitation de la part de la dame, qu’il a bien du mal à interpréter. Comme si elle essayait de lui dire quelque chose, mais par peur, timidité ou autre chose elle ne termine pas sa phrase. Il essaye donc d’en venir à l’objet de sa recherche, même s’il n’a pas grand espoir dans la réponse qu’il pourrait obtenir à la question suivante :

— Et la personne avec qui je parlais souvent, sur ce banc. L’auriez vous vu récemment ?

Le visage de la dame se crispe, son regard devient fuyant et elle semble prise d’un léger tremblement au niveau des mains. Cédric à bien du mal à comprendre sa réaction et se demande s’il a dit quelque chose de mal. Il finit par poursuivre :

— C’est quelqu’un de grand, assez mince. Toujours très bien habillé.

— Durant tous ces mois, alors que je donnais à manger aux oiseaux…

Elle a bien du mal à poursuivre puis finit par lâcher dans un soupir :

— Je vous entendais discuter mais, je ne vous ai jamais vu en compagnie de qui que soit.

Cédric à bien du mal à comprendre ce qu’elle essaye de lui dire. Elle ne voyait pas Zorba ? Puis, lentement, les choses, les souvenirs commencent à se mettre en place dans son esprit et cette phrase résonne lourdement. Zorba n’a jamais existé. Zorba reste le fruit de son imagination pour lui permettre d’apprendre à se connaître, à s’accepter sans jugement et avancer dans un nouveau sillon du chemin de sa vie. Sa voix douce et chaleureuse, ses conseils…étaient-ils vraiment issus d’une autre voix que la sienne ? Il ressent à ce moment-là une immense perte entremêlée d’une étrange libération. Une larme glissa sur sa joue, mélange d’émotion et de gratitude.

Cédric prend congés de la dame après l’avoir remercié et retourne chez lui. Il n’a qu’une idée en tête : écrire ce livre qu’il a promis à un grand ami. Ou à lui-même. Il connaît même le titre de ce qu’il va écrire puisqu’il s’agit d’une quête personnelle, dont la trame se déroule dans le Square Cain.

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